Les analyses de Jacques Cheminade

L’accord scélérat sur l’assurance-chômage

mardi 4 juillet 2000, par Jacques Cheminade

Nous avons expliqué dans notre précédent numéro le caractère absolument inacceptable de l’accord sur l’assurance-chômage conclu par le MEDEF (patronat), la CFDT et la CFTC. Dans le projet de la future convention UNEDIC examinée le 29 juin, rien n’a changé sur le fond. Le chantage du MEDEF reste le même : système obligatoire (à partir du 1er janvier 2001, tous les nouveaux chômeurs n’auront d’autre choix que de souscrire au PARE) ; sanctions en quatre temps en cas de refus d’emploi, allant jusqu’à la suspension ou la suppression des allocations, basées sur des critères volontairement vagues ; lien « indissociable » entre l’accord sur l’assurance chômage lui-même et la mise en œuvre de nouveaux contrats à durée déterminée de dix-huit mois à cinq ans, créateurs de précarité, contraires à la loi et bafouant la jurisprudence de la Cour de cassation.

Le tout est à prendre ou à laisser ; c’est la « méthode Kessler », brute de coffrage. Même François Roche, dans son éditorial de la très patronale Expansion (22 juin-5 juillet), admet que « les syndicats ont négocié sous la pression du MEDEF, voire ses menaces... »

Un seul élément nouveau

Le seul élément nouveau, dans le texte du 29 juin, concerne la clarification des rôles entre l’UNEDIC et l’ANPE d’une part, l’UNEDIC et l’Etat de l’autre. L’ASSEDIC, régime privé, conclue un PARE avec chaque demandeur d’emploi et contrôle le dispositif, alors que l’ANPE propose des postes ou une formation. Quant à la « mise en œuvre de ces dispositions » (y compris les sanctions prévues), elle devra faire l’objet d’une convention entre l’UNEDIC et l’Etat « garant de l’égalité de traitement entre les demandeurs d’emploi ». La ficelle est grosse : on ne change rien mais on « mouille » l’ANPE et l’Etat en prétendant hypocritement « ne pas instaurer un système à double vitesse », comme l’a déclaré le très complaisant négociateur de la CFTC, Michel Coquillion.

Martine Aubry, dans un premier temps, s’est bornée à gagner du temps. Elle a transmis au Conseil d’Etat un projet de décret visant à proroger l’actuelle convention, qui expire le 30 juin, ce décret devenant caduc dès qu’un nouveau texte sera agréé. Les syndicats non signataires, CGT, FO et CGC ont formulé des contre-propositions visant à rendre le régime facultatif, à prévoir une période-test de trois ans et à disposer que les sanctions, s’il devait y en avoir, soient « décidées par la puissance publique ».

Nous considérons que rentrer dans cette logique est dangereux. On ne peut en effet négocier sur un terrain miné par l’adversaire. Un exemple : le texte du MEDEF explique que les propositions d’emploi qui seront faites au chômeur dans le cadre du PARE « correspondront à ses compétences professionnelles ». Mais à terme, l’intéressé devra répondre « à toute action de formation, de reconversion, de qualification ». Or rien n’existe pour assurer sérieusement ces services. Aucun gouvernement n’a eu le courage d’entamer la réforme de notre système de formation permanente. Il est reconnu par tous que les moyens de l’ANPE sont insuffisants.

Enfin, en ce qui concerne les sanctions, comment vérifier que l’offre a bien été refusée par le demandeur d’emploi ? Par facilité ou pour des raisons de discrimination raciale, les employeurs répondent souvent à l’ANPE que personne ne s’est présenté au poste, alors que le chômeur y est allé. Qui peut vérifier cela avec les moyens actuels ? Personne. D’autant plus que le rôle des agents de l’ANPE n’est pas de se transformer en gendarmes de l’ordre social.

Quatre bonnes raisons pour l’Etat

L’Etat, en tous cas, a quatre bonnes raisons de rejeter le dispositif du MEDEF et de prendre en main les choses, c’est-à-dire l’UNEDIC. M. Jospin avait bien déclaré, suivant Le Canard enchaîné, « n’être pas venu au gouvernement pour modifier les relations sociales dans la logique du MEDEF ».

Première raison : les syndicats qui ont signé ne rassemblent que moins du tiers des syndiqués ou des voix aux élections des comités d’entreprise. Or Mme Notat elle-même a proposé que « la validité d’un accord repose sur la signature d’un ou plusieurs syndicats représentant au moins 50% des salariés ».

Deuxième raison : les pouvoirs publics, l’accord MEDEF-CFDT-CFTC formant « un tout indissociable », n’ont en principe pas d’autre choix que de prendre l’accord en bloc ou de le rejeter. Or cette « indivisibilité » est également inacceptable, comme l’ont bien montré, dans Le Monde du 29 juin, MM. François Gaudu et Pierre Rodière. L’article 4, en particulier, sur les contrats de 18 mois à 5 ans, est nul et « il y a donc de bonnes raisons de douter de la validité de la clause qui rend indivisibles ses stipulations et celles des clauses licites de l’accord ».

Troisième raison, soulignée par Laurent Fabius ; l’accord vide les caisses de l’UNEDIC pour allouer en trois ans 48 miliards supplémentaires aux chômeurs complaisants, 35 milliards d’allègements de cotisations aux salariés et 36 milliards aux entreprises ; ce faisant, il ferme la porte à une prise en charge par l’UNEDIC des quelque 20 milliards de retraites aux chômeurs actuellement financées par l’Etat, qu’il spolie.

Quatrième raison, qui est essentielle : l’Etat ne peut en aucun cas se permettre de couvrir un recul du droit social. Ce serait contraire à l’esprit et à la lettre du préambule de notre Constitution de 1946, repris dans celle de 1958.

D’autant plus que si « la croissance s’essouffle », les créations d’emploi ne seront plus au rendez-vous, et tout le système du MEDEF deviendra absurde. Le MEDEF a d’ailleurs cyniquement prévu de retirer ses billes si « l’équilibre financier [du dispositif] (...) n’est pas respecté durant toute la durée [de son] application ».

Au lieu de se soucier des élucubrations de M. Kessler, la priorité est de prévoir ce qu’on fera - politiquement et socialement - pour défendre les emplois de l’économie réelle contre l’effondrement du système financier et monétaire international.