Brexit ou pas, le problème reste la City de Londres !

mercredi 6 juillet 2016, par Christine Bierre

Jacques Cheminade a été laconique, mais il est allé au fond de choses. Voici sa déclaration du 24 juin, suite à l’annonce de la victoire du Brexit.

Le Brexit signifie clairement deux choses : la fin de l’Union européenne telle qu’elle est, et la fin du système financier et monétaire international ; peut-être pas tout de suite, mais sûrement. Plus que jamais notre avenir est dans une politique gaullienne d’entente, de détente et de coopération avec tous les peuples du monde. D’abord avec les BRICS, la Russie, l’Inde et la Chine. Et puis il faut ramener les Etats-Unis à la raison. Vive la France libre, vive le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes !

Réponse de Jacques Cheminade à une question sur le Brexit, à la veille du référendum, le 22 juin, lors du Dialogue avec la nation #10 :

Nouvelle Solidarité N°2/2016 - S’abonner.

Brexit ou pas, le problème c’est la City de Londres. Ce n’est pas qu’elle soit dedans ou dehors, c’est qu’elle est une vérole qui se communique tous azimuts. Voilà ce qu’il faut arrêter. Le Brexit en soi, c’est quelque chose qui excite certains ; pas moi. Je reconnais que la question est mieux posée en Angleterre que le référendum en France. Ce n’est pas oui ou non, c’est Remain or Leave  : on reste ou on part. C’est clair. Mais le fond du sujet, lui, ne l’est pas. La City sera encore là de toute façon. Il y a des gens de la City qui espèrent faire plus d’affaires et embobiner l’Inde, la Russie et la Chine, et qui sont plutôt pour partir ; d’autres, qui font plus d’affaires en Europe et veulent continuer à communiquer leur vérole, sont plutôt pour rester. La Reine d’Angleterre elle-même a fait savoir que sortir ne serait peut-être pas un drame. Vous voyez donc que le sujet n’est pas aussi fondamental qu’on veut bien nous le faire croire.

Ce qui est fondamental, c’est le choc que ce sujet peut créer et les précautions qu’on a essayé de prendre. Les banques européennes et la banque d’Angleterre, Brexit ou pas, se sont associées pour mettre, comme ils disent, des liquidités à disposition des différentes banques pour éviter une catastrophe à court terme. En réalité, on va ainsi accroître encore le montant des liquidités qui circulent. Le problème, c’est de sortir d’un régime de liquidités et de monnaies pour passer à un régime de crédit public où, avec ce crédit, on fait des choses utiles pour l’Etat, pour la nation, pour l’avenir, pour l’humanité, qui créent à leur tour les moyens de rembourser le crédit. Mais si on fait du crédit, comme on l’a fait avec ces allégements quantitatifs ou autres, pour entretenir les forces financières en place, eh bien, c’est ce que j’appelle la vérole financière !

Faire l’Europe des nations ou disparaître

Par Christine Bierre

Le choc a été brutal tant cette UE a pris l’allure d’une bastille dont personne ne peut échapper. Les chutes des bourses ont été spectaculaires, la livre sterling a dévissé de 10 %. En quelques heures, le « leave » (sortir) a broyé 2 milliards de livres sur les marchés. Il a fallu tout le soutien des banques centrales pour éviter que le Brexit ne se mue en krach systémique. Elles s’y étaient d’ailleurs préparées, promettant d’inonder le système avec des liquidités.

Pour l’heure, la situation semble stabilisée, mais pour combien de temps ? Le Brexit a secoué un système financier international déjà érodé par le cancer de la spéculation financière et les 2000 milliards de créances douteuses héritées de la crise de 2007-2008. Selon les experts, la fuite vers des valeurs plus sûres, suite au Brexit, est venue gonfler le montant de la dette mondiale dont le rendement est en dessous de zéro, à 11 700 milliards de dollars !

L’Italie, premier domino à tomber ?

Premier dégât collatéral dans l’UE, les banques italiennes, déjà fragilisées par 364 milliards d’euros de créances douteuses, essentiellement des prêts que les entreprises et les particuliers peinent à rembourser, hérités de la période de récession de 2012 à 2014. Or, le Brexit est venu rogner encore les positions de ces banques.

Voulant empêcher le pire, l’Italie a proposé de recapitaliser son secteur bancaire à hauteur de 40 milliards d’euros et de créer un fonds public de 150 milliards d’euros pour assister les banques en difficulté. L’Allemagne a coupé court à ces tentatives qui cherchaient à contourner les nouvelles règles d’intervention face à des risques systémiques définies par l’Union bancaire.

