Le débat sur le Glass-Steagall reprend aux Etats-Unis

jeudi 19 octobre 2017

Conférence de presse à Washington en février 2017 : de gauche à droite, les députés Tim Ryan, Walter Jones, Marcy Kaptur et Tulsi Gabbard.
Site de Marcy Kaptur

Depuis la crise bancaire de 2008, le mouvement d’action politique de l’économiste américain Lyndon LaRouche (LPAC) a remis sur la table l’impérative nécessité d’une séparation stricte entre banques de dépôt et de crédit, et banques d’affaires (rétablissement de la loi Glass-Steagall de Roosevelt, abrogée en 1999). Outre-Atlantique, l’idée est devenue tellement populaire qu’aussi bien le parti démocrate que le parti républicain l’avaient incluse dans leurs plateformes respectives, pour les élections présidentielles de 2016.

En France, c’est S&P qui a réussi à placer cette question essentielle au cœur des élections présidentielles, d’abord en 2012, puis en 2017, lors des campagnes de Jacques Cheminade. Cet été, une pétition et une campagne transpartisane pour la « moralisation de la vie bancaire » ont été créées pour faire avancer ce combat. Une proposition de loi à cet effet est également examinée par de nombreux élus.

C’est dans ce contexte que nous présentons ici les échanges qui ont eu lieu le 27 septembre 2017 lors d’un séminaire en ligne (webinar) de 50 minutes organisé au siège du grand syndicat américain, l’AFL-CIO à Washington, entre les représentants de plusieurs syndicats et associations, pour élaborer une stratégie visant à imposer une loi de séparation bancaire stricte, de type Glass-Steagall.

Le séminaire sur le Glass-Steagall a été coorganisé par Public Citizen, Americans for Financial reform (les correspondants de Finance Watch) et par le mouvement Our Revolution (relais de Bernie Sanders), dans le but explicite d’éduquer et motiver les citoyens à mettre la pression sur le Congrès, en vue d’une action immédiate.

Dès le début, la présentation a été appuyée par des graphiques démontrant l’importance de la réintroduction du Glass-Steagall pour arrêter la spéculation et relancer les investissements productifs.

L’objectif déclaré est d’augmenter le nombre de cosignataires des projets législatifs pour la séparation bancaire déjà introduits dans la Chambre des représentants, le H.R. 790 de Marcy Kaptur (pour le porter de de 57 à 100 signatures) et au Sénat, le S.881 de Elizabeth Warren, pour le porter de 8 à 20 signatures.

« Bâtir un soutien bipartite ensemble » : tel était le slogan qui s’affichait sur l’écran, avec le numéro auquel contacter son élu à Washington. (la vidéo en entier ici )

Mayo Makinde, représentant d’Ohio Revolution, ici en campagne pour Bernie Sanders.

Après une courte introduction par le représentant du groupe Ohio Révolution, Mayo Makinde, la députée Kaptur (Démocrate de l’Ohio) et son cosignataire, le sénateur Walter Jones (Républicain de la Caroline du Nord), se sont adressés au public par vidéo, en lançant de courts appels visant à inciter les citoyens à faire monter la pression sur les élus.

Kaptur souligna la nécessité de revenir à un système bancaire au service de la majorité des Américains, qui aujourd’hui voient leur épargne rapporter peu et leurs économies détruites par des pratiques bancaires prédatrices.

Jones déclara « Nous devons rétablir la loi Glass-Steagall. J’ai voté pour son abrogation et je vois maintenant comment, au cours du temps, mon erreur s’est empirée. Beaucoup plus de Républicains doivent nous rejoindre – nous ne pouvons pas le faire sans vous. » Il rappela que les deux partis l’ont introduit dans leurs programmes.

La spéculation doit être arrêtée par le Glass-Steagall

Bart Naylor de Public Citizen

La table ronde fut modérée par Bart Naylor de Public Citizen, qui posa des questions à l’économiste Nomi Prins, ancienne responsable de Goldman Sachs et auteure de plusieurs livres sur la dérive actuelle du monde financier ; au représentant d’Americans for Financial Reform, Marcus Stanley et à la représentante de l’AFL-CIO, Heather Slavkin Corzo.

Naylor commença en identifiant deux aspects importants du Glass-Steagall : d’abord, la provision par l’Etat fédéral de garanties via le FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation) pour les dépôts, puis la règle selon laquelle les activités bancaires commerciales (dépôts et crédit) doivent se restreindre à ce qui est utile à l’économie. Il demanda ensuite à Prins de décrire comment la révocation de Glass-Steagall en 1999 modifia ces paramètres.

L’économiste et auteure Nomi Prins.

Analyste brillante et courageuse, Nomi Prins dépeignit alors la mentalité de cupidité qui se déchaîna lors de l’abrogation du Glass-Steagall.

Tout se focalisa sur la manière d’augmenter le nombre et le montant des frais, en rendant les transactions de plus en plus complexes et en maximisant les moyens de spéculer.

De nouveaux instruments furent créés, comme les produits dérivés et les prêts devinrent de moins en moins productifs. « Réintroduire le Glass-Steagall diminuerait la rapacité », conclut-elle.

Marcus Stanley d’Americans for Financial Reform

Marcus Stanley évoqua ensuite l’impact de l’abrogation du Glass-Steagall sur le krach de 2007-2008.

Alors que la crise bancaire de 2007-2008 ne fut pas la première depuis les années 1930, elle fut la première à impacter tant les banques commerciales et d’investissement que l’ensemble de l’économie américaine et même mondiale.

