La Banque des règlements internationaux (BRI) et la solution finale

dimanche 9 juin 2013, par Karel Vereycken

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A l’origine de la plupart des propositions visant à sauver la « stabilité financière » comprenant la procédure inquiétante de bail-in, on retrouve, via le Conseil de stabilité financière, la Banque des règlements internationaux (BRI).

Installée à Bâle en Suisse, cette vénérable institution, une banque privée autoproclamée « la banque centrale des banques centrales », fuit toute publicité comme la peste. En lisant cet article, vous allez comprendre pourquoi.

Genèse

La genèse de la BRI remonte à la fin de la Première Guerre mondiale, lorsque l’Allemagne, par le Traité de Versailles de 1919 est astreinte à de lourdes « réparations » de guerre. Estimé initialement à 226 milliards de mark-or lors de la conférence de Spa en 1920, le montant à débourser sera fixé à 132 milliards de mark-or lors de la conférence de Londres de 1921. Avant tout, il s’agit de forcer l’Allemagne de payer les vainqueurs de la guerre (France, Empire britannique, Belgique, Italie, etc.), qui se sont eux-mêmes lourdement endettés auprès des banques privées de la City de Londres et de Wall Street.

En 1913, John Pierpont Morgan Jr. (ici à droite) hérita de l’énorme fortune de son père John Pierpont Morgan (centre). Il deviendra le plus grand créancier privé des Alliés, notamment de la France, lors de la Première Guerre mondiale. En 1930, il sera, au même titre que la Banque de France, l’un des neufs actionnaires de la Banque des règlements internationaux (BRI).

Au cœur de cette histoire, les ancêtres de la Banque JP Morgan Chase, aujourd’hui le leader mondial pour la partie banque d’affaires.

Avant de se mettre à son compte, Junius Pierpont Morgan, n’était qu’un simple partenaire en affaires de la firme financière londonienne George Peabody & Co. Opérant pour la City de Londres, Junius, qui va fonder JS Morgan, fait rapidement fortune.

Après la défaite française de Sedan, en 1870, c’est lui qui négocia un prêt de 250 millions de francs-or avec Gambetta, alors chef de la Défense nationale.

Son fils John Pierpont Morgan, surnommé le Napoléon de Wall Street fonda à son tour sa propre banque : JP Morgan & Cie qu’il dirigea d’une main de fer. La banque s’érigea en quasi-banque centrale lors de la crise financière de 1893 et en 1907 lors de la panique bancaire et JP Morgan jouera un rôle prééminent dans la création de la Réserve fédérale en 1913.

Après son décès cette même année, son fils, Jack Morgan Jr., hérita de l’énorme fortune de son père. Il va la faire fructifier en la mettant au service de Alliés en guerre contre l’Allemagne. JP Morgan prêtera 12 millions de dollars à la Russie et 50 millions de dollars à la France. Il mit sur pied un groupement de 2200 banques qui accordèrent un prêt de 500 millions de dollars aux alliés, le plus important jusqu’à là dans l’histoire de Wall Street.

A cela s’ajoute le fait qu’en janvier 1915, le gouvernement britannique nomma JP Morgan comme adjudicataire munitionnaire pour tous ses achats militaires en Amérique. En total, Morgan fournira pour environ 3 milliards de dollars de matériel de guerre, notamment des chevaux, des munitions ou encore des céréales, quasiment la moitié de tout le matériel fourni par les Etats-Unis. Sans surprise, les munitions achetées par la Grande Bretagne aux Etats-Unis furent produites et fournies par de gros clients de la banque, notamment les firmes Remington et Winchester qui ont fourni plus de trois millions de fusils. Aux Etats-Unis, Londres devint également le garant « pour les achats des Russes, des Italiens et des Français ».

1923. Soldat français surveillant un train de charbon réquisitionné. Ruhr, 1923.

A la fin de la guerre, pour honorer eux-mêmes leurs dettes auprès des banquiers anglo-américains, les pays alliés fantasmaient sur les montants qu’ils espéraient extorquer aux Allemands. En 1919, l’un des délégués américains à la conférence de Versailles se nommait d’ailleurs Thomas W. Lamont, un proche et partenaire d’affaires de J.P. Morgan, chargé de veiller au grain. Pour sa part, interrogé sur les difficultés de la reconstruction en France, Clemenceau répondra : « L’Allemagne paiera ! »

Face à l’incapacité et au refus de l’Allemagne de livrer les richesses physiques promises, le Président du Conseil Raymond Poincaré, en accord avec le roi des Belges Albert Ier, prit la décision d’envahir la Ruhr le 11 janvier 1923. Il s’agit de confisquer les quantités de charbon, de fer et d’acier dues par l’Allemagne. Le 31 mars cinquante mille ouvriers des usines Krupp manifestèrent à Essen pour protester contre la réquisition de camions par l’armée française. Le 16 mai, à la suite d’une flambée des prix, une grève sauvage est déclenchée dans la Ruhr. Des combats de rue éclatent.

Cette politique encouragea encore un peu plus l’Allemagne à faire marcher sa planche à billets, provoquant la fameuse hyperinflation de 1923. En quelques mois, le prix d’un simple timbre poste explosa pour atteindre plusieurs milliards de marks. Inversement, des millions d’Allemands virent leur épargne fondre comme neige au soleil. C’était l’effondrement de la République de Weimar.

Le 8 novembre, Hitler et l’ancien général en chef des armées Erich Ludendorff tentèrent le « putsch de la Brasserie » à Munich. D’autres envisageaient d’imiter la révolution bolchévique.

Le bail-out du plan Dawes

Deux figures au service de l’Empire Morgan : Charles G. Dawes (à droite) et Owen D. Young (à gauche). Chacun donnera son nom à un plan de "sauvetage" de l’économie allemande au service des banques et des cartels.

En réalité, tout défaut sur la dette allemande aurait immédiatement provoqué des défauts dans les pays alliés et une série de faillites en chaîne. Comme en 2008, il fallait donc intervenir en renflouant le système. L’Allemagne, deuxième partenaire de l’Angleterre, était tout simplement, comme les banques françaises aujourd’hui, too big to fail.

