Participation : De Gaulle le socialiste...

Le pape, le politique et le militaire

jeudi 22 août 2013, par Sébastien Périmony

Familstère de Godin.

Cet article fait partie de notre dossier Jaurès-Roosevelt-de Gaulle, c’est maintenant !

[sommaire]

Ce sont des sociétaires, et non des adversaires, qui, selon nous, doivent assurer ensemble la marche des entreprises (…) Travailleurs ! C’est avec vous, d’abord, que je veux bâtir la France nouvelle. Quand encore une fois, ensemble, nous aurons gagné la partie, en dépit des excitations des destructeurs et des intrigues des diviseurs, on apercevra tout à coup une nation joyeuse et rassemblée où, je vous en réponds, vous aurez votre digne place. Alors, on verra sortir, des voiles qui le cachent encore, le visage radieux de la France !

— De Gaulle, discours prononcé sur la pelouse de Bagatelle, 1er mai 1950

La naissance

Nous sommes face à une situation des plus paradoxales. En effet, après 12 ans de gouvernement de « droite » et donc de soumission de l’intérêt général à l’intérêt de quelques particuliers, nous expérimentons aujourd’hui un gouvernement de « gauche » qui, sous couvert de pragmatisme, poursuit les mêmes réformes anti-sociales (ANI, réforme bancaire, retraites, etc.), poussant toujours plus l’ensemble de la population vers la précarité. A la Roche-sur-Yon, la dame qui a déclaré à notre Président qu’elle ne faisait plus partie de la France d’en bas mais de la France du gouffre avait tout à fait raison : les élites politiques actuelles l’ont abandonné.

La solution réside pourtant dans un plus grand paradoxe encore : la fin de la théorie de la lutte des classes, la fin d’une gauche exploitant la misère sociale à des fins électorales, la fin d’une droite ne défendant que ceux qui la paient (cf. J.F Copé en République du Congo !)... ceci par l’union d’hommes de gauche ayant lu Jaurès et l’ayant compris, de chrétiens sociaux dans la tradition de Léon XIII (voir encadré Rerum Novarum ) et de gaullistes ayant défendu jusqu’au bout le concept de Participation, c’est à dire d’association du capital et du travail. C’est la réunion de ces trois courants, qui fonde une unité que l’on pourrait qualifier de « gaullisme de gauche », que M. Cheminade a défendu lors des dernières élections présidentielles. Ce sont ces trois courants de pensée qui ont lancé depuis deux siècles une bataille pour libérer les ouvriers (i.e apporteurs de travail) du servage des apporteurs de capital (i.e détenteurs des outils de production), afin que ces deux catégories puissent s’unir dans un but commun.

Charles de Gaulle lors de son discours de Bagatelle, le 1er mai 1950.

Cette idée de Participation était déjà en germe dans la pensée de De Gaulle à la sortie de la Seconde guerre mondiale : il l’appelait alors « l’Association ». C’est dans cet esprit qu’il créa les Comités d’entreprises par ordonnance dès février 1945, afin que des représentants des salariés puissent être informés des décisions prises par le chef d’entreprise. A son retour après 1958, il tenta à nouveau de mettre en place cette révolution : d’abord en 1959 puis en 1967.

Toute sa vie il aura cherché à mettre en place un système nouveau situé entre le capitalisme et le communisme. « Depuis toujours, écrira-t-il à Marcel Loichot en 1966, je cherche, un peu à tâtons, la façon pratique de déterminer le changement, non point du niveau de vie, mais bien de la condition de l’ouvrier. Dans notre société industrielle, ce doit être le recommencement de tout, comme l’accès à la propriété le fut dans notre ancienne société agricole. »

Il déclara même devant les Comités professionnels du rassemblement du peuple français le 31 août 1948, qu’il ne considérait pas que « le salariat, c’est à dire l’emploi de l’homme par un autre, doive être la base de l’économie française, ni de la société française. Cela, nous ne l’admettons pas. »

Des paroles à faire rougir de honte des partis comme le Front de gauche. [1]

Pour le Général, la «  solution humaine, française, pratique (…) est dans l’association digne et féconde de ceux qui mettraient en commun, à l’intérieur d’une même entreprise, soit leur travail, soit leur technique, soit leurs biens, et qui devraient s’en partager, à visage découvert et en honnêtes actionnaires, les bénéfices et les risques.  » (Discours de Strasbourg de 1947)

La tentative

Dans la conception du vrai républicain, l’idée centrale n’est pas de protéger les pauvres contre les riches (la « gauche ») ou de protéger les riches contre les pauvres (la « droite »)… mais d’éliminer la pauvreté par le progrès et la solidarité organisés par les lois de la Nation. [2]

Louis Vallon (1901-1981).

