Crise grecque : une occasion inouïe pour changer de système

mardi 7 juillet 2015, par Karel Vereycken

Comme le montre cette carte ancienne, c’est en Grèce et en Turquie que la Route de la soie maritime (en noir) et terrestre (en brun) se rencontrent.

Le « non » du peuple grec au référendum de dimanche nous lance le défi d’une réforme en profondeur de tout le système financier international. L’argent doit de nouveau servir l’homme et la création, et non un système prédateur de bulles et de spéculation sur dettes.

Le 30 juin, la Grèce n’a pas pu payer les 1,6 milliard d’euros qu’elle devait au FMI. Le 3 juillet, veille du référendum, le Fonds européen de stabilité financière (FESF) l’a donc officiellement déclarée en « défaut » de paiement.

Il s’agit d’un échec historique, tant pour le FMI qui, jusqu’ici, n’avait jamais enregistré de défaut de paiement d’un pays développé, que pour la zone euro qui voit voler en éclats le mythe de son infaillibilité.

Entre grands prêtres de la finance, la confusion règne quant à la suite à donner aux évènements. Car indépendamment du résultat des urnes, tous les experts reconnaissent qu’un troisième plan d’aide est inévitable pour empêcher que l’effondrement de la Grèce (à l’intérieur ou à l’extérieur la zone euro) n’entraîne dans sa chute l’UE et le reste du système financier mondial.

Si Tsipras a évoqué un besoin de 29 milliards d’euros d’ici 2017, le FMI parle de 51,9 milliards d’euros à trouver dans les trois ans à venir, dont 10 milliards tout de suite.

Aveuglement

Pourtant, ni ces chiffres, ni l’ampleur de la catastrophe humanitaire dans laquelle la Troïka (FMI, BCE, Commission européenne) a plongé la Grèce, ne suffisent pour provoquer un changement de cap.

Car, pour la Commission européenne, la BCE, Angela Merkel et François Hollande, on ne change pas une équipe qui gagne ! Les Grecs sont donc sommés de se soumettre immédiatement aux dictats des « institutions ». Car si la Grèce a remporté une victoire politique, d’autres en Europe, notamment en Espagne avec Podemos, en Irlande, au Portugal ou en France, pourraient se prendre eux aussi « à rêver ». Il faut donc prolonger le martyr des Grecs.

Bafouant les règles les plus élémentaires de la démocratie, le président du Parlement européen Martin Schultz avait tout simplement proposé de remplacer, en cas de victoire du oui, le gouvernement de Tsipras par un « gouvernement de technocrates ».

A l’opposé, au FMI, le doute s’installe. Si Mme Lagarde continue sur la ligne dure, des experts de l’institution de Washington commencent à remettre en question l’aveuglement collectif qui les a conduits au désastre. Ils reconnaissent que l’austérité brutale de la Troïka ne pouvait qu’aggraver la situation. Les deux premiers « plans d’aide », disent-ils, ont certes permis de sauver les banques allemandes et françaises et de « rétablir les finances publiques » en créant un excédent budgétaire primaire, comme l’exigeait, au nom des « marchés », la Troïka.

D’après les chiffres d’Eurostat, la Grèce, entre 2011 et 2014, a été LE SEUL pays de l’UE qui a réduit, en valeur absolue, sa dette ! Petit détail : l’austérité qui a permis de "rétablir les finances publiques", a provoqué une baisse de 25% du PIB et a fait exploser le rapport dette/PIB !

Seulement, reconnaissent-ils, par les moyens imposés aux Grecs pour y arriver (coupes massives dans les dépenses publiques, privatisations, etc.), ils ont provoqué une chute de 25 % du PIB et ruiné le pays ! Avec pour résultat une augmentation mécanique de la dette par rapport à ce même PIB.

Or, Tsipras, aussitôt l’excédent primaire rétabli, avait demandé à la Troïka d’ouvrir la grande négociation sur la dette qu’il appelle de ses vœux depuis le début. Pour Merkel, Hollande, Bruxelles et Francfort, ce point, pourtant au cœur de la problématique, était et reste hors sujet.

Au FMI, tous ne partagent pas cette obstination. Certains responsables du FMI refusent même de préparer un nouveau plan d’aide si aucune réduction de la dette n’y figure ! La Grèce aurait besoin, estiment-ils, d’une période de grâce (c’est-à-dire un moratoire) de vingt ans avant tout paiement sur sa dette, dont le rééchelonnement devrait courir jusqu’en 2055.