Les Alliés ont alors formé, en 1924, un comité de dix banquiers de cinq pays sous la direction du directeur du budget américain Charles G. Dawes. Ancien PDG de General Electric, Dawes était un banquier républicain qui devait l’essentiel de sa carrière à Morgan. Il sera assisté par un autre banquier proche de Morgan, Owen D. Young. Chacun donnera son nom à un plan de sauvetage de l’économie allemande.

Le « Plan Dawes » mis au point par le comité et signé à Londres en 1924 prévoyait plusieurs actions :

  1. Retrait immédiat des troupes françaises et belges ;
  2. Réduction la première année des annuités à payer par l’Allemagne. Elles augmenteront progressivement les années suivantes ;
  3. La Reichsbank (banque centrale allemande) serait réformée sous la direction des alliés qui exigeaient que l’on nomme Hjalmar Schacht, un cadre de la banque Dresdner et fondateur du parti libéral. En tant que banquier, Schacht avait des bons rapports avec les financiers américains et britanniques et lors d’un déplacement professionnel en 1905, Schacht avait pu s’entretenir directement avec J.P. Morgan père ainsi qu’avec le Président Theodore Roosevelt. Le secret de Schacht, présenté généralement comme un « grand sorcier de la finance », n’était pas sa science économique, mais son culot, son carnet d’adresse et une créativité comptable hors pair. Pour mettre fin à l’hyperinflation, Schacht, à la tête de la Reichsbank, lança le rentenmark, une devise garantie par des biens immobiliers. Admiratif de Schacht, Keynes, par ailleurs impérialiste britannique convaincu, qualifia l’introduction de cette nouvelle monnaie de « miracle » ;
  4. Assuré d’avoir la haute main sur la situation, un cartel de banques américaines dirigé par Morgan accorderait un prêt de 800 millions de dollars à la Reichsbank.

Aujourd’hui, du moins sur le papier, le schéma du plan Dawes paraît bien plus intelligent que tout ce qui a été proposé jusqu’ici par la Troïka pour les pays de la zone euro en difficulté. L’argent prêté par les banques américaines devait s’investir dans une relance économique de l’Allemagne (industrie, infrastructure, etc.). Grâce à un revenu fiscal accru par des taxes sur les transports et les exportations, l’Allemagne paierait les réparations de guerre à la France et aux alliés. Ces derniers utiliseraient ce revenu pour acheter des biens aux Etats-Unis et rembourseraient leurs propres dettes aux banques anglo-américaines….

En réalité, l’argent alla surtout à des clients choisis pour qui l’Allemagne d’après 1923 était un eldorado. Une partie des prêts fut allouée par Schacht à la création de cartels industriels supranationaux, dont le cartel chimique IG Farben, fondé en 1926 et partenaire du cartel pétrolier Standard Oil (S.O. de la famille Rockefeller (également à l’origine de la Chase Manhattan Bank), sera un exemple caricaturale. La même année, un partenaire de JP Morgan, Thomas Lamont, qui se considérait comme un missionnaire du fascisme italien, organisa un prêt de 100 millions de dollars au profit de Mussolini.

Socialement, le plan Dawes imposa également des restructurations et des licenciements massifs dans les services publics. Au mieux, à très court terme, le plan Dawes donna une bouffée d’oxygène à l’économie allemande et il se vit même attribuer le prix Nobel en 1925.

JP Morgan et le plan Young

Si l’Allemagne commençait à rembourser sa dette, tout le monde savait que les montants à payer étaient totalement irréalistes. Le plan Dawes se montra rapidement inopérant et, dès 1928, les Alliés décidèrent d’élaborer un nouveau plan de sauvetage sous la direction de Owen D. Young, lui aussi un banquier proche de Morgan.

Les discussions s’ouvrirent en février 1929 à l’Hôtel George V, à Paris. Schacht, qui représentait l’Allemagne, raconte dans son autobiographie que les Etats-Unis y étaient représentés par Owen Young et John Pierpont Morgan en personne !

C’était certes le plus grand créancier des alliés. Les négociations allèrent bon train jusqu’en octobre 1929, quand le krach de Wall Street vint brouiller les cartes. Finie toute idée de pouvoir exporter en masse des biens européens vers le marché américain. Les banques américaines, dont Morgan, subirent des pertes énormes sur les marchés et cherchèrent à rapatrier au plus vite leurs capitaux aux Etats-Unis. Toute clémence à l’égard de l’Allemagne fut abandonnée, elle fut sommée de payer en cash au plus vite. Entre 1929 et 1932, le chômage passa de 1,5 à 6 millions de personnes.

Et Schacht créa la BRI

Selon ce qu’affirme Schacht dans son autobiographie, c’est lui qui convainquit Young que le succès de son plan ne serait total que si l’on confiait à l’avenir les négociations sur les réparations de guerre à un organisme d’experts indépendants disposant d’un statut d’immunité totale et hors d’atteinte de tout contrôle parlementaire : la Banque des règlements internationaux (BRI).

Cette photo de 1927, ici accrochée au mur du bureau du Président de la Réserve fédérale Ben Bernanke, réunit les banquiers centraux considérés comme les fondateurs de la BRI : de gauche à droite Hjalmar Schacht (Reichsbank allemande), Benjamin Strong (Réserve fédérale américaine), Montagu Norman (Banque d’Angleterre) et Charles Rist (Banque de France).

Comme le laisse penser la photo accrochée dans le bureau de l’actuel Président actuel de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, (voir ci-dessus), une forte synergie semblait déjà dominer leurs relations.

Sur ce dépliant de la BRI de 2007 figurent les grandes figures à l’origine de la vénérable institution de Bâle. Le troisième à partir du haut est Hjalmar Schacht, nommé à la tête de la Reichsbank par Adolphe Hitler en 1933.

Il est intéressant de noter que premier président de la BRI était le banquier américain et dirigeant de la Astor Foundation Gates White McGarrah, qui démissionna de son poste de président de la Réserve fédérale de New York pour occuper cette nouvelle fonction. McGarrah avait été président de la Chase National Bank de la famille Rockefeller et fut nommé par les alliés à la tête du conseil d’administration de la Reichsbank en 1923 lorsque Schacht en fut nommé président. Les deux premiers vice-présidents de la BRI furent le Britannique Sir Charles Addis, un ancien dirigeant de la Hong-Kong and Shanghai Banking Corporation (HSBC) et l’Allemand Carl Melchior, un ancien de la Banque Warburg de Hambourg. Comme directeur général, on nomma Pierre Quesnay, chef des études économiques de la Banque de France.

