Euthanasie pour les mineurs en Belgique : Agora Erasmus dénonce « un jour d’infamie »

vendredi 21 février 2014, par Karel Vereycken

« Le 13 février 2014 entrera dans les annales de la Belgique comme un jour d’infamie », a déclaré l’architecte bruxellois Thierry Convent, qui prépare sa candidature aux élections législatives de mai prochain à Bruxelles sous les couleurs d’Agora Erasmus.

Ce jour-là, malgré une opposition courageuse de la profession médicale et, reconnaissons-le, de la hiérarchie catholique, la Chambre a adopté par 88 voix pour, 44 contre et 12 abstentions une proposition de loi faisant de la Belgique le premier pays au monde à autoriser, sans limite d’âge, les enfants « en capacité de discernement » atteints d’une maladie incurable, à « choisir » l’euthanasie pour abréger leurs souffrances. Le texte a reçu le soutien des socialistes, des libéraux, des écologistes et des séparatistes de la N-VA.

Face à ce vote, deux remarques préalables :

  1. Il s’agit de moins en moins d’une aide aux mourants, mais de plus en plus d’une aide à ceux et celles qui affirment vouloir mourir ou dont on souhaite la mort…
  2. La Belgique a vu naître le surréalisme. De là à valider avec sérieux l’idée qu’un enfant mineur puisse « en capacité de discernement » choisir sa propre mort, est une fraude, une manipulation des esprits et une infamie.

Ce qui a joué en faveur de cette précipitation, c’est la rencontre entre l’opportunisme politique de certains et la lettre ouverte adressée aux élus belges en novembre 2013 par 16 pédiatres, en faveur d’une extension rapide de la loi sur l’euthanasie, une pratique déjà légale en Belgique depuis le 28 mai 2002.

On affirme sans rougir que la pratique de l’euthanasie y est solidement encadrée. Rien n’est plus faux ! [1]

Dans une tribune publiée en 2012 dans La Libre Belgique, intitulée : « Dix ans d’euthanasie : un heureux anniversaire ? », les professionnels de la santé faisaient le bilan :

En dépénalisant l’euthanasie, la Belgique a ouvert une boîte de Pandore. Les dérives envisagées il y a dix ans sont aujourd’hui devenues une réalité. La Commission fédérale de contrôle émet elle-même des doutes sur sa capacité à remplir sa mission, celle-ci étant liée au respect de l’obligation de déclarer les euthanasies pratiquées [de nombreux cas ne sont jamais déclarés]. Peut-on raisonnablement imaginer qu’un médecin se dénonce lui-même s’il n’a pas respecté les conditions légales ?

A la lecture des rapports de la commission, on constate que les conditions, qui se voulaient strictes au départ, font l’objet d’appréciations très élargies. Sont ainsi avalisés des cas de suicide assisté de même que des euthanasies justifiées par une souffrance psychique qui ne résulte pas d’une pathologie grave et incurable, alors que ces situations sont exclues du champ d’application de la loi. Estimant en outre que le caractère insupportable de la souffrance est d’ordre subjectif, la commission hésite à vérifier que cette condition légale essentielle est bien remplie.

Ne peut-on s’étonner que la commission n’ait jamais transmis de dossier au parquet en dix ans ? Peut-on affirmer, sans parti pris idéologique, que la loi est respectée et que la pratique de l’euthanasie est sous contrôle ?

A fortiori, les nombreuses propositions d’assouplissement ou d’élargissement de la loi actuelle, en particulier aux mineurs d’âge et aux déments, suscitent notre plus vive inquiétude. Comme il était prévisible, une fois l’interdit levé, nous marchons à grands pas vers une banalisation du geste euthanasique. Force est de constater que, paradoxalement, plus une société refuse de voir la mort et d’en entendre parler, plus elle se trouve encline à la provoquer.

