Les analyses de Jacques Cheminade

La refondation anti-sociale du MEDEF

vendredi 21 avril 2000, par Jacques Cheminade

Le pompeux « chantier de refondation sociale » du MEDEF vise en fait à remettre en cause les contrats de travail à durée indéterminée (CDI) et à obtenir le droit de licencier pratiquement sans contrainte ni contrôle des juges. Nous avions montré, dans un précédent article (« le piège social du MEDEF », Nouvelle Solidarité, 25 février 2000), comment le cadre finalement accepté par les cinq grands syndicats (CGT, CFDT, FO, CGC, CFTC) allait inéluctablement conduire à la discussion de mesures de plus en plus anti-sociales. Ce qui est arrivé depuis confirme malheureusement nos prévisions.

L’objectif réel du MEDEF

La réalité est que le milieu aujourd’hui dominant au sein du MEDEF, celui des entreprises européanisées ou mondialisées et de la « nouvelle économie », exige toujours plus de « flexibilité » pour faire face à la concurrence. Faire éclater les garanties collectives est sa raison d’être.

D’où les deux propositions qu’il formule :

 créer des contrats d’un nouveau type, dont la durée n’excéderait pas cinq ans ou serait liée à la durée d’un « projet » ou d’une « mission » ;

 établir un système d’indemnisation du chômage qui pénaliserait ceux qui refusent un emploi ou ne se forment pas, suivant le modèle « euroblairiste ».

Le but de la première proposition - qui s’inspire des « contrats de chantier » du BTP... de l’entredeux guerres - est de remettre en cause le CDI, qui est aujourd’hui juridiquement la norme.

En multipliant les contrats qui échappent aux règles communes, le MEDEF espère pouvoir contourner le droit du licenciement, notamment en cas de plans sociaux (obligation de justification économique et de reclassement des salariés). Le principe est qu’une gestion « plus individuelle » de l’emploi rendra le licenciement plus facile et l’intervention protectrice du juge moins systématique. Le « nouveau contrat de travail » est ainsi un appât, enrobé de discours hypocritement modernistes sur « le management en réseau valorisant l’autonomie du salarié ». Le MEDEF doit le faire avaler aux syndicats car, politiquement, il ne pourrait jamais obtenir un remodelage du droit de licencier.

La seconde proposition du MEDEF se passe de commentaires : au moment où le sommet « social » de l’Union européenne, tenu à Lisbonne, prévoit des mesures fiscales en faveur des chefs d’entreprise embauchant des salariés peu qualifiés et faiblement rémunérés, l’on voit bien vers quoi, nouvelle économie oblige, on veut faire aller le chômeur.

La résistance syndicale

Certes, le 3 avril, les cinq syndicats ont écrit au patronat pour souligner qu’ils n’accepteront pas de partir de ces propositions comme base des discussions, voulant d’abord faire entendre les leurs. Ainsi fut fait à la réunion du 10 avril, le patronat acceptant d’écouter les syndicats et affirmant même, par la bouche de Pierre Fonlupt, que « le contrat à durée indéterminée demeure la norme ».

Cependant, à la prochaine réunion, le 3 mai, lors d’une « séance plénière » sur l’assurance chômage et la lutte contre la précarité, le MEDEF s’est promis de revenir à la charge.

Sa stratégie est simple : amener les syndicats sur son terrain (la « refondation sociale »), les engluer dans des discussions « balisées » et enfin, étendre le flexibilité avec le levier d’un chantage à l’emploi.

Certes ceux-ci, dans leur ensemble, ont présenté des contre-mesures visant, au contraire, à rendre l’intérim et les CDD moins attractifs ou à prévoir une forme de sanction contre les entreprises qui abusent des statuts précaires. Il sont, en outre, comme l’a expliqué Michel Coquillon (CFTC), imaginé un droit à un reclassement ou « une priorité à l’embauche dans les entreprises par les CDD et les intérimaires quand un poste pérenne se libère ».

Certes, Martine Aubry, ministre de l’Emploi, a rappelé que « la loi fixe les règles relatives à l’ordre public social » et qu’une « grande vigilance » sera exercée pour maintenir sa protection de la loi vis-à-vis des salariés. Certes, encore, Henri Emmanuelli, président (PS) de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, a souligné le 11 avril qu’en France, « on ne pouvait pas substituer la représentativité syndicale à la représentativité du suffrage universel ». Certes, enfin, François Hollande, dans Libération du 13 avril, a affirmé clairement : « Nous sommes farouchement hostiles à sa proposition [du MEDEF, ndlr] de contrats de chantier ou de CDD de 5 ans, qui aboutit à déconsidérer les CDI et à remettre en cause les règles du licenciement ».

Cependant, ces positions défensives ne tiendront pas si, sur l’essentiel, la « règle du jeu » de la nouvelle économie est acceptée.

Rompre avec la règle du jeu

La réalité est qu’en acceptant, à Lisbonne, la règle du jeu de la nouvelle économie (cf. le numéro précédent de Nouvelle Solidarité), l’Union européenne et la France ont accepté de se soumettre, quelles que soient les bonnes intentions sociales des uns et des autres. En effet, ErnestAntoine Seillière, président du MEDEF, a beau jeu de réclamer, le 6 avril dans Libération, « l’adaptation de la société française » au « caractère montant de notre économie » si, en face, il n’y a pas d’alternative. Or non seulement il n’y en a pas mais, économiquement, les gouvernements socialistes se sont depuis 1983 ralliés aux thèses libérales, celui de M. Jospin comme les autres.

Il est inquiétant, de ce point de vue, que ce soit le gouvernement de. Laurent Fabius, aujourd’hui nouveau ministre des Finances, qui ait fait le premier geste en direction du patronat, avec la loi du 25 juillet 1985, qui élargissait les possibilités de recours au CDD et au travail temporaire.

Quant aux syndicats, ils se sont engagés dans un processus de discussions dans lequel ils devront céder quelque chose, ou rompre. Or, compte tenu des « avantages acquis » dont certains disposent, on les voit mal remettre en cause la « règle du jeu ». Certes, on pourra substituer aux nouveaux types de contrats du MEDEF la proposition de contrat d’activité, de 5 ans lui aussi, formulée par Jean Boissonnat dans son rapport au Plan. Mais ne serait-ce pas la même chose, sous un autre nom ?

Enfin, il faut souligner que le gouvernement Jospin a fourni un argument imparable au MEDEF avec sa mise en place, en 1997, des Emplois-jeunes dont la durée est également limitée à 5 ans et qui se substituent, parfois, à ce qui aurait dû être des emplois statutaires protégés.

La conclusion est claire : on ne peut que reculer sur le plan social si on ne change pas fondamentalement de politique économique. C’est le combat que nous menons ici.