Ce n’est pas un hasard si cette crise arriva peu de temps après l’abrogation du Glass-Steagall, ajouta Stanley : l’élimination de ce dernier a en effet permis aux méga-banques de croître tout en créant une grande vulnérabilité.

Croissance des titres adossés à des créances hypothécaires (ABS) depuis la révocation du Glass-Steagall jusqu’à 2007-2008.

Stanley montra ensuite deux graphiques : l’un illustrant la croissance des titres adossés à des créances hypothécaires (de 200 milliards à l’époque de la révocation à 1300 milliards six années plus tard) et l’autre montrant la croissance, après la révocation du Glass-Steagall, des titres et obligations adossés à des actifs (ABS, CDO), puis leur effondrement lors du krach, de deux bons tiers de leur « valeur ».

Bien sûr, le krach n’eut pas d’impact uniquement sur la finance. En réponse à la question de Naylor sur le « coût humain », la représentante de l’AFL-CIO, Heather Slavkin, mentionna la perte considérable en logements et en épargne-retraite, cette dernière ayant été en grande partie balayée.

Le tableau montre l’émission des ABS/CDO en bleu et leur taux de défaut en rouge. (Americans for Financial Reform)

Et alors qu’on nous dit que la situation s’est améliorée, remarqua-t-elle, les gens souffrent toujours. Elle mentionna tout particulièrement la difficulté des petites entreprises à obtenir des fonds, parce que les banques se concentrent sur la spéculation.

Prins put ensuite s’étendre sur l’état du secteur bancaire. Elle souligna que de telles activités spéculatives ont toujours lieu, mais sous des acronymes, et qu’elles ont créé de multiples bulles, y compris en bourse (à travers l’achat des actions des entreprises par elles-mêmes), dans les prêts aux groupes internationaux et dans l’immobilier.

Ces bulles donnent des signes de risque d’éclatement, ajouta-t-elle, alors il est urgent de prendre des mesures de précaution dès maintenant. Ce qui nourrit ce processus spéculatif, précisa Naylor, est le fait que les partenaires des grandes banques se font maintenant rétribuer avec des actions sur le court terme, plutôt qu’à la fin de leur carrière. Cela les a conduit à remplacer la cupidité de long terme par la cupidité immédiate, et à prendre des décisions de rentabilité à très court terme en matière d’investissement.

La mise en place de la loi Dodd-Frank et de la règle Volcker n’a pas arrêté ce processus, regretta Stanley. Bien que considérant la règle Volcker comme un « pas important » vers la re-réglementation, il souligna que les régulateurs laissent toujours une grande marge de manœuvre aux banques, à tel point qu’il va falloir s’attendre à une détérioration de la situation au cours du mandat de Trump. « Le Congrès et le public doivent réinstaurer un pare-feu clair », a-t-il conclu.

La bataille politique

Heather Slavkin Corzo de l’AFL-CIO.

Naylor orienta ensuite la discussion vers le contexte à Washington qui prépara la révocation du Glass-Steagall et bloqua ensuite l’action nécessaire pour le réinstaurer. Slavkin évoqua le lobby des banques sur Capitol Hill.

Elle fit observer qu’à l’époque où l’AFL-CIO faisait du lobby pour la loi Dodd-Frank, on lui répondait que les congressistes recevaient en même temps 40 appels ou visites du lobby bancaire, contre une sollicitation de la part des administrés. Il y a une « chambre de résonance pour les voix de Wall-Street » à Washington D.C., dit-elle, c’est pourquoi vous devez particulièrement vous faire entendre par votre congressiste.

Stanley évoqua l’influence de Goldman Sachs sur l’administration Trump, remarquant que le vice-président Gary Cohn, aujourd’hui chargé de la politique économique du Président, joua un rôle-clef dans les abus qui entraînèrent le krach de 2008. Il fut personnellement impliqué dans la conception et la vente de produits d’investissement basés sur des titres toxiques.

Nomi Prins fut ensuite invitée à comparer la situation politique actuelle avec celle de l’administration de Franklin Roosevelt. Les causes des krachs de 1929 et de 2008 furent similaires, dit-elle ; les instruments frauduleux furent simplement nommés différemment.

La grande différence, a-t-elle souligné, c’est qu’à l’époque il y eut deux banquiers majeurs qui se soumirent à la séparation bancaire : Winthrop Aldrich de la Chase Bank et James Perkins de National City. Aldrich agit en amont du passage du Glass-Steagall, en séparant ses divisions commerciales et d’affaires et annonça cette mesure à la Une du New York Times !

Dans la deuxième partie de la conférence en ligne, Naylor rappela à plusieurs reprises le numéro pour appeler les congressistes. Stanley décrivit les projets de loi existants (le H.R. 790, S. 881 et le H.R. 2585), en précisant qu’ils feraient tous deux ce que le Glass-Steagall fit dans les années 1930. Le S. 881 ajoute quelques éléments, comme la question des produits dérivés.

Slavkin parla du soutien bipartite pour le Glass-Steagall et Makinde d’Our Revolution souligna l’importance de signer la pétition et d’écrire aux congressistes à la main, méthode qui a déjà montré son efficacité.

Le groupe Our Revolution d’Ohio se rendra de nouveau à Washington le 27 octobre, annonça-t-il, invitant les gens à prendre date et à prendre conscience de l’importance du moment, tant du point de vue de l’opportunité à saisir que de la nécessité d’agir, au vu de la nouvelle crise qui vient.

Dans les remarques de clôture, Slavkin et Makinde rappelèrent que ce n’est pas seulement l’économie qui est en jeu, mais la démocratie américaine elle-même, rien de moins…

Alors nous aussi prenons date, signons la pétition, et constituons un vrai lobby citoyen auprès des députés français !