Jean-Luc Salanave : pourquoi Bure est un projet éco-responsable

samedi 3 mars 2018

Aujourd’hui, la création d’un centre de recherche pour l’étude et l’enfouissement des déchets nucléaires (Centre industriel géologique ou CIGEO) concentre l’essentiel de l’attention médiatique.

En effet, un site d’enfouissement à 500 m sous terre, d’une surface de 15 km2 doit accueillir, sur le site de Bure (Meuse) :

Pour nous, c’est l’occasion de donner la parole aux scientifiques pour qu’ils nous en expliquent les enjeux. Voici donc un entretien avec le professeur Jean-Luc Salanave, industriel, scientifique de l’énergie, écologiste et professeur à l’Ecole Centrale.

Comme l’affirme celui qui a posté la vidéo sur Youtube, il est essentiel de rappeler que :
« Notre génération porte une lourde responsabilité environnementale. Au point que les citoyens occidentaux nantis que nous sommes en arriveraient presque à considérer comme normal de jouir des biens de consommation courante (smartphones, voitures, énergie, électricité, …) sans avoir à en supporter les inconvénients et sans accepter d’en gérer les déchets. Qui n’a pas jamais eu cette honteuse réaction « pas dans mon jardin », certains poussant même le toupet jusqu’à espérer voir leurs propres déchets dans le jardin des autres ?! Les déchets nucléaires produits par chacun de nous depuis 40 ans n’échappent pas à notre navrante irresponsabilité, alors que la ’fée électricité’ qui les a produits nous a tout apporté (bien-être, confort, santé, communication, progrès, niveau de vie …).

Cette vidéo en forme d’interview rappelle les vertus du projet CIGEO que la France, après 30 ans d’études, est sur le point de réaliser. Elle rappelle aussi que ces déchets sont les nôtres et qu’il serait profondément injuste d’en laisser la gestion à nos successeurs. »

Projet CIGEO de Bure.

Le Monde titre des « faits alternatifs »

Parmi les réactions à la publication de l’ASN qui affirmait pourtant que le dossier CIGEO de Bure était « techniquement mature », le dossier du quotidien Le Monde consacré au sujet a particulièrement fait réagir.

Titré dans sa Une papier « Nucléaire : l’ASN juge le projet Bure dangereux », il a conduit a posteriori le « gendarme du nucléaire » à réaffirmer son avis dans un communiqué de presse estimant que « le titre de la Une de la version papier du journal Le Monde daté du 15 janvier 2018 ne [le] traduit pas de façon adéquate. »

Mais qu’attend-on pour généraliser le nucléaire renouvelable, celui des réacteurs nucléaires de génération IV ?

Par Jean-Luc Salanave, janvier 2016.
Extrait

Source : Agoravox

(...) Et les raisons ne manquent pas pour que le nucléaire mérite l’appellation « verte ». Voici quelques unes de ses « nuances de vert » remarquables.

Le nucléaire est de loin l’énergie la plus compacte, celle qui « pollue » le moins nos paysages. Des éoliennes, des cellules photovoltaïques ou des installations hydroélectriques occuperaient 50 à 100 fois plus de kilomètres carrés pour produire annuellement la même énergie que nos 19 centrales nucléaires.

Le nucléaire est sobre en ressources naturelles. Son « combustible », l’uranium naturel, est abondant partout dans la croûte terrestre , avec une répartition géopolitique équitable garante des indépendances énergétiques des pays riches ou pauvres. En France plusieurs dizaines de mines d’uranium ont été exploitées, avant qu’on ne préfère s’approvisionner sur le marché mondial, moins cher, ouvert, abondant et sûr. Les océans contiennent suffisamment d’uranium dissous pour des milliers d’années de besoin de nos réacteurs présents et futurs.

Le nucléaire génère une quantité de déchets plus faible que la plupart des autres technologies électrogènes, éolienne et photovoltaïque incluses. Un exemple : le nouveau réacteur EPR nécessite 10 fois moins de béton que les socles des 3000 éoliennes de 2MW qui produiraient annuellement la même énergie, et même 30 fois moins si on ramène ce béton à l’électricité produite sur la durée de vie (25 ans pour les éoliennes, 80 ans pour l’EPR).