En tout cas, la Charte constitutive de la BRI (voir Annexe 1) dissipe tout doute sur sa véritable nature : il s’agissait pour les créanciers (Morgan et compagnie) de désigner un liquidateur (un syndic de banques centrales constituant la BRI) chargé de faire honorer les créances d’une dette de guerre impayable.

Bien qu’elle se présente comme « la banque centrale des banques centrales », la BRI, à la demande de Schacht, fut constituée comme une banque privée (société anonyme par actions de droit suisse). Elle disposait d’une cagnotte confortable et prélevait une petite somme sur chaque transaction.

D’après l’Article 3 de ses statuts (mis à jour en 2005), « la Banque a pour objet : de favoriser la coopération des banques centrales et de fournir des facilités additionnelles pour les opérations financières internationales ; et d’agir comme mandataire (trustee) ou comme agent en ce qui concerne les règlements internationaux qui lui sont confiés en vertu d’accords passés avec les parties intéressées ».

Pour accomplir au mieux cette tâche délicate, la BRI, qui n’a de compte à rendre à aucun Parlement et à aucune législation, s’accorde, par un accord spécifique entre le Conseil fédéral suisse et la BRI, un statut d’immunité juridique et diplomatique absolue. La banque et ses fonctionnaires sont exonérés de tout impôt. Par son statut particulier, la BRI serat un des premiers paradis fiscaux au monde facilitant le blanchiment d’argent. Preuve qu’il s’agit d’un Etat dans l’Etat, nul agent de l’autorité publique suisse ne peut pénétrer dans son siège car la banque exerce le contrôle et la police dans ses locaux.

L’Article 55 des statuts précise :

1) La banque bénéficie de l’immunité de juridiction, sauf : a) dans la mesure où cette immunité a été formellement levée dans des cas individuels par le Président du Conseil, le Directeur général, le Directeur général adjoint ou par leurs représentants dûment autorisés ; (…)

2) Les biens et avoirs de la Banque, où qu’ils se trouvent et quels qu’en soient les détenteurs, bénéficient de l’immunité d’exécution (notamment à l’égard de toute mesure de saisie, séquestre, blocage ou d’autres mesures d’exécution forcée ou de sûreté) (…) ;

3) Les dépôts confiés à la Banque, toute créance sur la Banque, ainsi que les actions émises par la Banque, où qu’ils se trouvent et quels qu’en soient les détenteurs, ne pourront faire l’objet, sauf accord exprès préalable de la Banque, d’aucune mesure d’exécution (notamment de saisie, séquestre, blocage ou autres mesures d’exécution forcée ou de sûreté).

Les actionnaires initiaux étaient les banques centrales de six pays (ils étaient 55 en 2013) : Belgique, France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie et Japon. Chaque banque disposait de 16 000 actions qu’elle pouvait placer chez ses clients. La Réserve fédérale ne se joint pas à la BRI. A sa place, trois banques américaines acquièrent chacune 16 000 actions : JP Morgan, First National Bank of New York et First National Bank of Chicago. Ainsi, dans les années 1930, jusqu’à 30 % des actions étaient aux mains d’actionnaires privés, par ailleurs confortablement à l’abri de toute confiscation de leurs avoirs.

L’Article 10 de la Charte constitutive (voir Annexe 1) précise expressément : « La Banque, ses biens et avoirs, ainsi que les dépôts ou autres fonds qui lui seront confiés, ne pourront faire, ni en temps de paix, ni en temps de guerre, l’objet d’aucune mesure telle que expropriation, réquisition, saisie, confiscation, défense ou restriction d’exporter ou d’importer de l’or ou des devises ou de toute autre mesure analogue. »

Avec le recul, pour tous ceux qui ont étudié l’économie nazie, deux passages prennent ici une importance singulière : « ni en temps de paix, ni en temps de guerre » et « exporter ou importer de l’or »….

Un gouvernement mondial de banquiers

La BRI, par sa nature, donnera un pouvoir exorbitant aux banquiers centraux à la tête de banques centrales dites « indépendantes », c’est-à-dire gérées par des intérêts privés. L’historien américain Carroll Quigley, dans Tragedy and Hope (MacMillan, 1966), affirme que :

la puissance du capitalisme financier avait un autre plan, celui de créer rien de moins qu’un système mondial de contrôle financier aux mains du privé capable de dominer le système politique de chaque pays et l’économie mondiale comme un tout. Le système serait contrôlé de façon féodale par les banques centrales du monde agissant de concert, grâce à des accords secrets obtenus lors de réunions et conférences fréquentes.

Le sommet de la pyramide devrait être la BRI de Bâle en Suisse, une banque privée possédée et contrôlée par les banques centrales mondiales.

Chaque banque centrale, aux mains de gens comme Montagu Norman de la Banque d’Angleterre, de Benjamin Strong de la Réserve fédérale de New York, de Charles Rist de la Banque de France et de Hjalmar Schacht de la Reichsbank allemande, cherchait à dominer son gouvernement par sa capacité à placer des emprunts du Trésor, à manipuler les cours de change, à influencer le niveau d’activité économique du pays et à influencer des hommes politiques coopératifs par des récompenses dans le monde des affaires.

L’échec du plan Young

Lors de la conférence de la Haye aux Pays-Bas en janvier 1930, le plan Young fut adopté. L’Allemagne, mise sous tutelle, obtint une forte réduction de sa dette envers les alliés et des délais de paiement, elle n’était plus « que » de 112 milliards de marks or (équivalent de 107 milliards de dollars en 2013 !) et payable sur 59 ans (jusqu’en 1988), c’est-à-dire sur trois générations ! (Voir Annexe 2)

Mais la créativité de JP Morgan et Schacht ne connaissait pas de limites. Les annuités de remboursement, désormais versées non pas en marks, mais en devises et fixées par un échéancier précis, devaient désormais servir d’instruments d’émission obligataire. Pour gérer la dette et placer les obligations allemandes, la BRI, qui reprenait les fonctions remplies jusqu’alors par l’Agent général en charge des réparations de guerre à Berlin, était l’intermédiaire incontournable. L’émission de ces obligations était une garantie supplémentaire de paiement ponctuel, car toute suspension du service des titres ainsi émis porterait une atteinte directe au crédit de l’Allemagne.

