Les États-Unis, champions de l’ingérence ? « Oui, mais nous on le fait pour votre bien ! »

lundi 26 février 2018

Notre époque ferait apparaître les plus grands arracheurs de dents de l’histoire comme de simples bonimenteurs du dimanche, tant la pratique du mensonge atteint aujourd’hui des proportions gargantuesques, de façon toujours plus éhontée et plus grossière, et où l’on n’hésite pas à accuser son voisin alors qu’on a soi-même le bras tout entier dans le pot de confiture.

Dans un article publié le 22 février et intitulé « Comment Poutine manipule les démocraties occidentales », le magazine britannique The Economist explique, en reprenant la thèse du procureur spécial Robert Mueller qui enquête sur le « Russiagate », que « la Russie a lancé en 2014 une conspiration contre la démocratie américaine » et contre l’Europe. « On pense que la Russie a financé des politiciens extrémistes, piraté les systèmes informatiques, fomenté des manifestations et propagé des mensonges », lit-on.

Le refrain de l’agressivité russe contre les démocraties occidentales tourne tellement en boucle dans les médias – avec en arrière-fond les roulements de tambour de la guerre – que les citoyens se trouvent comme frappés d’amnésie, oubliant que les champions incontestés de l’ingérence dans les affaires intérieures des pays, au moyen de coups d’État, d’immixtions électorales, de « révolutions » populaires et de guerres, sont bien les États-Unis.

Interviewé sur Fox News le 17 février à propos de l’interférence russe dans les élections américaines, l’ancien directeur de la CIA James Woolsey l’a avoué sans détour. Alors que la présentatrice Laura Ingraham lui demandait si les États-Unis avaient déjà « tenté de s’immiscer dans les élections d’autres pays », Woolsey a répondu : « Oh probablement... mais c’était pour le bien du système... » Ingraham a alors demandé : « Nous ne le faisons plus maintenant ? On ne perturbe pas les élections des autres pays ? » Ce à quoi Woolsey a répondu : « Eh bien... hhhhmmm, numm... seulement pour une très bonne cause... dans l’intérêt de la démocratie ».

Une pratique bien huilée…

Comme l’écrivain russe Vladimir Fédorovski l’a récemment rappelé dans un entretien avec Le Figaro Magazine, c’est bien la CIA qui a assuré en 1996 l’élection de Boris Yeltsine à la présidence russe, plongeant ainsi la Russie dans l’effondrement économique et social le plus fulgurant de son histoire.

Bien entendu, il ne s’agissait pas d’une exception. Une commission du Sénat russe vient de mener une étude dénombrant « une centaine de cas certifiés d’ingérence américaine dans les affaires souveraines d’environ soixante nations, depuis la ratification de la Charte des Nations unies en 1946 ». Valentina Matvienko, la présidente du Sénat, a déclaré que les tentatives d’interférer dans les affaires internes de la Russie durent depuis des années et que près de 100 milliards de dollars ont été envoyés en Russie pour sponsoriser des « activités politiques ». (Source : RT)

D’après le politologue Dov Levin, enseignant post-doctorat à l’institut de politique et stratégie de l’Université Cornegie-Mellon, les États-Unis ont continué leurs opérations d’immixtion électorale à l’étranger après la fin de la Guerre froide, notamment en Israël, dans l’ancienne Tchécoslovaquie et ailleurs. Depuis 2000, ils se sont immiscés dans les élections en Ukraine, au Kenya, au Liban, en Afghanistan, etc.

Victoria Nuland, secrétaire d’État adjointe aux affaires européennes et eurasiatiques dans l’administration Obama, a ouvertement admis que le Département d’État avait dépensé cinq milliards de dollars dans la « révolution de Maïdan » en 2014, afin de faire tomber le président Yanoukovitch (grâce à l’aide des milices paramilitaires néo-nazies, rappelons-le).

Tradition britannique

Mais ne nous y trompons pas. Il est trop facile de tomber dans un anti-américanisme primaire. Comme S&P l’a affirmé depuis plus d’un an, le « Russiagate » a été concocté dans les cuisines britanniques. L’ « ex » agent du MI6, Christopher Steele, sur lequel se sont appuyés les plus hautes instances de l’administration Obama, du FBI et du Département américain de la Justice pour tenter d’empêcher l’élection de Donald Trump, puis de saboter sa présidence, n’est pas un individu isolé. On sait désormais que plusieurs personnalités de haut niveau dans les institutions britanniques sont impliquées dans cette affaire, comme le directeur du Global Communications Headquarters (le GCHQ, la NSA britannique), Robert Hannigan, ou l’ancien chef du MI6 Sir Richard Dearlove (l’auteur du dossier sur les armes de destruction de Saddam Hussein remis à Tony Blair). L’ingérence dans l’élection américaine de 2016 n’est donc pas russe, mais britannique.

Et l’on peut, à ce stade, parler d’une véritable « tradition ». Au cours de la relativement courte histoire de la nation américaine, sept présidents sont morts en cours de mandat, et dans de nombreux cas, la main britannique apparaît clairement. L’organisateur du complot contre Lincoln, Judah Benjamin, par exemple, était allé trouver refuge en Angleterre. L’assassin de William McKinley fréquentait les cercles d’une certaine Emma Goldman, une anarchiste russe dont l’historien Quentin R. Skrabec affirme qu’elle était financée par les riches banquiers de Wall Street et d’Angleterre. Enfin, la société Permindex, qui est au cœur de l’assassinat de John F. Kennedy, était directement liée au MI6 britannique.

En réalité, l’Empire britannique n’a jamais accepté la perte de ses anciennes colonies, d’autant plus que le modèle de nation libre et indépendante que représentait la République américaine menaçait l’hégémonie de son système de pillage et d’esclavage dans le monde. Au XIXe siècle, à la suite du mandat du président John Quincy Adams, aucun président voulant perpétuer l’héritage des Pères fondateurs – caractérisé en particulier par la création d’une banque nationale « hamiltonienne » et le développement des infrastructures et des manufactures – ne pourra terminer son mandat. William Henry Harrison meurt en 1841, après trois mois à la présidence, officiellement d’une pneumonie contractée suite à un trop long discours sous la pluie. Zachary Taylor meurt en 1850, officiellement pour avoir mangé trop de cerises et avoir bu trop de lait lors d’une cérémonie. Puis, Lincoln, James Garfield et McKinley sont assassinés en 1863, 1888 et 1901 (lire notre article « Pourquoi seuls les bons présidents américains sont-ils assassinés ? »).

Il est essentiel pour nous, Français et Européens, autant que pour les Américains, de se réapproprier cette histoire, afin de ne plus être les dupes du « story telling » actuel et d’intervenir avec discernement en politique.