Ces fausses idées que sont la lutte des classes, le libre-échange ou encore l’égalitarisme ont toujours engendré de plus grands maux pour la société.

Après la libération de la France, le régime des partis reprit bien vite le contrôle : la division reprit alors le dessus sur l’union des forces de progrès et de solidarité. Les communistes voulaient régner, les socialistes être au pouvoir et la droite reprendre ses affaires… De Gaulle fut dégagé... et son idée d’association avec lui ! A ce titre il n’est de plus riches enseignements que la lecture des deux derniers chapitres du 3ème tome de ses Mémoires de guerre  : Désunion et Départ .

Il faudra donc attendre le 7 Janvier 1959, avec son retour, pour que soit promulguée en France une ordonnance en faveur de l’intéressement des travailleurs à la productivité des entreprises. Cette dernière n’étant pas obligatoire, elle aura malheureusement très peu de conséquence réelle.

La vraie révolution de la participation naîtra avec le vote de l’amendement Louis Vallon à la loi de finances 1965/1966, qui reconnaîtra aux salariés le droit au partage des accroissements d’actifs dégagés dans les bilans des entreprises. Louis Vallon, ancien membre de la SFIO, puis du Parti socialiste de France avant la Seconde guerre mondiale... avait rejoint tout naturellement de Gaulle après la guerre.

René Capitant (1901-1970).

C’est ensuite Marcel Loichot qui posera les vraies bases d’une théorie de la participation dans son ouvrage Pancapitalisme  : selon lui chaque personne doit devenir actionnaire de toute activité économique, en fonction de ce qu’il apporte dans la réalisation du projet (travail, technique ou capital).

En 1946, René Capitant, pour qui « Le vrai gaullisme est à gauche ! », avait fondé avec Vallon l’Union gaulliste - Rassemblement des gauches démocratiques. Pour lui la Participation est LA solution aux problèmes de notre pays, agité par la division permanente en l’absence de but commun.

Ce sont donc Louis Vallon, Marcel Loichot et René Capitant qui tenteront, avec le total soutien de De Gaulle, de révolutionner le système du capitalisme, du salariat, de l’exploitation de l’homme par l’homme, par un système dans lequel chacun, tout simplement, doit pouvoir jouir du fruit de son travail et participer au développement de la société dans son ensemble. Comme le disait de Gaulle :

Le progrès économique, bien sûr c’est nécessaire à la vie d’une nation, c’est essentiel, mais il ne faut jamais oublier que la seule finalité du progrès économique, c’est le progrès social.

Et Marcel Loichot d’ajouter :

L’adoption d’une telle théorie serait d’une portée immense. Elle résoudrait en effet le plus rationnellement du monde l’équilibre jamais obtenu entre revenus, production, consommation, investissements. Elle réaliserait également, pour la première fois dans l’histoire des hommes, la convergence des impératifs moraux ou humanitaires et des exigences du développement économique de la Nation tout entière.

Mais cette idée de participation rencontrera l’opposition généralisée des patrons et des syndicats. Pour une fois ces intérêts contradictoires allaient s’unir... à l’encontre de leur intérêt. Jean Marcel Jeanneney, qui fut en autre ministre de l’Industrie entre 1959 et 1962, témoigne :

Pour échapper en partie à ce blocage, de Gaulle tenta en 1969 de réaliser au moins des formes de participation au sein d’Institutions de droit public, où une loi suffirait à déterminer les catégories de participants et leurs pouvoirs respectifs.

Il voulut qu’au Sénat et dans les Conseils régionaux, qu’il créerait, une place soit faite – aux côtés de membres élus par l’ensemble des citoyens – à des représentants des divers acteurs de la vie économique, sociale et culturelle. Connaissant l’opposition résolue qu’il rencontrerait au Sénat, il décida d’en appeler directement au peuple par référendum. Celui-ci eut lieu le 27 avril 1969. Son projet fut rejeté par 52,4 % des voix. Dès le lendemain, il annonça qu’il cessait ses fonctions.

Tous les partis politiques, à l’exception de l’UDR, avaient fait campagne contre lui, ainsi qu’à peu près tous les Syndicats de salariés, opposés à ce que leurs représentants siègent au Sénat, assemblée politique, et aux Conseils régionaux ayant des pouvoirs de décision, où par leurs propos et leurs votes ils auraient eu à prendre des responsabilités dans les affaires publiques ou dans des questions relatives à la société. Nombre de chefs d’entreprise avaient d’autre part été incités à ce rejet par l’annonce faite qu’un projet de loi ordinaire était en préparation qui tendrait à imposer certaines modalités de participation des salariés à la gestion des entreprises.