Schacht déclarera qu’aucun débiteur allemand ne saurait se soustraire à ses obligations, mais que chaque débiteur, quand l’échéance sera venue, paiera sa dette à la caisse de conversion. Les paiements ainsi effectués y seront à la disposition des créanciers qui, bien entendu, ne pourront les utiliser qu’à l’intérieur de l’Allemagne. Ainsi sera sauvegardée, avec le principe de l’autarcie, la stabilité du reichsmark.

En 1930, le banquier Hjalmar Schacht (à droite) inventa la Banque des règlements internationaux (BRI). En 1933, aussitôt élu, Hitler le nomma à la tête de la Reichsbank (Banque centrale allemande). Ici, lors de l’ouverture d’un nouveau bâtiment de la banque.

Schacht, qui savait que suite au crash boursier de 1929 le plan Young était condamné à l’échec et allait provoquer l’ire de la population allemande, donna d’abord son agrément, puis démissionna tout en dénonçant immédiatement le plan qualifié par Hitler de « diktat de Versailles ». Le plan Young était si répugnant qu’il poussa de nombreux Allemands dans les bras du parti national-socialiste.

Après les élections de 1932, où le parti nazi NSDAP raflait plus du tiers des sièges au Parlement, Schacht, organisa une réunion afin de réunir 2 millions de marks pour renflouer le parti nazi et lança un appel signé par les grands dirigeants industriels demandant au président Hindenburg de nommer Hitler chancelier.

Cela fait, Hitler nomma, en retour, le 17 mars 1933, Schacht à la tête de la Reichsbank. Schacht jugea peu efficace les ratonnades commises par les nazis « de base » et proposa à Hitler des méthodes « plus efficaces » pour valoriser leurs biens.

Tout comme le Plan Dawes, le plan Young échoua rapidement, et Hitler cessa de payer les réparations de guerre tout en utilisant la BRI pour la vaste palette de facilités qu’elle offrait. Owen Young tenta alors de nouveau sa chance en se présentant en 1932 à l’investiture présidentielle démocrate contre Franklin Roosevelt ; en vain. Depuis lors, le rôle de la BRI consiste officiellement à servir de simple lieu privilégié permettant aux banquiers centraux de se parler à intervalles réguliers lors de rencontres organisées à Bâle.

Le siège de la BRI, le bunker d’un gouvernement mondial

L’Hôtel Savoie-Univers (aujourd’hui Euler) en face de la gare centrale de Bâle, abrita dans le plus grand secret les premières réunions de la BRI à partir de 1930.

En 1930, en attendant de disposer de vrais bureaux, les banquiers centraux se donnaient rendez-vous à l’Hôtel Savoie-Univers (Aujourd’hui nommé Hôtel Euler), juste en face de la gare de Bâle.

Aucune plaque n’indiquait qu’il s’agissait de la BRI et pour y accéder les banquiers traversaient d’abord la boutique de la chocolaterie Frey.

L’anecdote n’est pas sans nous rappeler le Mécanisme européen de stabilité (MES), doté d’un statut d’immunité totale et installé dans un bureau anonyme d’un paradis fiscal nommé Luxembourg. Peu de doutes que c’est la BRI qui a servi de modèle !

D’après Edward Jay Epstein, un des rares journalistes à avoir pénétré les lieux, le siège de la BRI à Bâle dispose d’un abri antiatomique, plus de trente kilomètres d’archives souterraines et un triple système anti-incendie permettant d’éviter toute visite inopportune des pompiers...

Depuis 1977, dans un souci de transparence, une tour de dix-huit étages accueille les hôtes prestigieux de la BRI.

L’étage supérieur, où se trouve un restaurant de luxe, offre une vue panoramique sur trois pays : l’Allemagne, la France et la Suisse. Les autres étages sont occupés par le personnel de la BRI ou hébergent des suites et des bureaux individuels au service des banquiers centraux. Un système de lignes téléphoniques dédiées et codées leur permet d’accéder directement à leurs pays respectifs. A cela s’ajoute l’un des ordinateurs les plus modernes, une équipe professionnelle de plusieurs centaines de secrétaires, de traducteurs, de chauffeurs et de chercheurs compétents. Le club est équipé de cuisines, de tennis et de golf à la hauteur de l’importance de ses hôtes.

Schacht met la main sur les dépôts allemands

En 1934, Schacht fera une grande démonstration de sorcellerie financière en revigorant une vieille technique éprouvée lors de la Révolution française. Sur la base des ventes futures des biens de l’église qu’ils avaient confisqués, les révolutionnaires français paient leurs prestataires avec des titres appelés « Assignats » . Garantis par l’Etat, les prestataires pouvaient s’en servir à leur tour pour régler des dépenses. Lorsqu’il devint clair qu’il ne s’agissait que de promesses, la pyramide des assignats s’effondra.

Pour sa part, la Reichsbank sous Schacht, avec le ministère de la Défense et les quatre plus grands producteurs d’armement, monta une société écran, le Metal Forschungsinstitut Gmbh (Mefo), une société anonyme à responsabilité limitée dite « Recherches sur les métaux », servant de base juridique à des lettres de change tirées, pour la plus grande partie, par des fournisseurs de l’armée. Ces derniers, ne payaient plus leurs fournisseurs en reichsmark, mais en bons ou « effets Mefo » dont la signature d’acceptation était garantie à l’égard de la Banque du Reich par le Reich lui-même.

Les effets Mefo avaient toujours échéance à trois mois, mais étaient prolongeables pour cinq ans au maximum. La Banque du Reich s’engageait à escompter les effets en tout temps si ceux-ci étaient présentés trois mois après leur date d’émission. Si le tireur avait besoin d’argent liquide auparavant, il pouvait vendre l’effet à une banque ou à un tiers. Les banques acceptaient volontiers ces effets en raison de leur convertibilité garantie auprès de la Banque du Reich. Ainsi les effets Mefo pouvaient remplacer les encaisses liquides et mobiliser des montants qui seraient, sans cela, restés inutilisés. On évitait tout accroissement de la circulation fiduciaire. D’autre part, on ne pouvait créer des disponibilités en effets Mefo que dans certaines limites, et l’émission devait se tenir dans le cadre des crédits à court terme disponibles sur le marché.

