Attentats de Moscou : la piste de l’anglosphère

samedi 30 mars 2024

Les services anglo-américains sont-ils impliqués dans l’attaque terroriste perpetrée au Crocus City Hall il y a une semaine ? C’est l’hypothèse étudiée par plusieurs personnalités militaires et des milieux du renseignement, tant du côté russe qu’occidental. Les attentats qui ont frappé cette salle de concert dans la banlieue de Moscou ont entraîné la mort de 140 personnes et blessé 360 autres.

Le 26 mars, le chef du Service fédéral de sécurité russe (FSB), Alexander Bortnikov, a déclaré que l’attaque avait été « préparée par les islamistes radicaux et facilitée par les services spéciaux ukrainiens eux-mêmes en lien avec les services spéciaux occidentaux », pointant du doigt les États-Unis et le Royaume-Uni. Ces deux derniers ont « un lourd passif dans ce domaine », a-t-il souligné, faisant référence aux attaques ukrainiennes de ces derniers mois sur le sol russe.

Le même jour, Scott Ritter, ancien inspecteur en désarmement de l’ONU, officier de renseignement du Corps des Marines des États-Unis et analyste militaire, lors d’un entretien avec le juge Andrew Napolitano, a déclaré : « Tout d’abord, il y a un élément fondamental à considérer : les services de renseignement ukrainiens, en particulier le GUR, leur renseignement militaire, sont un pur produit de la CIA (américain) et surtout des services de renseignement britanniques (MI-6). Le GUR a été entièrement remanié et retravaillé depuis 2014. Le New York Times vient de publier un article à ce sujet. Il ne se passe rien dans le GUR qui ne soit connu, approuvé et coordonné par la CIA ou le MI6. Il est donc essentiel de partir de là pour comprendre ».

Des liens étroits entre les services ukrainiens et les djihadistes

Bien sûr, cela ne prouve rien en soi. Cependant, il est un fait que l’Ukraine est devenue le lieu de résidence de nombreux terroristes désireux de combattre la Russie, ainsi que l’un des donneurs d’ordre de l’État islamique (Daesh).

Intéressons-nous par exemple au cas de l’un des terroristes arrêtés par les services russes, Rustam Azhiev. Ce Tchétchène avait combattu dans la guerre russo-tchétchène, avant de s’enfuir en Turquie et de rejoindre la Syrie, où il a dirigé le groupe terroriste Ajnad Al-Kavkaz, qui combattait l’armée syrienne et menait des opérations terroristes contre des civils. Lorsque l’armée russe et l’armée syrienne ont commencé à libérer les territoires contrôlés par les terroristes, Azhiev et ses acolytes se sont reconvertis dans le crime organisé, les meurtres sur commande et autres activités criminelles.

En 2022, Azhiev a été recruté par les services de renseignement ukrainiens, par l’intermédiaire du commandant de terrain Akhmed Zakayev, pour participer à des opérations contre les forces armées russes, passeport ukrainien en poche. Récemment, Azhiev et ses terroristes ont participé à l’incursion contre la ville russe de Belgorod, près de la frontière ukrainienne, dans le but de déstabiliser le pays au moment où les citoyens russes s’apprêtaient à voter aux élections présidentielles du 15 au 17 mars.

Les liens entre l’Ukraine et les « islamistes » ont fait l’objet d’un débat dans la presse européenne en début d’année, en particulier suite à l’attentat terroriste déjoué qui devait viser la cathédrale Saint-Étienne de Vienne en Autriche, probablement pendant les célébrations de Noël, et qui impliquait un réseau tadjik basé en Ukraine. Dans la matinée du 23 décembre 2023, un citoyen tadjik de 28 ans et sa femme ont été arrêtés dans l’un des centres d’accueil pour réfugiés de la ville. Peu de temps après, leur complice fut également arrêté en Allemagne. Les terroristes avaient prévu d’attaquer la cathédrale et d’y abattre un maximum de civils avant de faire exploser des bombes... Quelques jours auparavant, un citoyen tadjik lié à Daesh et planifiant un attentat sur le sol européen avait été arrêté en Slovaquie. Il était également entré dans le pays par l’Ukraine, pays voisin.

Des terroristes made by Brzezinski ?

Zbigniew Brzezinski essayant un AK47 aux côtés de membres de l'armée pakistanaise, à proximité de la frontière afghane (février 1980)
Zbigniew Brzezinski essayant un AK47 aux côtés de membres de l’armée pakistanaise, à proximité de la frontière afghane (février 1980)
investigaction.net

Revenons sur les éléments factuels des attentats du 22 mars. Tout d’abord, les données d’un téléphone récupéré sur la scène du crime ont permis aux responsables de la sécurité russe d’écouter en temps réel les appels téléphoniques passés par les terroristes, tandis qu’ils fuyaient Moscou en direction de l’Ukraine. De nombreux appels étaient destinés à des personnes situées à l’intérieur de l’Ukraine qui s’efforçaient de sécuriser une zone de passage à la frontière russo-ukrainienne pour permettre aux terroristes de s’échapper.

La surveillance en direct des conversations sur les téléphones portables des protagonistes, a aussi conduit à des arrestations rapides de réseaux de soutien (7 à Moscou, 40 en Turquie), mais a également permis de remonter jusqu’à un niveau plus élevé. « La Russie a recueilli suffisamment d’informations pour émettre un mandat d’arrêt contre le chef des services de sécurité ukrainiens, Vasyl Malyuk, pour incitation publique au terrorisme », écrit Scott Ritter sur son site web.

Ce dernier s’interroge même sur l’appartenance des terroristes à l’islamisme radical. Une photo des quatre assaillants les représente en train de réciter, l’index levé, la Shahada (« Je témoigne qu’il n’y a pas d’autre divinité que Dieu, et je témoigne que Mahomet est le messager de Dieu »), qui, pour les djihadistes, « est devenue de rigueur — Oussama ben Laden l’a prononcée de cette manière, tout comme Abou Bakr al-Baghdadi, le fondateur de l’État islamique. Cependant, les quatre ont fait l’erreur de lever non pas leur index droit, mais le gauche, un sacrilège devant Dieu », explique Ritter. Ce qui s’ajoute au fait que les terroristes attendaient une forte rémunération pour leurs actes, « chose tout à fait inhabituelle pour des islamistes djihadistes, qui agissent toujours par conviction idéologique ».

Bien que les enquêteurs russes restent prudents, « il existe une pléthore de données qui permettent d’assembler suffisamment de pièces du puzzle pour qu’une image cohérente puisse émerger », conclut Ritter.

En tous cas, une question se pose : 40 ans après, Washington et Londres sont-ils revenus à la « doctrine Brzezinski » (à supposer qu’ils l’aient jamais abandonnée), qui consistait à entretenir, équiper, entraîner, financer et déployer des islamistes dans des opérations de déstabilisation de la Russie, ou dans toute autre partie du monde ?