Vers une nouvelle guerre dans le Pacifique ?

mardi 9 avril 2024

Visiblement obsédés par l’idée de faire du monde une véritable pétaudière, Washington et Londres tentent d’exploiter les tensions entre la Chine et les Philippines autour de l’atoll dit « banc Second Thomas » en mer de Chine méridionale, espérant sans doute ouvrir un troisième front de guerre, après l’Ukraine et Gaza.

Cette affaire pourrait faire l’objet d’un film de Woody Allen, si elle n’était potentiellement aussi grave. Le Financial Times a publié le 7 avril un long article sur les prochains sommets entre le président Joe Biden et ses homologues, le Japonais Fumio Kishida et le Philippin Bongbong Marcos. Selon « deux hauts fonctionnaires américains, précise le quotidien londonien, Joe Biden exprimerait de sérieuses inquiétudes sur la situation autour du banc Second Thomas, un minuscule atoll situé en mer de Chine méridionale ».

Le 24 mars, les garde-côtes chinois ont utilisé des canons à eau pour empêcher les Philippines de réapprovisionner le Sierra Madre, un vieux navire militaire volontairement échoué sur le Banc Second Thomas dans les années 1990 pour revendiquer l’autorité de Manille sur le confetti, et qui est complètement rouillé aujourd’hui. Selon l’un des deux fonctionnaires, la Chine sous-estimerait le potentiel d’escalade. « Nous avons affirmé que notre traité de défense mutuelle couvre les marins et les navires philippins et, par extension, le Sierra Madre. La Chine doit revoir ses tactiques ou risquer de graves représailles », menace ce fonctionnaire américain.

Se tournant ensuite vers deux « experts », le Financial Times extrapole : « Si Pékin attaque directement les navires ou les forces armées philippines, Washington sera contraint de réagir », explique Bonnie Glaser, spécialiste de la Chine au German Marshall Fund. « Il s’ensuivrait une crise politique majeure entre les États-Unis et la Chine et, dans le pire des cas, un conflit militaire de plus grande ampleur ». De son côté, Jeff Smith, expert de l’Asie à la Heritage Foundation, soumet une idée brillante pour résoudre rapidement le problème en provoquant la crise : «  Les États-Unis devraient participer à des missions de réapprovisionnement conjointes avec les forces philippines et explorer des options pour remplacer le navire philippin qui se détériore. »

Chacun appréciera cette nouvelle démonstration du talent sans pareil des Américains – ou plus précisément des néo-conservateurs anglo-américains – pour transformer une escarmouche locale en crise stratégique internationale.

Le Premier ministre japonais sort les couteaux

Avant sa rencontre du 10 avril à la Maison Blanche avec le président Joe Biden, le Premier ministre japonais Fumio Kishida a déclaré sur CNN que les tensions stratégiques causées par la Russie et la Chine avaient amené le monde à un « tournant historique », raison pour laquelle le Japon avait décidé de « renforcer fondamentalement ses capacités de défense et transformer la politique de sécurité du Japon sur ces fronts ».

Après la rencontre entre Kishida et Biden, un sommet réunira ces deux dirigeants et le président philippin Marcos, puis le Premier ministre japonais s’adressera à une session conjointe du Congrès américain.

« Dans notre voisinage, certains pays développent des missiles balistiques et des armes nucléaires, tandis que d’autres renforcent leurs capacités de défense de manière opaque, a mis en garde Kishida. Il y a également une tentative unilatérale de changer, par la force, le statu quo en mer de Chine orientale et en mer de Chine méridionale (…). Je pense qu’il est important de montrer au reste du monde que grâce à ma visite, les États-Unis et le Japon vont continuer à faire évoluer leur collaboration. »

A six mois des présidentielles américaines, le Premier ministre japonais prend ses précautions pour caresser dans le sens du poil autant les supporters de Trump que l’administration Biden. « Kishida a refusé de dire s’il était préoccupé par un retour de l’ancien président », rapporte CNN. «  La relation entre le Japon et les États-Unis est devenue plus forte que jamais (…). Indépendamment du résultat de l’élection présidentielle, je pense qu’il est important de s’assurer que le peuple américain reconnaisse l’importance de la relation entre le Japon et les États-Unis », a déclaré Kishida.

« Démonstration de force » en mer de Chine méridionale

Les États-Unis, le Japon, l’Australie et les Philippines ont annoncé samedi qu’ils s’apprêtaient à se lancer dans des exercices conjoints, que [l’Associated Press décrit->https://apnews.com/article/south-china-sea-united-states-japan-philippines-6f2c83d4157d9c8902d161ba2b23075a comme « une démonstration de force en mer de Chine méridionale, où les actions agressives de Pékin pour affirmer ses revendications territoriales ont suscité l’inquiétude ».

Les quatre alliés et partenaires de sécurité organisent des exercices pour sauvegarder « l’État de droit qui est le fondement d’une région indo-pacifique pacifique et stable » et faire respecter la liberté de navigation et de survol, ont-ils déclaré dans un communiqué conjoint publié samedi par leurs chefs de la défense. Bien que la Chine ne soit pas mentionnée nommément dans cette déclaration, les quatre pays ont réaffirmé leur position selon laquelle « une décision d’arbitrage international de 2016, qui a invalidé les revendications expansives de la Chine pour des raisons historiques, était définitive et juridiquement contraignante ». 

Dans cette mer de Chine méridionale, par laquelle transite un tiers du commerce maritime mondial, la bannière de « l’État de droit » (que l’on brandit ici mais que l’on piétine ailleurs) cache mal la volonté de Washington et Londres – et du complexe militaro-financier anglo-américain – de maintenir par la force leur cher « ordre mondial fondé sur des règles », au risque de mener le monde vers un conflit nucléaire.