Ensuite, le gouvernement Hitler força les caisses d’épargne et les banques commerciales à investir jusqu’à 30 % de leurs dépôts dans des effets Mefo ! Pour les municipalités, c’était 90 %, et des ratios similaires étaient imposés aux caisses d’assurance publiques et privées ! C’est à peu de détails près ce qui vient de se passer cette année avec les preferentes (actions préférentielles) de Bankia en Espagne !

De cette façon « magique », Schacht, a pu contenir l’inflation. La masse monétaire augmenta seulement de 33 % entre février 1933 et février 1938. Mais en même temps, de 1934 a 1938, c’est 12 milliards de reichsmarks qui furent créés en effets Mefo (non comptabilisés dans la masse monétaire). L’on peut imaginer quelle aurait été l’inflation si cet argent avait été de l’émission monétaire pure. Se pose alors la question fondamentale : comment cet empire de valeurs papier peut se maintenir puisque la production d’armement, si elle crée de l’emploi pendant un certain temps, n’engendre en aucune façon des instruments permettant de multiplier la création de richesses futures... ?

Brochure de la BRI de 2007. La troisième figure à partir du haut est Hjalmar Schacht.

C’est là où, pour obtenir du solide en échange de ce qui s’apparente à de simples jetons qu’on multiplie à bon compte à l’intérieur d’un casino, il faut des hommes armés et une dictature pour les faire accepter à l’extérieur du casino, c’est-a-dire dans le monde réel. C’est bien là que Schacht va appliquer à l’Allemagne une politique d’auto-cannibalisation qui aboutira, par sa logique infernale, aux camps d’extermination des « bouches inutiles » et des populations « en excès » ainsi qu’aux guerres de conquête territoriale dictées pour l’essentiel par le besoin de ressources (or autrichien et tchécoslovaque, charbon polonais, eau lourde norvégienne, etc.), dont le complexe militaro-financier cherchait à s’accaparer.

Bien qu’en septembre 1939, la BRI, se drapant dans la neutralité, cessa d’organiser les rencontres entre banquiers centraux, elle continua, au nom de l’impérative nécessité de préserver la « stabilité financière », de faciliter des transactions de très haut niveau entre des pays en guerre. Soulignons que le régime nazi, pour faire son shopping à l’étranger, se servait, non pas de marks, mais de francs suisses fournit par la BRI.

Après l’entrée dans Prague, Hitler exige et obtient de la BRI la restitution des dépôts d’or tchécoslovaque à l’Allemagne qui vient d’avaler ce pays. Au printemps 1939, Pierre Mendès France, qui avait étudié de près la formation de la BRI, déplore le fait qu’on ait de nouveau cédé à Hitler. Pessimiste sur l’avenir de la paix mais volontariste contre Hitler, il conclut à ce propos :

Le problème de la BRI n’est donc pas un problème juridique ou financier. C’est l’un des aspects de la politique générale de l’Europe actuelle. La BRI n’est que l’un des terrains sur lesquels se déroule la grande guerre blanche qui dure depuis de longs mois et semble devoir se prolonger encore. Mener cette guerre blanche sur certains domaines et négliger les moyens d’action dont on dispose sur d’autres, c’est une impardonnable défaillance.

Les transferts de l’or autrichien et tchécoslovaque, consentis par la Banque d’Angleterre présidée alors par Montagu Norman, feront scandale. Fallait-il vraiment offrir des facilités financières à Hitler pour préserver la « stabilité financière » ?

Du capitalisme financier au fascisme financier

Ce n’est qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale que l’on « découvre » que l’or fourni par l’Allemagne à la BRI provenait en fait des stocks d’or de la Belgique et des Pays-Bas pillés par les nazis. Ce n’est pas étonnant puisque la BRI était truffée de sympathisants enthousiastes du régime Hitlérien.

Rappelons que c’est à la demande d’Hitler que Schacht redevint président de la Reichsbank en 1933, position qu’il cumulera à partir de 1934 avec celle de ministre de l’Economie. (Ah bon ? je croyais que les ministres n’avaient rien à voir avec le Conseil d’administration de la BRI… )

Jusqu’en 1936, Hitler donna carte blanche à Schacht. En janvier 1937, il est nommé membre honoraire du parti nazi et décoré de la Swastiska d’or. Cependant, Schacht, mis en concurrence avec Goering, démissionna de son ministère en 1937 et de la Reichsbank en 1939, estimant que les dépenses d’armement excessives allaient réveiller l’inflation et ruiner les finances allemandes. Schacht restera cependant ministre sans portefeuille jusqu’en 1943. A partir de cette date, toute personne intelligente savait que le régime était condamné et rejoignait éventuellement, comme Schacht, la Résistance. C’est sans doute pour cela que la brochure de 2007 de la BRI exhibe encore fièrement son portrait...

La solution finale

Walter Funk, le ministre de la Propagande d’Hitler en 1933, succéda à Schacht à la tête de la Reichsbank en 1939, et devint également ministre de l’Economie du IIIe Reich en 1938. En tant que banquier central allemand, il siégeait d’office au conseil d’administration de la BRI et le vice-président de la Reichsbank chargé des transferts en or, Emil Puhl en faisait également parti.

Heinrich Himmler, grand patron des SS et Rudolf Hess, admirant la maquette du camp de concentration de Dachau.

En 1942, Funk conclut un accord avec Himmler, à la tête des SS et un des architectes de la Shoah : les possessions, l’argent, les titres de valeurs, les bijoux et enfin l’or dentaire récupéré sur les Juifs et tous ceux envoyés aux camps de la mort, seraient transmis à la Reichsbank. Cette dernière les revendrait et mettrait l’argent sur un compte spécial portant le nom fictif de « Max Heiliger » [1], permettant l’autofinancement des SS et l’expansion des camps de la mort. Funk et Puhl ont été condamnés par le Tribunal de Nuremberg.

Parmi les autres administrateurs de la BRI de cette époque sombre, mentionnons Hermann Schmitz, le grand patron du cartel de la chimie IG Farben. L’entreprise, productrice du gaz zyklon B employé pour l’élimination des opposants et des races jugées « inférieures », avait des accords juteux avec le cartel pétrolier de la famille Rockefeller, Standard Oil, et exploitait l’usine d’Auschwitz dont le tristement célèbre camp de concentration n’était qu’une annexe. Le banquier et baron Kurt von Schröder, directeur de la Stein Bank de Cologne, la banque de la Gestapo, était lui aussi administrateur de la BRI, comme l’atteste le rapport annuel de la BRI de 1944.