Ces règles interdisent de renflouer une banque avec des fonds publics (bail-out) et ont mis en place la procédure dite de « bail-in » qui fait appel, non aux contribuables, mais, par ordre hiérarchique, aux actionnaires, aux créanciers obligataires et enfin, aux déposants de la banque. L’Italie a donc dû opter pour la création d’un fonds de 150 milliards pouvant garantir les obligations d’une banque considérée comme solvable, mais ayant de graves difficultés de liquidités.

Le sujet est ultrasensible en Italie, car nombre de déposants et d’investisseurs ont été amenés par les banques à investir dans les obligations bancaires, deuxièmes sur la liste des titres saisissables dans le cadre du bail-in ! La faillite de quatre petites banques italiennes, en novembre dernier, avait déjà provoqué un véritable drame dans la péninsule, des créanciers obligataires ayant perdu tout leur argent à cause de ce dispositif.

Or, le mécontentement contre l’Europe est déjà très fort en Italie. Preuve en est, la progression fulgurante du Mouvement cinq étoiles (M5S), parti eurosceptique de la péninsule. Dans une interview à Spoutnik en juin, Carlo Sibilia, député du M5S et secrétaire de la commission des Affaires étrangères du Parlement, accusait l’euro d’avoir provoqué la fermeture de 30 % des industries. L’Italie doit quitter non pas l’Union européenne, mais l’euro, disait-il, ou alors il faudrait créer un euro 2 pour les pays du sud ayant plus de difficultés. Le M5S a le vent en poupe : aux dernières élections, il a gagné 19 municipalités sur 20, dont Rome et Turin, la capitale industrielle du nord de l’Italie. Alors, à quand l’Italex ?

Vers l’effondrement du mur transatlantique ?

Mais le Brexit n’est pas juste une affaire européenne ; il pourrait bien être la singularité qui provoquera la chute de l’ordre mondial. En tournée en Grande-Bretagne avant le référendum, Barack Obama avait menacé les Anglais en cas de sortie de l’UE. Les Etats-Unis, disait-il, ont besoin du glacis européen pour assurer leur sécurité, et la Grande-Bretagne est l’intermédiaire clé entre les Etats-Unis et l’Europe continentale.

Or, si le peuple a voté le Brexit pour manifester sa révolte contre la politique d’immigration et d’austérité européenne – la promesse de reverser l’argent allant à l’UE au système national de santé (NHS) a été l’un des arguments les plus porteurs – quelles étaient les motivations d’autres forces qui ont permis à ce référendum d’avoir lieu et d’aboutir à ce résultat. Parmi ces forces : le Premier ministre conservateur David Cameron par exemple, qui l’a organisé ; Boris Johnson, du même parti, fut la cheville ouvrière de la victoire, sans oublier les encouragements, directs, du magnat de la presse Rupert Murdoch, et indirects de la Reine !

La réalité est qu’instinctivement, certains au Royaume-Uni savent que la survie de ce vieil empire maritime et financier dépendra de sa capacité à phagocyter le nouveau monde qui émerge avec la Chine et le Pacifique, quitte à bousculer leur relation spéciale avec les Etats-Unis ; d’autres ne veulent pas se jeter à l’eau, préférant se cramponner à un ordre international en voie d’implosion.

Dès le début de l’internationalisation de la monnaie chinoise (yuan) en 2010, Londres a courtisé agressivement la Chine pour devenir une place « off-shore » incontournable pour les émissions obligataires, les emprunts en yuan et le négoce de la monnaie. Avec un succès certain. Au point que le politologue Dominique Moïsi écrivait déjà en 2015 sur « David Cameron et la tentation du grand large », relevant « les grandes déclarations d’amour » à la Grande-Bretagne, venant de banquiers et d’investisseurs chinois et mises en avant par le Parti conservateur.

De fait, disait-il, la Grande-Bretagne, derrière David Cameron, semble aujourd’hui choisir l’Asie au détriment de l’Europe et des Etats-Unis, le monde et non l’Occident, l’avenir et non le passé.

Panique à bord aussi au New York Times du 25 juin, où l’on se demande si avec le Brexit,

ce n’est pas l’ordre post-1945 imposé sur le monde par les Etats Unis qui se défait aussi ?

Les auteurs évoquent un autre événement hautement symbolique tenu à Beijing deux jours plus tard : la première réunion des 57 membres de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (BAII), dont l’objectif serait, selon le quotidien new-yorkais, de permettre à la Chine de réduire l’influence de la Banque mondiale et du FMI. Or, disent-ils, « L’ONU, l’OTAN, le FMI et la Banque mondiale sont les institutions de la post-guerre chargées de promouvoir la paix, la sécurité et la prospérité économique ».

Avant d’asséner l’argument massue : le Brexit serait « un cadeau inattendu pour Poutine » !

Quant à la vraie Europe des peuples, après la chute de la Maison UE, saisissons la balle au bond et construisons cette Europe des patries et des projets, chère à Charles de Gaulle.