Le handicap n’est pas un obstacle au militantisme

mercredi 12 juin 2013

par Brigitte Martin
Militante Solidarité & Progrès, Moselle

Le président Franklin D. Roosevelt dans son fauteuil roulant
Photographié seulement deux fois en fauteuil roulant, Roosevelt, paralysé, tira les Etats-Unis de la crise économique, remit les banquiers à leur place et organisa la défaite de Hitler pendant la Seconde Guerre mondiale.
Ainsi, son handicap ne l’a pas empêché de se faire une place d’honneur dans l’histoire.

Je suis arrivée en 1986, quand Solidarité et Progrès s’appelait le Parti ouvrier européen (POE), au moment où les mauvaises langues, à travers les médias, liaient le parti à l’assassinat du Premier ministre suédois Olof Palme. Si je m’étais arrêtée à ça...

L’essentiel était alors de me faire une place dans la société, qui plus est, une société qui ne voulait pas de moi. Ma venue au monde fut assortie d’un handicap physique (je me déplace en chaise roulante) auquel la société eut tôt fait de m’ajouter un handicap mental qui n’était pas, bien qu’elle eût grandement voulu qu’il existât.

Même si j’ai l’habitude, chez Solidarité et Progrès, de me mobiliser pour de nombreuses questions importantes, dont la lutte en faveur de la séparation stricte des banques, je vais me concentrer ici sur le problème du handicap, car le Républicain lorrain publiait justement, le 13 février 2013, un article intitulé « Il faut continuer à parler du handicap ». Je vais donc vous en parler, mais ce ne sera pas une habitude car je préfère en général parler d’autres choses.

Une rencontre s’est tenue à Metz le 20 février 2013. C’était le « Deuxième rendez-vous pour construire une société inclusive », organisée par l’Institut régional de travail social (IRTS) de Lorraine. Cette rencontre a tourné autour de la loi 2005-102 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Il s’agit d’un texte très important adopté le 11 février 2005, qui a permis de réaffirmer les droits des personnes en situation de handicap.

Au cours de cette journée, j’ai retenu trois intervenants :

M. Dominique Trabucco : chef de projets à la mission handicap à la ville de Metz et personne à mobilité réduite.

M. Trabucco a pris l’exemple du Centre Pompidou de Metz, extension de celui de Paris, qui a ouvert ses portes en 2010, cinq ans après la promulgation de la loi. Aujourd’hui encore, a-t-il dit, sa bibliothèque est inaccessible aux personnes en situation de handicap. Il y manque des aménagements pour les personnes sourdes et muettes, aveugles ou mal voyantes, et le lieu reste hors d’atteinte pour les personnes à mobilité réduite. Ces propos ont été confirmés par M. Jules Coly, chargé de l’accueil et de l’information des publics au Centre Pompidou.

Monsieur Trabucco reconnaît que les barrières sont dans les esprits et qu’elles doivent tomber. Il faut noter cependant que s’il était intervenu en temps et en heure, la bibliothèque serait accessible à tous. En n’étant pas dans l’action dans le cadre de son travail et en oubliant de saluer les personnes en situation pareille à la sienne, il met les barrières tout seul.

Monsieur Hamou Bouakkaz : adjoint au Maire de Paris, chargé de la démocratie locale et de la vie associative.

M. Bouakkaz n’a pas la vue mais il a un regard. Au cours de sa présentation intitulée « Un autre regard sur la société inclusive », il a montré ce que la France avait donné à lire et à écrire aux enfants sourds et muets, aveugles et mal voyants au cours des décennies. Ce bilan est très positif, mais la France, a-t-il conclu, a encore beaucoup à donner de ce côté-là.

Les éléments inclus dans sa conversation n’ont pas moins d’intérêt :

  • A propos de la cécité : « J’ai rencontré une personne qui me dit : "vous avez un sixième sens" ; j’ai répondu : "Je ne peux pas en avoir six, il m’en manque déjà un". »
  • A propos de ses origines : « Non seulement je suis aveugle, mais je suis arabe. Quand on se retrouve entre collègues, on discute, on prend un verre. Mon ordinaire, c’est l’eau, mais de temps en temps je prends un peu de champagne pour montrer que je suis intégré. »
  • Quant à ses souhaits : « Si on me donne le choix entre la vue et le voyage dans l’espace, je voyage dans l’espace. » Je répondis : « Moi aussi ! »
  • A propos de la société : « Si on ne veut pas avoir d’ennuis dans cette société, il faut être adepte du PIPE. Savez-vous ce que c’est ? Non ? Le PIPE c’est : "Pas d’initiative, pas d’emmerde". Comme je prends beaucoup d’initiatives, qu’est-ce que j’ai comme emmerdes ! »

Avant de retourner à ses obligations, Monsieur Bouakkaz expliqua que s’il était arrivé là où il est aujourd’hui, c’est qu’il a eu une famille qui l’a accompagné, aidé, pour qu’il puisse faire de sa vie ce qu’il souhaitait. Si vous avez des handicapés dans vos familles, il y a de quoi faire.

Maître Louis Bonet : président du Groupement pour l’insertion des handicapés physiques GIHP, juriste de formation.

Handicapé, mobilité réduite. A conscience de la réalité qui nous arrive en pleine figure.

M. Bonet a abordé plusieurs sujets. Comment, génération après génération, à travers les mots, la société n’a pas respecté la personne handicapée. Lorsqu’il a eu la polio à 9 ans, on ne définissait pas le mot handicap, parce on n’en parlait pas. Pour la génération suivante, les mots étaient : infirme, paralysé...

Il a ensuite soulevé les difficultés pour les handicapés de voyager, et de ce fait ils n’ont droit qu’aux écrans : télévision et ordinateur.

Vint une question concernant le service à la personne à domicile, qui vient vous lever trop tard ou vous coucher trop tôt. Maître Bonet eut cette réponse : « Actuellement les services à la personne ferment leurs portes pour des raisons financières (les salaires horaires varient entre 17,80 et 27 euros). Je comprends très bien que vous n’ayez pas envie de vous coucher à 20 heures, mais pour résoudre ce problème, il nous faudrait des services à la personne qui fonctionneraient 24 heures sur 24. » Il invita le public à militer pour récolter des dons, notant que dans la société d’aujourd’hui, « il faut être beau, il faut être rapide, et l’handicapé ne peut pas être compétitif ».

Pour en revenir à l’intitulé de sa présentation, « Encore deux ans et alors... », je laissai Me Bonet achever sa phrase et l’interpellai aussitôt : « Et après ! » Il se tourna vers moi et répondit : « Justement, toute la question est là, et après ? » A cet instant, sans ajouter un mot nous avons, par la pensée, transformé la phrase « encore deux ans et alors... » en « encore deux ans et après ? RIEN ».

Mais « rien », je ne peux et ne dois pas l’écrire, et je me dois de militer avec vous parce que pour Solidarité et Progrès, le handicap est une chance pour la civilisation.

Quelques années avant son premier mandat présidentiel, Franklin Roosevelt fut atteint de la polio. Sans la collaboration de son médecin et de son épouse Eleanor, nous n’aurions jamais entendu parler du Glass-Steagall Act, parce que c’est leur combat commun à tous les trois qui permit à Franklin de devenir président des Etats-Unis.