Charles Higham, dans Trading with the ennemy, note que « la BRI était un instrument d’Hitler, mais son existence fut appuyée par la Grande-Bretagne, même après que ce pays entra en guerre contre l’Allemagne, et le directeur britannique de la BRI Sir Otto Niemeyer, ainsi que Montagu Norman, restèrent en fonction pendant la guerre ». Pour Higham, la BRI était devenue un « moyen de faire transiter des fonds britanniques et américains vers les coffres d’Hitler ».

Roosevelt voulait liquider la BRI

Dexter White (à gauche), l’envoyé de Franklin Roosevelt à la Conférence de Bretton Woods et l’économiste impérialiste John Maynard Keynes, à peu près en désaccord sur tout. Alors que White voulait supprimer la BRI au plus vite, Keynes la jugea un instrument très utile pour l’avenir de l’Empire britannique.

A la dernière session de la conférence de Bretton Woods de 1944, la Norvège proposa officiellement qu’on « liquide au plus vite » la BRI.

La motion fut violemment combattue par l’économiste impérialiste britannique John Maynard Keynes et le département d’Etat américain (plusieurs présidents de la BRI n’étaient-ils pas des Américains… ?).

En face, Henry Morgenthau, le secrétaire au Trésor américain, et Dexter White, le représentant de Franklin Roosevelt, s’opposaient à Keynes sur toute la ligne en soutenant la motion norvégienne, et la résolution finale des accords de Bretton Woods appelle à « la liquidation de la BRI le plus tôt possible ». Morgenthau, dans le New York Herald Tribune du 31 mars 1946 dira : « A cette époque je voulais transférer le centre financier du monde de Wall Street et de la City de Londres, à Washington. » Malheureusement, Roosevelt mourut en 1945.

Entre-temps, les banquiers recommencèrent leurs grands rendez-vous à Bâle et en 1948, grâce à Harry Truman, la motion fut officiellement révoquée. A nous de finir le travail !

La BRI, combien de divisions ?

Les 18 personnes qui siègent au Conseil d’administration (Board of Directors) élisent leur président. Par leur vote ils en désignent un président (A l’heure actuel le Français Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, ami intime de Michel Pébereau de BNP Paribas et opposant virulent à tout retour à Glass-Steagall). Le CA est composé de trois types de membres : sont membres ex-officio (de fait) : uniquement les gouverneurs des banques centrales de Belgique, de France, d’Allemagne, d’Italie, du Royaume Uni et (depuis 1994) des Etats-Unis (avant il s’agissait de représentants de grandes banques américaines actionnaires : JP Morgan, First National Bank of New York et First National Bank of Chicago).

Les administrateurs supplémentaires nommés par les banques centrales le sont pour une période de trois ans, mais rééligible. Les statuts de la BRI prévoient l’élection, par une majorité aux deux tiers, de seulement 9 autres gouverneurs de banques centrales membres.

Selon certaines sources, le CA et son directeur ne sont qu’une façade et les vraies décisions sont prises par un « club interne » d’une demi-douzaine de banquiers centraux dont le sort est intimement lié. En seraient membre : l’Allemagne, les Etats-Unis, l’Angleterre, la Suisse, l’Italie et le Japon, mais pas la France…

221 milliards de dollars de dépôts. En 2013, 60 banques centrales du monde sont actionnaires de la BRI. En date du 26 mars 2006, la BRI abrite 221 milliards de dollars, dont 5,8 milliards de ses fonds propres. Lors de la fondation de la BRI en 1930, les banques (centrales et privées) actionnaires pouvaient soit acheter des actions de la BRI et éventuellement les revendre à leurs clients. En 2007, 86 % des actions de la BRI restaient détenus par les banques centrales, 14 % par le privé. Dans les années 1930, le privé détenait environ 30% des actions. Aujourd’hui, tout est dans les mains des banques centrales. Tous les actionnaires reçoivent les dividendes de la BRI.

712 tonnes d’or. Le rapport annuel de la BRI de 2005 indique que 712 tonnes d’or sont déposées dans ses caves sans indiquer la répartition de cette quantité entre membres et la banque elle-même.

7 % des réserves de change du monde. La BRI dispose d’une vaste panoplie de services financiers pour assister les banques centrales dans la gestion de leurs réserves externes. A peu près 140 banques centrales et institutions financières internationales ont des dépôts à la BRI. En mars 2006, les dépôts en devises totalisaient environ 186 milliards de dollars, à peu près 7 % des réserves de change du monde. Depuis mars 2003, elles ne sont plus calculés en Franc suisse or mais en Droits de tirage spéciaux (DTS) une monnaie fiat conçue par le FMI dont la valeur est définie à partir d’un panier de monnaies : 44 % dollar américain, 34 % euro, 11 % yen japonais, 11 % livre sterling).

La plupart de ces fonds servent des placements de banques commerciales et des achats d’obligations d’Etat à court terme. La BRI gère également des opérations de change et des transactions en or pour ses clients. La BRI prête également à court terme, avec ou sans collatéral, des fonds qu’elle reçoit d’autres banques centrales. A plusieurs reprises, la BRI a secouru des pays avec l’appui d’un groupe de banques centrales dirigeantes. Par exemple, en 1998, la BRI a organisé une ligne de crédit de plusieurs milliards de dollars pour le Brésil.

La BRI, mère de l’Euro. Dans un résumé de son histoire, la BRI souligne son rôle dans la naissance de l’euro : « Depuis 1964, le comité des gouverneurs des banques centrales des pays membres du Marché commun (CEE) se rencontraient régulièrement à Bâle. A partir de 1972, la BRI gérait le "serpent monétaire", un mécanisme commun permettant de réduire les fluctuations entre les monnaies européennes. En 1979, le Système monétaire européen fut crée et l’Unité de compte européenne (ECU) mis en place. La BRI a fourni le secrétariat et a agi comme son agent. Au début des années 1980, les gouverneurs des banques centrales de la CEE, réuni à Bâle, ont été les artisans du cadre de l’union monétaire incorporée dans le Traité de Maastricht (Le "Comité Delors"). Issu de ce traité, l’Institut monétaire européen (IME), le précurseur de la Banque centrale européenne (BCE) a été créé le 1er janvier 1994. Le déménagement de Bâle à Francfort, en novembre 1995, a mis un terme à l’implication directe de la BRI dans l’unification monétaire européenne ».


