Décès de Primakov, père du triangle stratégique eurasiatique

mardi 7 juillet 2015, par Tribune Libre

Le président russe Vladimir Poutine assiste à une cérémonie de deuil pour l’ancien Premier ministre Evgueni Primakov, dont le corps repose à Moscou.
Keystone

Par Rachel Douglas de l’Executive Intelligence Review (EIR)

Le célèbre orientaliste russe Yevgeni Maximovich Primakov, ancien directeur de l’Institut des études orientales de l’Académie russe des sciences, chef du Renseignement étranger, ancien ministre des Affaires étrangères et Premier ministre, et président de la Chambre de commerce et de l’industrie russe, est décédé le 26 juin à l’âge de 85 ans, après avoir lutté pendant deux ans contre le cancer.

Primakov participait jusqu’à tout récemment aux délibérations sur la politique de son pays en dépit de son état de santé. Il avait présenté un mémoire à la séance d’avril du Club Mercure de la Chambre de commerce et de l’industrie (CCI), intitulé : « Quatre erreurs dans notre politique économique. »

En raison de sa longue carrière en tant que spécialiste du Moyen-Orient, Primakov connaissait parfaitement les opérations des agences de renseignement britanniques et américaines dans la région. Il était également un économiste hors pair ; son point de gloire a été son arrivée au gouvernement au lendemain de la première décennie désastreuse de la période post-soviétique.

Primakov à l’ONU.

Nommé Premier ministre par le Président Boris Eltsine, suite à la cessation de paiements sur les obligations russes en août 1998 (on dit que le poste lui avait été offert suite au refus de Youri Maslyoukov, un spécialiste de l’industrie qui avait toutefois accepté d’être son adjoint), Primakov a réussi, au cours de ses huit mois en tant que Premier ministre, à mettre un terme au long processus de destruction de l’industrie russe.

Comme il est rapporté dans le rapport spécial de l’Executive Intelligence Review La Nouvelle route de la soie devient le Pont terrestre mondial, « les mesures prises par le gouvernement Primakov-Maslyoukov pour sauver l’économie réelle de la Russie sont celles dont a hérité Vladimir Poutine. (…) Elles ont créé un cadre, au sein duquel les décisions en faveur du développement du continent eurasiatique ont pu être considérées sérieusement. »

Un autre élément d’importance stratégique a été l’engagement diplomatique marquant de son gouvernement en faveur d’une idée entièrement nouvelle : « Lors d’une visite en Inde en décembre 1998, Primakov a proposé de former un ’’triangle stratégique entre la Russie, l’Inde et la Chine. La coopération entre ces trois puissances eurasiatiques a vu le jour un an plus tard, suite à de nombreuses rencontres entre académiques et diplomates. Suite à un parcours sinueux, le triangle ’’RIC’’ forme aujourd’hui le coeur de l’alliance appelée BRICS. »

Les éloges de Primakov, formulées en ces termes exactement, pleuvent aujourd’hui en Russie. L’analyste Kirill Benediktov, dans un commentaire pour le site Izvestia, écrit ainsi :

L’idée de Primakov de créer un Grand triangle Moscou-Delhi-Beijing prend forme sous nos propres yeux et est devenue un édifice politique en dépit des cris d’orfraie des libéraux. Yevgeni Maximovich a présenté pour la première fois l’idée du Grand triangle lors de sa visite à Delhi en 1998. Nombreux sont ceux parmi nous qui se souviennent des conditions dans lesquelles se trouvait la Russie à cette époque : écrasée d’un point de vue politique et économique, ayant survécu de justesse à la cessation de paiements d’août, et commençant à peine à trouver la porte de sortie de cette crise profonde dans laquelle elle s’était trouvé plongée par la faute des ’’jeunes réformateurs’’ alliés aux membres corrompus de la famille Eltsine.

Et voilà que le nouveau Premier ministre d’un pays que tout le monde croyait incapable de se remettre debout, proposait à ses partenaires en Inde et en Chine de former un triangle stratégique, Moscou-Delhi-Beijing. (... ) A peine sept ans après la visite de Primakov à Delhi, la Chine et l’Inde se félicitaient d’être devenues « de bons voisins et amis », et Beijing annonçait en 2012 que les relations sino-indiennes pourraient s’avérer le partenariat bilatéral le plus important du siècle. Suite à l’« isolement » par l’Occident de la Russie, il est devenu évident que le ralliement de Moscou à cette alliance des grandes nations eurasiatiques, telle qu’elle était en train d’émerger, était la seule voie à suivre pour préserver sa souveraineté politique et économique.

Le président Poutine et le ministre des Affaires étrangères Lavrov ont eux aussi fait une vibrante éloge de Primakov, de sa vie et de son œuvre. Il a été enterré le 29 juin au cimetière Novodevichy de Moscou.