Ukraine : Kiev joue à la roulette russe

jeudi 25 janvier 2018

Le Parlement ukrainien, la Rada, a voté le 18 janvier une loi déclarant les territoires du Donbass « occupés » par un « agresseur », la Russie, et donnant au président Poroshenko les pleins pouvoirs sur l’armée. De fait, la Rada vient de torpiller les Accords de Minsk, qui garantissaient la tenue d’un vote dans les territoires rebelles, le rétablissement d’un contrôle du gouvernement à la frontière orientale, et la modification de la Constitution pour donner un statut spécial aux régions du Sud-Est ukrainien.

Poroshenko, qui doit encore apposer sa signature à la nouvelle loi, a immédiatement affirmé : « c’est un signal pour le Donbass et la Crimée : vous êtes des parties inaliénables de l’Ukraine ». Ce signal a été perçu de partout comme une préparation ouverte à la guerre.

Dans une tribune intitulée « Une guerre imminente entre la Russie et l’Ukraine ? », publiée le 21 janvier sur le site Consortium News, Gilbert Doctorow, membre du Comité pour des accords Est-Ouest, écrit que pour les Russes, la nouvelle loi de la Rada revient à « une déclaration de guerre », destinée à infliger un « œil au beurre noir » à la Russie suite à ses succès en Syrie.

Le grand journaliste russe Dmitri Kisselev a rapporté dans son journal télévisé du dimanche soir qu’avec cette loi, la mission dans le Donbass n’est plus décrite comme une « opération antiterroriste », mais comme une opération militaire contre les « dispositifs militaires de la Fédération de Russie ». Un QG militaire est créé pour coordonner cette opération. En vertu des Accords de Minsk, les républiques auto-déclarées de Donetsk et de Lugansk étaient considérées comme des « parties de la négociation » ; aujourd’hui, elles ne sont plus que des « administrations d’occupation » de la Fédération de Russie sur ces territoires.

Pour Gilbert Doctorow, ce n’est pas la loi en tant que telle qui pose problème, mais plutôt l’ambiance générale qui règne à Kiev en faveur de la guerre : « Poroshenko n’a rien fait pour mettre en œuvre les accords de Minsk ; pas un seul cessez-le-feu le long des lignes de contact n’a été observé ; il y a des attaques et des morts tous les jours. (…) Kiev a effacé la population des deux républiques. Elle a coupé toutes les liaisons de transport et de télécommunications, et ne verse aucune pension ni aucune aide sociale. Elle a bloqué le système bancaire et les échanges commerciaux (…) Pour Kiev, les deux provinces ne sont que des territoires à reprendre à l’occupant ».

Doctorow ajoute que les circonstances économiques poussent également Kiev à la guerre ; en effet, l’UE a refusé d’accorder 600 millions d’euros de crédits, à cause de la corruption. Le FMI a récemment refusé une tranche de 800 millions de dollars en raison de l’échec de l’Ukraine à réaliser des réformes. En 2019, l’Ukraine doit commencer à rembourser les prêts antérieurs, soit 14 milliards de dollars par an. Ainsi, Poroshenko et ses acolytes du gouvernement n’ont aucune chance de remporter les élections.

Les néocons américains à la manœuvre

Toutefois, ils ne s’engageraient jamais dans une telle aventure sans une garantie et un soutien américains. Car le vent soufflant sur les braises du conflit ukrainien provient bien de l’autre côté de l’Atlantique. Comme le faisait remarquer le journal Les Échos le 25 décembre dernier, les États-Unis ont annoncé à la veille de Noël qu’ils autorisaient la vente d’armes létales à l’Ukraine « pour renforcer ses capacités de défense », et « l’aider à défendre son intégrité territoriale et décourager de nouvelles agressions », selon le département d’État. « Le président américain, Donald Trump, a approuvé personnellement cette décision, se rangeant à l’avis de son secrétaire à la Défense, Jim Mattis, et de son secrétaire d’État, Rex Tillerson, tous deux favorables à un soutien plus affirmé à l’armée ukrainienne ». Le président Poroshenko avait qualifié cette décision américaine de « passeport transatlantique contre le virus russe d’agression », d’après Les Échos.

Dans un long article publié le jour du vote de la Rada sur The Real News Network, Le journaliste américain Max Blumenthal détaille l’histoire du soutien apporté par les États-Unis au bataillon néo-nazi Azov, débuté sous l’administration Obama en octobre 2016. Blumenthal écrit qu’en novembre 2017, « une équipe d’inspection militaire américaine a rendu visite au bataillon Azov sur les lignes de front de la guerre civile ukrainienne afin d’évoquer des questions logistiques et d’approfondir la coopération. Les images de la rencontre montraient des officiers de l’armée américaine surplombant des cartes aux côtés de leurs homologues ukrainiens, semblant complètement ignorer les écussons portant la Wolfangel, symbole d’inspiration nazie, cousus sur leurs manches ».

Le Congrès a pourtant adopté en septembre dernier une loi (le House Defense Appropriations Act) dans laquelle une provision devait assurer qu’ « aucun des fonds mis à disposition par la loi ne pourra être utilisé pour fournir des armes, de l’entraînement ou autre forme d’aide au bataillon Azov ». Mais, comme le fait remarquer Blumenthal, cette provision n’a toujours pas été validée.

L’Europe va-t-elle jouer un rôle pour éviter une conflagration ?

Sans doute effrayés à l’idée des conséquences tragiques d’une nouvelle escalade dans cette région du monde, certains milieux américains tentent de calmer le jeu. L’agence américaine Bloomberg appelle en particulier à l’Allemagne et la France à agir : « Il revient à Merkel et Macron d’intervenir d’une main ferme afin de raviver [les Accords de] Minsk. (…) Les Nations unies pourraient sans doute organiser une élection équitable parmi les trois millions de personnes vivant encore dans cette région ravagée par la guerre, ainsi que parmi celles ayant fuit dans d’autres régions d’Ukraine, de Russie et d’Europe. Les forces de maintien de la paix pourraient assurer la sécurité pendant le vote et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui a observé le cessez-le-feu, pourrait aider à faire en sorte que le décompte soit correctement respecté. L’Ukraine devrait apporter sa garantie qu’elle ne cherchera pas à poursuivre les collaborateurs des ‘républiques populaires’, afin de maintenir la paix après les élections ».