Annexe 1

Charte constitutive
de la Banque des Règlements Internationaux

(du 20 janvier 1930)

Extraits :

Considérant que les Puissances signataires de l’Accord de La Haye de janvier 1930 ont adopté
un Plan qui envisage la création par les banques centrales d’Allemagne, de Belgique, de France, de Grande-Bretagne, d’Italie et du Japon et par un établissement financier ou groupe bancaire des États-Unis d’Amérique d’une banque internationale qui sera appelée la « Banque des Règlements Internationaux » ;

et considérant que lesdites banques centrales et un groupe bancaire comprenant MM. J. P. Morgan & Co. de New York, The First National Bank of New York, New York, et The First National Bank of Chicago, Chicago, ont entrepris de fonder ladite banque et ont garanti ou pris des mesures pour faire garantir la souscription de son capital autorisé s’élevant à cinq cents millions de francs suisses, équivalant à 145 161 290,32 grammes d’or fin et divisé en deux cent mille actions ;

et considérant que le Gouvernement fédéral suisse a conclu, avec les Gouvernements d’Allemagne, de Belgique, de France, de Grande-Bretagne, d’Italie et du Japon une convention par laquelle il a accepté d’accorder la présente Charte constitutive de la Banque des Règlements Internationaux, s’engageant à ne pas abroger cette Charte, à n’y apporter ni modifications, ni additions et à ne pas sanctionner les modifications aux Statuts de la Banque visées au paragraphe 4 de la présente Charte, si ce n’est d’accord avec lesdites Puissances ;

(…)

6. La Banque est libre et exempte de tous impôts rentrant dans les catégories suivantes :

a) droits de timbre, d’enregistrement et autres droits, sur tous actes ou autres documents ayant trait à la constitution ou à la liquidation de la Banque ;

b) droits de timbre et d’enregistrement sur toute émission initiale des actions de la Banque souscrites par une banque centrale, par un établissement financier, par un groupe bancaire ou par une personne ayant pris ferme soit à la création de la Banque, soit avant, soit en vertu des dispositions des articles 5, 6, 8 et 9 des Statuts ;

c) tous impôts sur le capital de la Banque, ses réserves ou ses bénéfices distribués ou non, qu’ils frappent ces bénéfices avant distribution ou qu’ils soient perçus au moment de la distribution, sous forme d’une taxe à payer ou à retenir par la Banque sur les coupons. Cette stipulation ne porte pas atteinte au droit de la Suisse d’imposer les personnes résidant en Suisse autres que la Banque, comme elle le juge opportun ;

d) tous impôts sur tous contrats que la Banque pourra conclure en liaison avec l’émission d’emprunts de mobilisation des annuités allemandes et sur les titres d’emprunts de cette nature émis sur un marché étranger ;

e) tous impôts sur les rémunérations et les salaires payés par la Banque à ses administrateurs et à son personnel n’ayant pas la nationalité suisse.

7. Toutes les sommes déposées à la Banque par n’importe quel Gouvernement en vertu des dispositions du Plan adopté par l’Accord de La Haye de janvier 1930 seront libres et exemptes d’impôts à percevoir soit par voie de retenue par la Banque agissant pour le compte de l’autorité imposante, soit de toute autre manière.

8. Les susdites exemptions et immunités s’appliqueront aux impôts présents et futurs, sous quelque nom qu’on les désigne et qu’il s’agisse d’impôts de la Confédération, de cantons, de communes ou d’autres autorités publiques.

9. En outre, sans préjudice aux exemptions spécifiées ci-dessus, il ne pourra être levé sur la Banque, ses opérations ou son personnel, aucun impôt qui n’aurait pas un caractère général et auquel les autres établissements bancaires établis à Bâle ou en Suisse, leurs opérations ou leur personnel, ne seraient pas assujettis en droit et en fait.

10. La Banque, ses biens et avoirs, ainsi que les dépôts ou autres fonds qui lui seront confiés, ne pourront faire, ni en temps de paix, ni en temps de guerre, l’objet d’aucune mesure telle que expropriation, réquisition, saisie, confiscation, défense ou restriction d’exporter ou d’importer de l’or ou des devises ou de toute autre mesure analogue ;

11. Tout différend entre le Gouvernement suisse et la Banque concernant l’interprétation ou l’application de la présente Charte sera soumis au Tribunal arbitral prévu à l’Accord de La Haye de janvier 1930.

Source : BRI

Annexe 2

Comment, à partir d’une dette, fabriquer une guerre

Chronologie des réparations allemandes après la 1ère guerre mondiale

Le parti d’Hitler sortant du Traité de Versailles

1919 : L’article 231 du Traité de Versailles déclare l’Allemagne « responsable, pour les avoir causés, de tous les dommages subis par les gouvernements alliés, par suite de la guerre qui leur avait été imposée par son agression ». Cet article constitue la base juridique des réparations imposées à l’Allemagne vaincue. Une Commission des réparations est chargée d’en évaluer le montant, d’en établir les délais de paiement et d’en déterminer la répartitions entre les pays bénéficiaires. En attendant, l’Allemagne devra payer 20 milliards de marks-or avant le 1er mai 1921.

1920 : La Conférence de Spa fixe les pourcentages attribués aux différents pays bénéficiaires : 52 % pour la France ; 22 % pour l’Empire britannique ; 10 % pour l’Italie ; 8 % pour la Belgique. Les Français estiment que le montant total des dommages subis par les Alliés s’élève à 226 milliards de marks-or.

1921 : La Conférence de Londres évalue le montant des dommages subis par les Alliés à 150 milliards de marks-or et fixe le montant des réparations que devra payer l’Allemagne à 132 milliards de marks-or.

Janvier 1923, Les troupes française et belges occupent la Ruhr pour confisquer la production de charbon, de fer et d’acier afin d’obtenir les montants dus par l’Allemagne.

1923 : L’Allemagne confrontée à une grave crise financière déclare qu’elle n’est pas en état de payer les réparations et sollicite un moratoire. Le gouvernement français décide l’occupation militaire de la Ruhr, la plus importante région industrielle allemande, pour l’obliger à payer. Cette occupation provoque un profond ressentiment anti-français dans la population alors que le gouvernement allemand décrète la « résistance passive » qui se traduit par une grève générale, des attentats, des sabotages, ce qui accélère l’effondrement du mark. Les Alliés américains et britanniques conseillent la modération. Très isolée, la France doit retirer ses troupes de la Ruhr sans contrepartie.

