Laïcité

Pour une laïcité solidaire

jeudi 9 mars 2017

Ce texte est extrait du programme présenté par Jacques Cheminade à l’élection présidentielle de 2017. Notre gouvernement ne se dotant pas des moyens à la mesure des défis de notre époque, il reste plus que jamais d’actualité.

Au moment où la laïcité se trouve instrumentalisée par les uns, pour servir cyniquement le rejet de l’immigration et du dialogue des civilisations et des cultures, et étouffée par les autres dans un communautarisme sectaire, je me battrai pour le sens dont ce mot est porteur dans notre histoire.

I. Le fondement

L’accueil de l’autre et la définition avec lui d’un vouloir vivre en commun est au fondement de toute société humaine. « Reçois tout homme avec un beau visage », nous dit le Traité Avoth (Pères). C’est en partant de ce bon pied que Jaurès voyait en la laïcité, qui postule au départ une raison humaine commune, « la fin des réprouvés ». Assurant « la liberté de conscience » et garantissant le « libre exercice des cultes » sans en reconnaître, salarier ni subventionner aucun, notre loi du 9 septembre 1905 crée un espace public équitable offert à chaque croyance ou conviction respectueuse des principes de notre Constitution.

C’est dans cet espace que doit se dérouler un dialogue permanent en vue d’éviter la guerre de tous contre tous, chacun participant à l’élaboration concrète de grands projets d’intérêt mutuel valables pour tous, croyants ou pas. La laïcité est ainsi le livre sur lequel s’écrit le récit de la patrie. Cependant ce récit n’est pas une histoire qui exclut. Charles de Gaulle écrivait justement que « le patriotisme, c’est aimer son pays. Le nationalisme, c’est détester celui des autres ». J’adhère pleinement à cette vision, suivant laquelle la France est nécessaire au monde et manque lorsqu’elle faillit, mais que pour apporter au monde, elle doit elle-même se nourrir d’influences extérieures.

Il y a donc bien une laïcité intérieure, entre Français et plus généralement résidents en France, et une laïcité extérieure, incarnant le pacte vingt fois séculaire que la France a passé avec la liberté, l’égalité et la fraternité du monde.

II. La pratique de la solidarité, part commune

« Reçois tout homme avec un beau visage. » Traité Avoth, Pères.

Concrètement, la laïcité a besoin d’un socle. C’est la nécessité de toujours refonder l’engagement social et politique à partir d’un noyau solide commun aux grandes religions monothéistes et aux principaux courants spirituels et humanistes.

Il ne s’agit pas d’additionner des dogmes mais, dans une constante dynamique d’interpellations mutuelles, de bâtir des repères d’un vouloir vivre en commun dans une société qui en manque. L’Etat ne doit pas, bien entendu, avoir la prétention de diriger ou orienter ce mouvement. Cependant, son devoir est de ne pas l’empêcher d’être et de lui offrir les lieux et les moyens par lesquels il puisse s’exprimer et s’étendre.

Il est pour moi nécessaire que prenant ainsi au sérieux la parole vivante de leurs diverses croyances, un nombre croissant d’êtres humains se découvrent mutuellement dans un espace public, s’indignent de l’injustice dans laquelle nous vivons et, à partir de divers cheminements, exigent un ordre plus conforme à la justice.

Et qu’ils le défendent sans compromissions, y compris face, s’il le faut, à leurs propres coreligionnaires. Celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas combattant côte à côte pour la dignité et la justice de tous, c’est cela pour moi l’esprit de la laïcité.

Celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas combattant côte à côte pour la justice.

La laïcité est aussi dans cette démarche un combat contre l’irrationnel mais sans rejeter toute transcendance et esprit religieux, pourvu que foi et raison ne soient pas opposées.
Contre le libéralisme sauvage, elle est le lieu où doit pouvoir se manifester la complémentarité d’une science et d’une spiritualité rétablies dans leur essence originelle.

