Corée du nord – Sortons du « Bon, la brute et le truand » !

jeudi 6 juillet 2017

Toute personne normalement constituée – qui plus est, tout Français fièrement campé sur son esprit de raison logique – devrait s’insurger contre cette énième tentative de nous faire avaler un mauvais scénario hollywoodien, c’est-à-dire le nouvel emballement médiatique suite au tir de missile intercontinental par la Corée du nord. Le story-telling du lointain « tyran fou » et très dangereux, épaulé par le « truand » chinois et le « méchant » russe, face aux valeureux occidentaux prêts à tout pour sauver la veuve et l’orphelin, ça suffit.

Certes, le régime nord-coréen ne respire pas la démocratie, et Kim Jong Un semble offrir le profil parfait pour tenir le rôle du méchant dans un film de James Bond ; mais la réalité des relations entre nations – comme il en est des relations humaines – est plus complexe. Résoudre un problème aussi sensible que celui de la Corée du nord ne peut se faire qu’en créant les conditions d’un dialogue, dans lequel chaque acteur doit être conscient qu’il a face à lui le représentant d’un peuple avec son histoire, sa culture, sa façon de voir les choses, c’est-à-dire quelque chose de non-binaire. La fameuse approche gaullienne « de détente, d’entente et de coopération »...

Deux visions s’opposent

Lors de leur rencontre à Moscou, le jour du tir nord-coréen, Xi Jinping et Valdimir Poutine ont longuement évoqué la question, et se sont mis d’accord pour promouvoir ensemble les bases d’un plan visant à « geler simultanément le programme nucléaire militaire de la Corée du nord et les déploiements nucléaires américains en Corée du sud », a déclaré Poutine pendant la conférence de presse. Le communiqué conjoint, publié suite à la rencontre, précise que : « la Russie et la Chine vont coordonner leurs efforts afin de mettre en œuvre une solution complexe aux problèmes de la péninsule coréenne, y compris la question nucléaire, dans l’objectif d’établir une paix et une stabilité durable en Asie du nord-est. (…) Les parties du conflit vont ouvrir le dialogue en posant les principes communs de leurs relations, ce qui inclut le non emploi de la force, le renoncement à l’agression, la coexistence pacifique et l’engagement à tout faire pour dénucléariser la péninsule coréenne, dans l’idée de promouvoir une résolution complexe de tous les problèmes. »

De l’autre côté, les États-Unis, le Japon et la Corée du sud, veulent imposer une nouvelle batterie de sanctions dures contre la Corée du Nord. Nos analystes et experts, qui se gargarisent en répétant à tout bout de champ que des dirigeants comme Poutine ne « comprennent que le langage de la force », peuvent remplacer le mot « force » par « sanctions » et se l’appliquer à eux-mêmes. Le secrétaire d’État américain, Rex Tillerson, a déclaré hier que « tout pays apportant son soutien économique ou militaire à la Corée du nord, hébergeant sur son sol des personnalité proche du régime, ou ne respectant pas les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, aide et encourage un dangereux régime. » L’ambassadrice américaine à l’ONU, Nikki Haley, a annoncé que les États-Unis allaient introduire une nouvelle résolution visant à renforcer les sanctions contre la Corée du nord, impliquant son isolement financier, des contraintes sur son accès au marché du pétrole et des restrictions sur l’accès au trafic aérien et maritime. Haley a également déclaré que les États-Unis étaient prêts à faire usage de la force si ces nouvelles mesures ne forçaient pas le régime à reculer. Les États-Unis et la Corée du sud ont répondu hier à travers des exercices militaires conjoints de tir de missiles.

L’occident pris dans le piège de Thucydide

Face à cette nouvelle escalade, Le Figaro rappelle la récente analyse de Graham Allison, directeur du Belfer Center de l’université de Harvard, présentée dans son dernier livre Le Piège de Thucydide. « La dégradation des relations entre les États-Unis et la Chine fait penser à la guerre du Péloponnèse qui opposa Sparte à Athènes. » Une Athènes sur le déclin s’était alors laissée entraîner dans un conflit contre Sparte, dont l’émergence comme nouvelle puissance lui apparaissait comme une menace. Il est tout à fait possible de sortir de ce piège, mais cela nécessite de se débarrasser des préjugés dominants et de se mettre autour d’une table pour se parler, « même s’il faut se boucher le nez », comme l’a dit Jacques Cheminade pendant la campagne présidentielle, lorsque des journalistes un peu bornés lui demandaient s’il était « avec ou contre Bashar ». Et il ne faut pas croire que tout cela ne regarde que les dirigeants, là-haut... Car cette vision binaire de la géopolitique déteint sur les relations sociales, où l’on tend à voir l’autre du point de vue « ami ou ennemi. » Le théâtre de guerre se situe avant tout dans nos esprits.

Il est donc temps de sortir du cinéma et de s’engager dans la vraie vie politique ; l’occasion nous est donnée avec la mobilisation citoyenne, lancée hier par S&P, pour pousser auprès de la nouvelle Assemblée nationale un projet de loi de « moralisation de la vie bancaire », c’est-à-dire de séparation des banques de dépôts et des banques d’affaires, la première étape pour nous libérer de l’occupation financière.