Doit-on vraiment rejouer le film Spartacus vs. Jupiter ?

lundi 4 septembre 2017

Comment ne pas avoir le sentiment que l’histoire nous livre à nouveau l’un de ces bégaiements dont elle est coutumière ? Bien que l’ascension et le sacre de Macron semblent avoir procédé hors des voies habituelles, sa chute de popularité – quoique d’une rapidité sans précédent – respecte un scénario déjà maintes fois joué sur la scène politique. De même, la polarisation qui se dessine actuellement dans les médias entre d’un côté le président du CAC40 et de l’autre le tribun du peuple a comme des accents de déjà-vu.

Une « grille de lecture », comme disent les analystes, est en train de s’établir où les Français identifient de plus en plus la politique du nouveau président comme favorisant les riches. Face à cela, l’atonie des autres partis laisse un vide béant dans lequel le mouvement de la France Insoumise s’est habilement engouffré, propulsant Jean-Luc Mélenchon dans le rôle de leader de l’opposition. Rôle que Macron lui reconnaît largement, puisqu’il en a fait la principale cible de ses éléments de langage. En effet, il y faisait allusion lundi dernier, lors du séminaire de rentrée du gouvernement, exhortant ses ministres à ne « pas se laisser impressionner par ceux qui veulent faire entendre un gigantesque fracas ». (source : Le Canard enchaîné)

Chose singulière, Macron et Mélenchon en appellent tous deux à renouer avec « l’héroïsme politique » ; mais à la différence de Macron – qui oscille entre lyrisme stratosphérique et formalisme technocratique – Mélenchon a au moins le mérite de s’évertuer à donner une certaine profondeur à son mouvement, en le plaçant dans une perspective historique ; on l’entend ainsi évoquer tour à tour la Libération, la Révolution et la Renaissance. « Nous sommes le plus ancien courant politique du monde », a-t-il clamé dans son discours de Marseille, le 27 août dernier. « Nous avons commencé en 494 avant notre ère. Ce jour-là, le peuple – le peuple ! – a décidé que puisque les puissants étaient justes bons à leur donner des ordres pour les faire travailler (…), le peuple de Rome a fait la première grève générale populaire de l’histoire ». Puis, faisant un saut dans la Rome du temps de Jules César, Mélenchon a rappelé la révolte des esclaves menée par Spartacus, violemment réprimée par Crassus. « Et bien vous voyez, celui-là [Spartacus] aussi, ils croyaient qu’ils s’en étaient débarrassés. Et bien nous revoilà, et le fil ne s’est jamais rompu ».

Le tribun joue ainsi sur la vision romantique du peuple oppressé et exploité se levant contre ses bourreaux. Malheureusement, dans une telle disposition d’esprit, l’on conçoit difficilement comment l’ordre des choses pourrait être renversé autrement que par la force et le nombre, face à la puissance de l’ennemi. Et lorsqu’il évoque le fait qu’ « est en train de s’accumuler une bulle financière à l’échelle internationale dont vous allez bientôt entendre parler », Mélenchon perd une occasion de frapper le point faible de l’ennemi en armant « le peuple » avec la loi de séparation bancaire, dont l’application signifierait un coup mortel pour les méga-banques et le pouvoir colossal qu’elles ont accumulé. Au lieu de cela, il se contente de souhaiter que le krach arrive « le plus tard, je l’espère, car je sais de quels malheurs nous avons déjà payé l’explosion de la précédente en 2008 ». Pourtant, on ne peut pas dire qu’il soit ignorant, puisqu’il a en main la proposition de loi de « moralisation de la vie bancaire » qui lui a été remis il y a quelques semaines...

Prométhée

Plutôt que l’identité du héros romantique, qui finit bien souvent par confondre les instruments de la répression du peuple avec le progrès scientifique et la technologie (d’où par exemple, l’opposition à l’énergie nucléaire), nous défendons ici le mythe de Prométhée, condamné par Zeus pour avoir apporté le feu aux hommes, et avec le feu la connaissance, la science, les techniques et les arts. Nous ne pensons pas que l’harmonie avec la nature puisse être une politique en soi ; elle n’est que le reflet naturel d’une société dans laquelle le développement économique est associé à un développement moral des hommes et des femmes, par une culture redonnant l’art et la science au peuple.

C’est cela qui fait peur à Zeus. Les dieux de l’Olympe ne craignent aucun Spartacus ; ils peuvent même encourager en sous-main la révolte violente pour justifier son pouvoir le cas échéant. Toutefois, comme on peut le voir dans le Prométhée enchaîné d’Eschyle, il y a une chose que Zeus redoute encore davantage chez Prométhée, et qui le terrifie littéralement : sa capacité à prévoir sa chute future. En effet, Prométhée est étymologiquement « celui qui prévoit ». Il sait que l’empire de Zeus est bâti sur de l’argile, et il le dit. Et pour un système dépendant de la servitude volontaire d’un peuple convaincu de sa toute-puissance, il représente l’homme à abattre.

Le système de la mondialisation financière, et en particulier son cœur de 28 méga-banques, est en situation de faillite virtuelle. Cette pyramide de Ponzi ne perdure que parce que le bas de la pyramide – les États, les contribuables, les travailleurs, etc. – continue de payer à travers la baisse des coûts sociaux et salariaux. C’est cela qui motive la nouvelle loi travail ; et si le mouvement social qui se lève (avec les manifestations prévues les 12 et 23 septembre) reste cantonné dans une opposition au « coup d’État social », il rejouera fatalement le film du soulèvement de la rue finissant par s’essouffler, faute de toucher les causes et de définir un horizon plus lointain.

De ce point de vue, notre intervention avec la proposition de loi de « moralisation de la vie bancaire » est essentielle, car elle peut jouer un rôle de catalyseur. Contrairement à ce que pensent même parfois ceux qui en sont partisans, la séparation bancaire, autrement dit le Glass-Steagall, ce n’est pas une réforme technique à l’intérieur du système ; c’est la pince monseigneur permettant de briser le verrou financier qui nous empêche de mener une politique de crédit public au service de l’équipement de l’homme et de la nature.

L’un de nos sympathisants a rencontré la semaine dernière un sénateur afin de le convaincre de se lever pour le Glass-Steagall. Pleinement conscient de l’imminence d’une nouvelle tempête financière et très inquiet du risque que les banques spolient les dépôts pour se renflouer, il s’est dit prêt à défendre notre proposition de loi, et même à trouver d’autres sénateurs pour le faire, mais à condition que nous créions l’environnement où il se sentira légitime pour agir.

Alors, à l’action !