La science est la capacité dont dispose l’homme de découvrir, de comprendre et d’appliquer les principes physiques universels nécessaires à sa survie et celle son espèce. Il doit abandonner toute vanité personnelle et toute fausse certitude pour pouvoir aller là où personne n’a su aller avant lui, et rendre sa découverte compréhensible à ses semblables.

Pour entreprendre ce « voyage », la méthode inductive-déductive n’est d’aucune utilité. La découverte scientifique doit prendre en compte un univers en mutation. C’est ici que la science doit se nourrir aux sources d’une spiritualité authentique. En effet, la découverte du chercheur ne peut être fondée sur telle ou telle chose particulière, mais elle doit concevoir cette propriété comme une manifestation de l’univers tout entier agissant au moment historique où il l’observe. Cet accueil de l’univers est l’autre face de l’accueil d’autrui, et constitue ce qui est fondateur de l’espace public.

III. Plus petit dénominateur commun et plus grand commun multiple

Contrairement aux approches communautaristes ou séparatistes, la loi de 1905 définit le plus petit dénominateur commun pour chercher à vivre ensemble, manger ensemble, étudier ensemble, nager ensemble, sans que pour autant une norme s’impose uniformément à tous.

Le défi est de faire de l’unité avec de la diversité, dans une exigence commune de justice et de respect, mais sans uniformité stérile. Le plus petit dénominateur se trouvera ainsi porté par le plus grand commun multiple. Il n’y a pas d’autre issue.

« Que le facteur religieux soit un élément de paix et de progrès et non de division. »

L’idée de laïcité n’appartient pas aux partis politiques, mais aux représentants du peuple, à l’Assemblée nationale ou au Sénat, là où tous les Français sont représentés. Enfin, il appartient aux Eglises et aux grands courants humanistes de solliciter les réflexions et les avis de nos compatriotes. Il y a entre eux un souffle d’apaisement que l’on trouve beaucoup moins chez les politiques.

La Conférence des cultes de France a d’ailleurs dit naguère haut et fort : « Nous militons ensemble pour une laïcité de bonne intelligence » et « les améliorations du cadre juridique et réglementaire » doivent plutôt « s’inscrire dans la durée », de sorte que « le facteur religieux soit un élément de paix et de progrès et non de division ».

Je serais tenté pour finir de citer le Traité Sanhédrin de Tossefta : « Le juste des Nations vaut le juste d’Israël. » Et je conseillerais à tous ceux qui parlent de cette question de la laïcité de lire d’abord Jaurès : « Tout individu humain a droit à l’entière croissance. Il a donc le droit d’exiger de l’humanité tout ce qui peut fonder son essor. Il a le droit de travailler, de produire, de créer, sans qu’aucune catégorie d’homme soumette son travail à une usure ou à un joug. »

La laïcité est ainsi l’espace où se joue « la fin des reprouvés ». Je conseillerai encore de procéder à ce que mes amis musulmans appellent une « djihad al nafs » (guerre intérieure purificatrice) ou à ce que mes amis chrétiens appellent un « examen de conscience ». Cela est bien entendu incompatible avec tout esprit de djihad ou de retrait sur soi et exige écoute, dialogue et respect mutuel, se traduisant par le service du bien commun.

Elevant ainsi le débat, les questions sur les jours de dispense scolaire ou d’alimentation trouveront une solution dictée dans la sagesse et le respect de nos lois. Sur le terrain, les choses se passent d’ailleurs bien mieux lorsque des provocations extérieures ou des fatwas de diverse nature ne viennent pas bloquer les consciences et stériliser le débat.

Et la manière dont on montrera notre « beau visage », avec ou sans foulard, avec ou sans kippa, mais sans burqa, pourra redevenir naturelle. Bien plus encore, il apparaîtra qu’une laïcité juste est l’ennemie de tout esprit d’oligarchie car elle libère les capacités créatrices et la compassion des êtres humains dans l’espace public.