Manipulée par les différents partis, incapable d’entrevoir, au delà des divisions apparentes, les intérêts communs, la société n’a jamais réellement compris l’idée de participation que de Gaulle, en idéaliste social, n’aura cessé de promouvoir. Jusqu’au dernier moment, le Général aura fait œuvre de pédagogie, toujours s’expliquant, lors de ces célèbres interviews avec Michel Droit. Dans celle du 7 Juin 1968, il essayait encore :

Il y a une troisième solution : c’est la participation. Elle change la condition de l’homme au milieu de la civilisation moderne. Dès lors que des gens se mettent ensemble pour réaliser une oeuvre économique commune, en apportant, qui les capitaux nécessaires, qui les compétences de direction, de gestion et de technique, qui le travail, ils forment une société dans laquelle chacun doit être intéressé tant au fonctionnement qu’à la rentabilité, donc aux profits. Cela implique que soit attribuée, de par la loi, la juste part à chacun. 

L’échec du référendum de 1969 allait mettre fin au projet de participation tel que l’entendaient les vrais socialistes, les vrais chrétiens et les vrais républicains …. Car de Gaulle partit.

De Gaulle, fidèle successeur des socialistes

L’un des pionniers de la participation fut également l’un des pionniers du socialisme républicain : il s’agit de l’inventeur et industriel Jean-Baptiste André Godin (1817-1888).

En fondant le Familistère de Guise (Aisne), il voulut créer la « République du travail ». Il avait inventé ce que chacun d’entre nous a vu au moins une fois dans sa vie : les poêles et appareils ménagers en fonte de fer – jusqu’à son époque fabriqués en tôle.

Ce fut une grande innovation pour les ménagères. Godin était de ces hommes qui disent les choses simplement car ils savent qu’elles sont vraies : «  Je ne baisserai jamais les salaires, car la baisse des salaires entraîne une baisse de la consommation, qui est néfaste pour tous. »

Dans son Familistère, qu’il considérait comme « une association coopérative du capital et du travail », il y avait l’eau courante pour les ouvriers, une école pour les enfants jusqu’à l’âge de 14 ans, une école de musique, un gymnase et enfin un théâtre. Il mit même en place un système de sécurité sociale... et vécut auprès de ses ouvriers, non dans un château à quelques kilomètres de l’usine ! Bref, une vraie république en petit...

Le Familistère de Guise était considéré comme le berceau d’une utopie sociale, embryon de la participation gaullienne… idée qui fut développée dès 1830 par des penseurs comme Fourier ou encore Victor Considerant, qui avec l’appui de Godin, tenta de bâtir au Texas un autre familistère. En rentrant en France, Considerant rejoignit la première Internationale et soutint la Commune en 1871. Mais le marxisme, prônant la lutte des classes, et le capitalisme défendant l’exploitation totale des masses, serviront de terreau pour plonger le monde dans le chaos des deux guerres mondiales du début du 20ème.

Cette utopie sociale, que seul de Gaulle voulut faire revivre une fois au pouvoir, est restée aux oubliettes jusqu’à aujourd’hui.

Il est temps de faire revivre cette utopie positive, celle qui tend à associer plutôt qu’à diviser, à créer plutôt qu’à prendre, à élever les individus de tout rang à la dignité d’homme. Il faut que chaque classe cesse de risquer tout à tout instant. Il est temps, chers concitoyens, de comprendre que les meilleurs hommes des meilleurs courants idéologiques ayant façonné l’histoire de notre pays se rejoignaient sur un point, exprimé ainsi par J. Jaurès :

Tout individu humain a droit à l’entière croissance. Il a donc le droit d’exiger de l’humanité tout ce qui peut seconder son effort. Il a le droit de travailler, de produire, de créer, sans qu’aucune catégorie d’hommes ne soumette son travail à une usure ou à un joug.

La participation conçue par de Gaulle ne fut pas simplement une loi pour changer la vie des citoyens : elle fut une loi pour que les citoyens se changent la vie eux-mêmes.

En un mot : PARTICIPEZ !

Le pape Léon XIII : Extrait de Rerum Novarum, l’encyclique révolutionnaire en 1891

432 La richesse a afflué entre les mains d’un petit nombre et la multitude a été laissée dans l’indigence. (…) 434 (…) Ainsi, peu à peu, les travailleurs isolés et sans défense se sont vu, avec le temps, livrés à la merci de maîtres inhumains et à la cupidité d’une concurrence effrénée (…) 435 Les socialistes, pour guérir ce mal, poussent à la haine des pauvres contre les riches.