1924 : Le plan Dawes accorde un prêt américain à l’Allemagne pour l’aider à effectuer ses premiers versements et fait adopter le principe d’annuités progressives fondées sur son redressement économique.

1929 : Le plan Young abaisse le montant des réparations à 38 milliards de reichmarks payables en 59 annuités jusqu’en 1988.

1931 : Le moratoire Hoover suspend pendant un an le paiement des réparations et des dettes interalliées.

1932 : La conférence de Lausanne ramène le total des réparations à 3 milliards de marks qui ne seront jamais payés.

1933 : Parvenu au pouvoir, Hitler met fin définitivement au paiement des réparations. Au total, l’Allemagne n’a versé que 22,8 milliards de marks au lieu des 132 prévus initialement. Durant l’entre-deux-guerres, la question des réparations a empoisonné les relations franco-allemandes, mais aussi les relations entre la France et ses anciens alliés, en particulier les États-Unis. C’est ainsi que la France faisait dépendre le remboursement de ses dettes de guerre aux États-Unis, au paiement par l’Allemagne des réparations imposées par les vainqueurs. De leur côté, les États-Unis, bien qu’ils n’aient finalement ratifié ni leur adhésion à la Société des Nations, ni le traité de Versailles, se posèrent en arbitres et s’efforcèrent de trouver un compromis entre l’Allemagne qui se déclarait insolvable, et les pays qui, comme la France, persistaient à vouloir la faire payer.

C’est ainsi que les plans Dawes et Young portent le nom des experts américains qui les ont négociés. De même, le moratoire Hoover qui a suspendu le paiement des réparations allemandes et des dettes interalliées porte le nom du président républicain qui a succédé à Wilson aux États-Unis. En Allemagne, la question des réparations a amplifié le ressentiment contre la France et nourri un révisionnisme revanchard qu’ont largement exploités Hitler et les nazis dans leur conquête du pouvoir.

La taille de la dette allemande par rapport au PIB : 295% lors du Traité de Versailles de 1920, 123% lors du plan Dawes en 1924, 80% lors du plan Young et 19% lors de la Conférence de Lausanne de 1932.

En France, elle a alimenté un nationalisme cocardier et chauvin, et entretenu l’illusion que tous les problèmes financiers seraient résolus, sans avoir à exiger d’efforts des Français, convaincus que l’Allemagne paierait. En réalité, la France n’a pu éviter en 1928 une dévaluation de sa monnaie qui a perdu les 4/5 de sa valeur par rapport à 1914. Au total, la France n’a touché que 9,5 milliards de marks, alors qu’elle devait en percevoir plus de 68.

Source : Histoire et mémoire des deux guerres

Bibliographie :
— The Bank for International Settlements, Organisation and history, BIS Archive guide, 2007.
— Statuts de la Banque des règlements internationaux, BRI, Bâle.
— Confessions of the Old Wizard, The Autobiography of Hjalmar Horace Greeley Schacht, Diane Pike, Houghton Mufflin Company, Boston, 1956, The Riverside Press, Cambridge.
— Le banquier américain de Hitler, Marc-André Charguéraud, Editions Labor & Fides, Genève 2004.
— Comment Londres et Wall Street ont mis Hitler au pouvoir, Will Wertz, octobre 2009.
— Fascisme financier hier et aujourd’hui, le choix de la défaite., entretien avec Annie Lacroix-Riz, Nouvelle Solidarité, 28 juillet 2006.
— VIDEO : Banking with Hitler, Paul Elston, Time Watch, BBC 1998.
— Ruling the World of Money, Edward Jay Epstein, Harper’s, 1983.
— L’or dentaire nazi, Xavier Riaud, histoire-medecine.fr.
— Self financing genocide, Gabor Kadar et Zoltan Vagi, Central European Press, Budapest, Hongrie.


[1Extrait de l’article l’Or dentaire nazi de Xavier Riaud. « La Reichsbank ouvre un compte spécial au nom de Max Heiliger en 1942, suite à un coup de téléphone du Général SS Frank au vice-président de la Reichsbank, Emil Puhl. Peu de temps après, Albert Thoms doit accuser réception des livraisons des pillages des SS, dont le montant après estimation est crédité sur le compte Max Heiliger qui n’existe pas. Ce n’est qu’un pseudonyme. Avec la débâcle allemande, ce compte est pour une partie attribué au service économique de la NSDAP dirigé par un homme de Bormann, Erich Von Hummel. C’est à la demande de Bormann que Puhl accepte ce transfert, Bormann ayant compris le secret du mystérieux compte début 1944. Le rapport d’interrogatoire de Thoms, daté du 8 mai 1945, explique en détail l’organisation de la Reichsbank : « Le chef de Brigade SS Frank m’a informé que les livraisons se feraient par camions, sous la direction d’un SS nommé Melmer. Je dois lui établir une quittance provisoire pour les caisses livrées. Melmer doit me signaler plus tard, sur quel compte, le montant des objets doit être crédité. A la livraison, les marchandises sont inventoriées et réparties dans les départements correspondants de la Reichsbank. Par la suite, une liste véritable des objets livrés est dressée et une quittance définitive est remise en mains propres à Melmer. Celui-ci m’informe que le montant des livraisons doit être versé sur le compte de Max Heiliger. Je signale la chose par téléphone à Patzer, directeur des comptes au Ministère des Finances, qui valide la transaction, que je confirme à Melmer, le 16/11/1942. Le 26 août 1942, Melmer, vêtu de civil et accompagné de deux sentinelles SS en uniforme, achemine la première livraison : des conteneurs scellés qui sont ouverts au département des métaux précieux de la Reichsbank. Un des premiers signes de l’origine de ces conteneurs est l’estampillage de certaines caisses au nom des camps de concentration de provenance, Lublin et Auschwitz, notamment. La dixième livraison, celle de novembre 1942, inclut pour la première fois de l’or dentaire. Les suivantes en contiennent d’importantes quantités, s’accroissant de manière inhabituelle. Les transports se font généralement la nuit, des bâtiments du WVHA [organisation logistique des SS] à Berlin, vers la Reichsbank berlinoise. »