Autre preuve que les lignes commencent à bouger, l’article publié par Associated Press (AP) et repris par la grande presse américaine. Ecrit par Pan Pylas et David McHugh, il rappelle en détail comment la Conférence internationale sur la dette, organisée à Londres en 1953, avait annulé plus de la moitié de la dette allemande et créé un cadre de coopération internationale permettant le « miracle » économique allemand et avec lui, une relance de toute l’Europe. « L’annulation de la dette n’était pas un acte de charité, précise l’article. Les Etats-Unis avaient besoin d’une Allemagne forte contre ce qu’ils percevaient comme la menace soviétique. »

Les solutions

Les solutions au problème sont connues. Comme nous n’avons cessé de le répéter, il ne s’agit pas d’une faillite de la Grèce, mais de la faillite systémique de l’ensemble de la zone transatlantique. C’est donc une réorganisation générale du système financier transatlantique dont on a besoin car aucune « solution grecque » ne fera l’affaire. Cette réorganisation doit prendre modèle sur celle mise en œuvre par Franklin Roosevelt en 1933.

Tsipras et Varoufakis ont raison de réclamer l’organisation, dans les meilleurs délais, d’une conférence internationale sur l’ensemble des dettes publiques et privées des pays membres de l’Union européenne. Cette conférence doit s’inspirer de celle tenue le 27 février 1953 à Londres, évoquée plus haut. Ce que l’on a fait à l’époque (annulation des dettes et plan de relance) pour des raisons géopolitiques (avoir une Europe forte face à la menace soviétique), nous devons être capables de le faire aujourd’hui dans l’intérêt des générations futures.

Les experts vous diront que c’est impossible car « nous ne sommes plus en 1953 mais en 2015 », et que le monde a changé.

Ils n’ont pas tort, car les deux conditions ayant permis l’annulation des dettes en 1953 font aujourd’hui cruellement défaut et c’est à nous de les rétablir : la séparation stricte entre banques de dépôts et banques d’affaires introduite en 1933 par le Glass-Steagall Act était en vigueur en 1953, et la bulle des 700 000 milliards de dollars de produits dérivés qui plombe le système financier actuel n’existait pas à l’époque.

Faire le tri entre dettes légitimes et celles qui ne le sont pas, et séparer les bonnes banques des mauvaises doit être au cœur d’un assainissement complet du système financier international. Ajoutée à cela, l’interdiction pure et simple de certains outils purement spéculatifs (Trading à haute fréquence, titrisations insensées, cotation des actions en continu, etc.) aidera à recréer un cadre remettant l’argent au service de l’économie réelle.

Obama

Un article paru dans la presse belge sur la crise grecque décryptait les appels téléphoniques répétés d’Obama aux dirigeants européens comme l’expression d’une « partie de boxe de l’ombre avec Poutine ».

Tsipras, qui s’est rendu au Forum de Saint-Pétersbourg pour finaliser avec la Russie la participation de la Grèce au gazoduc Turkish Stream, est de plus en plus présenté par la presse anglo-américaine comme « le cheval de Troie de Poutine » qui, en soutenant la Grèce, viserait sournoisement à mettre en pièces l’Union européenne pour nuire à la belle Amérique.

Membre de l’OTAN et disposant d’un droit de véto, la Grèce héberge également sur l’ile de Crète une base importante de la VIe flotte américaine qui a joué un rôle majeur dans les bombardements contre la Libye de Kadhafi.

Pour Obama, l’hypothèse que la Grèce, suite au référendum, sorte de l’Union européenne et lève les sanctions sur ses exportations agricoles envers la Russie, apparaît comme un cauchemar et un échec de sa politique d’endiguement de la Russie.

La dynamique des BRICS

Sans oublier l’offre faite par les pays des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), invitant la Grèce à devenir membre de plein droit de la Nouvelle banque de développement (NDB). Dotée d’un capital initial de 50 milliards de dollars, la NDB a vocation d’investir dans les grandes infrastructures sur la base du principe « gagnant-gagnant » adopté par le président chinois Xi Jinping pour son projet « Une route, une ceinture de la nouvelle route de la soie ».

Étant donné que les parlements des pays membres des BRICS comptent finaliser à temps le processus de ratification, la NDB a bon espoir de devenir opérationnelle dès le 7 juillet, c’est-à-dire à la veille du sommet des BRICS à Oufa, capitale de la petite République de Bachkirie, membre de la Fédération de Russie.