Dix ans après la dépénalisation de l’euthanasie en Belgique, l’expérience atteste qu’une société faisant droit à l’euthanasie brise les liens de solidarité, de confiance et d’authentique compassion qui fondent le "vivre ensemble", et en définitive se détruit elle-même. Aussi en appelons-nous à une évaluation objective et courageuse de la loi, plutôt qu’à son assouplissement ou son extension.

Aujourd’hui, comme très souvent, pour justifier un crime, on affirme qu’il faut « adapter » la loi à « la réalité du terrain » (par exemple légaliser le cannabis puisque tout le monde en fume, ou encore ouvrir des maisons closes puisque la prostitution est un fait établi, etc.).

Ainsi, sur la base de ce qu’ils appellent une « pratique déjà bien réelle aujourd’hui », les pédiatres signataires de la lettre avouent avoir pratiqué l’euthanasie de façon illégale : « Aujourd’hui, dans des cas exceptionnels, nous devons déjà choisir d’aider des mineurs en situation de souffrance insupportable, même si cela signifie que nous sommes contraints actuellement de le faire en dehors de la loi. »

Or, loin des médecins qui veulent se soustraire à la justice, la loi qui vient d’être adoptée, comble d’hypocrisie, prétend répondre à la demande d’enfants (âgé de 1 jour à 18 ans, mais « en capacité de discernement » !) demandant « de partir » !

A l’opposé, une autre lettre, adressée par 39 experts médicaux et pédiatres associés à des hôpitaux et centres de soin dans tout le pays et remise au président de la Chambre avant le vote, déplore la hâte des législateurs, constatant aussi qu’il n’y a « pas de demande de la part de la population ou du monde médical d’étendre la possibilité de l’euthanasie aux mineurs ».

Insidieusement, la demande vient d’un fascisme financier qui sombre dans une « logique des camps de concentration » et réclame la fameuse « livre de chair » évoquée par Shakespeare dans Le Marchand de Venise. Tout comme aux heures sombres des années 1930, on s’efforce de sauver un système financier irrémédiablement en faillite en coupant dans les budgets de la santé, de la culture et de l’infrastructure et en éliminant les acquis sociaux obtenus depuis la guerre, notamment l’indexation des retraites et des salaires et les allocations de chômage. Il n’est pas inutile de rappeler que dès 1933, Adolf Hitler, dans un souci d’économies budgétaires, incitait les médecins à abroger la vie d’individus vivant une vie « ne méritant pas d’être vécue », à commencer par les malades mentaux et les handicapés (En allemand gnadentod ou en anglais mercy killings).

Que la NV-A et les libéraux souscrivent à une telle horreur n’étonne guère. Que les écologistes et les socialistes y succombent laisse pantois.

Pour les évêques de Belgique, « le droit de l’enfant à demander sa propre mort est un pas de trop. Il s’agit de la transgression de l’interdit de tuer, qui constitue la base de notre société humaine » Lucides, ils craignent par ailleurs que « cette nouvelle loi ouvre la porte à une prochaine extension aux personnes handicapées, aux personnes démentes, aux malades mentaux, voire à celles qui sont fatiguées de vivre ». « Un Etat qui autorise une telle chose est un Etat en faillite », estime le quotidien allemand Die Welt.


[1Un article paru dans The New England Journal of Medecine, sous le titre « Medical End-of-life Practices under Euthanasia Law in Belgium » (NEMJ, 10/09/09, Bilsen, Cohen, Chambaere, Pousset, Deliens) fournit quelques données relatives à la pratique de l’euthanasie en Belgique. Selon leur enquête, sur les 54 881 morts recensés en Flandres en 2007, 1042 sont survenues à la suite d’une euthanasie pratiquée sur demande et 987 à la suite d’une mort donnée sans le consentement explicite du patient. Il est intéressant de mettre ce chiffre en parallèle avec celui des euthanasies déclarées : sur un total de 2029 morts provoquées en Flandres en 2007, 412 seulement ont été déclarées à la Commission de contrôle (20,3 %) !