464. Les chefs d’État doivent d’abord apporter un concours d’ordre général par tout l’ensemble des lois et des institutions. Nous voulons dire qu’ils doivent agir en sorte que la constitution et l’administration de la société fassent fleurir naturellement la prospérité, tant publique que privée. (…) De même donc que, par tous ces moyens, l’Etat peut se rendre utile aux autres classes, de même il peut grandement améliorer le sort de la classe ouvrière. Il le fera dans toute la rigueur de son droit et sans avoir à redouter le reproche d’ingérence ; car en vertu même de son office, l’Etat doit servir l’intérêt commun.

487 Les sociétés privées n’ont d’existence qu’au sein de la société civile dont elles sont comme autant de parties. (…) Le droit à l’existence leur a été octroyé par la nature elle-même, et la société civile a été instituée pour protéger le droit naturel, non pour l’anéantir. C’est pourquoi une société civile qui interdirait les sociétés privées s’attaquerait elle-même, puisque toutes les sociétés, publiques et privées, tirent leur origine d’un même principe : la naturelle sociabilité de l’homme.

Assurément, il y a des cas qui autorisent les lois à s’opposer à la formation de sociétés de ce genre.

Si une société, en vertu même de ses statuts, poursuivait une fin en opposition flagrante avec la probité, avec la justice, avec la sécurité de l’Etat, les pouvoirs publics auraient le droit d’en empêcher la formation et, si elle était formée, de la dissoudre. (...) l’autorité publique doit tout d’abord les sauvegarder en arrachant les malheureux ouvriers des mains de ces spéculateurs qui, ne faisant point de différence entre un homme et une machine, abusent sans mesure de leurs personnes pour satisfaire leur cupidité.

Le politique Jaurès :  Les misères du patronat , La dépêche, 28 Mai 1890

Jean Jaurès lors de son discours du Pré-Saint-Gervais le 25 mai 1913.

C’est une erreur grave de croire que le socialisme ne s’intéresse qu’à une classe, la classe des ouvriers, des producteurs manuels. S’il en était ainsi, il remplacerait simplement une tyrannie par une tyrannie, une oppression par une oppression. Lorsque Danton disait : “nous voulons mettre dessus ce qui est dessous, et dessous ce qui est dessus” , c’était le mot d’un politicien révolutionnaire excitant les convoitises dans un intérêt passager ; ce n’était pas le mot d’un socialiste. Le socialisme vrai ne veut pas renverser l’ordre des classes ; il veut fondre les classes dans une organisation du travail qui sera meilleure pour tous que l’organisation actuelle. (…) la vraie doctrine socialiste (…) c’est le bien de la nation tout entière, dans tous ses éléments sains et honnêtes, qu’elle veut réaliser. (…)

De même, dans la moyenne industrie, il y a beaucoup de patrons qui sont à eux-mêmes, au moins dans une large mesure, leur caissier, leur comptable, leur dessinateur, leur contre-maître : et ils ont, avec la fatigue du corps, le souci de l’esprit que les ouvriers n’ont que par intervalles. Ils vivent dans un monde de lutte où la solidarité est inconnue. Jusqu’ici, dans aucun pays, les patrons n’ont pu se concerter pour se mettre à l’abri, au moins dans une certaine mesure, contre les faillites qui peuvent détruire en un jour la fortune et le crédit d’un industriel.

De plus les industriels moyens sont de plus en plus menacés par la coalition des puissants qui, en se syndiquant, disposent des prix, font la loi sur le marché et éliminent la concurrence. Et ces spéculations, auxquelles la moyenne industrie ne prend aucune part, peuvent la ruiner en un jour. (…)

Ce n’est pas avec les sentiments de colère ou de convoitise que les hommes devraient se regarder les uns les autres, mais avec une sorte de pitié réciproque qui serait peut être le prélude de la justice. Ce n’est pas une œuvre de haine, ce n’est pas une œuvre de classe que le socialisme entreprend en proposant aux hommes une autre organisation du travail ; c’est une œuvre humaine, qui profitera aussi bien en définitive à la bourgeoisie qu’au peuple.


[1Les 17 et 18 juillet 2013, la réforme bancaire tant attendue – par les banquiers surtout ! – a été définitivement adoptée à l’Assemblée nationale et au Sénat. Le Front de gauche s’est courageusement abstenu lors du vote.

[2Comme Jaurès le préconisait par ce qu’il appelait le « Crédit national », cf. Jaurès, notre souffle aujourd’hui - Message de J.Cheminade aux socialistes.
Et ce que de Gaulle a mis en place à la Libération avec la loi 45-15 du 2 décembre 1945 « relative à la nationalisation de la Banque de France et des grandes banques et à l’organisation du crédit », cf. Mettre les banques au pas et redonner le la : Le Glass-Steagall global et le précédent français, par Bertrand Buisson.