Quant aux déchets radioactifs, l’excellence et la rigueur de leur gestion et de leurs contrôles démocratiques et réglementaires, leur absence d’impact sanitaire sur les populations depuis des décennies, tout cela fait que les déchets, cités un temps comme le « gros défaut », sont devenus de fait une qualité du nucléaire, comparé aux autres sources d’énergie.

Ce sujet des déchets nucléaires a été certes très déformé par le prisme médiatique qui agite des « problèmes » sans montrer les solutions. Les déchets nucléaires de haute activité ne font pas exception, ceux qui concentrent 95% de la radioactivité dans 0,2% des volumes : pour eux non plus on n’a déploré aucun accident de transport ni de traitement avec le moindre impact sur le public de ce pays. Ils sont vitrifiés et encapsulés, et, afin que les générations futures n’aient pas la contrainte injuste (ce sont nos déchets, pas les leurs !) et inutile de continuer à les surveiller en surface à notre place, ils est prévu de laisser décroître naturellement leur radioactivité dans GIGEO, un des meilleurs projets de protection géologique au monde.

Dans 300 ans la radioactivité des déchets les plus dangereux, les fameux produits de fission, aura décru au niveau de celle d’un simple minerai d’uranium naturel ; pour quelques autres destinés aussi à CIGEO ça prendra certes quelques 10000 ans, pour ainsi dire une infime fraction de temps pour ce coffre-fort d’argile du Callovo-Orfordien étanche et stable depuis … 160 millions d’années.

Cette réussite exemplaire de la gestion des déchets nucléaires devra servir de modèle quand il s’agira demain de traiter les déchets et poisons chimiques issus du photovoltaïque, de l’éolien et de leurs millions de batteries de stockage d’électricité.

Nucléaire, hydraulique et éolien sont les meilleures énergies vertes dites « bas carbone », rejetant sur leur cycle de vie 30 à 50 fois moins de CO2 par kWh que le lignite ou le charbon, et 10 fois moins que le solaire photovoltaïque.

L’importante quantité d’énergie nécessaire à la fabrication des cellules solaires PV explique en effet ce triste paradoxe qu’il faudra entre 20 et 30 ans de fonctionnement à une cellule fabriquée en Allemagne ou en Chine installée en France pour faire simplement économiser le CO2 qui a servi à sa fabrication.

Pour notre empreinte CO2 le nucléaire est bien plus vertueux que le solaire photovoltaïque, sans même compter la compensation de l’intermittence de ce dernier par du gaz. Certes le nucléaire civil, compte tenu de ses nombreuses qualités intrinsèques, n’a pas eu besoin de cet avantage carbone ni du réchauffement climatique pour s’imposer et se développer au siècle dernier, mais cet atout CO2 très « vert » du nucléaire, reconnu internationalement, est affiché comme une des principales motivations par tous les pays qui ont, depuis et malgré Fukushima, porté à 66 le nombre de réacteurs en cours de construction sur la planète fin 2015, un record depuis 25 ans selon l’AIE.

L’inconvénient de la radioactivité compense-t-il l’avantage CO2 du nucléaire ? Non. A la différence des effets climatiques planétaires causés par le CO2, la radioactivité du nucléaire et de ses déchets nucléaires ne perturbe pas les équilibres géologiques planétaires naturels, la Terre étant par nature des millions de fois plus radioactive que toute la radioactivité artificielle que l’homme pourrait créer ; la radioactivité artificielle n’est d’ailleurs pas différente, par sa nature et ses effets, de la radioactivité naturelle (à laquelle nous sommes tous 58 fois plus exposés, selon l’IRSN) ou de la radioactivité médicale (à laquelle nous sommes en France 41 fois plus exposés).

L’énergie nucléaire est quasiment la seule à avoir fait la preuve industrielle de la recyclabilité de 25% (dès aujourd’hui) et de 96% (demain) de ses combustibles « brûlées », pour en refaire du combustible neuf, ne laissant que 4% de produits de fissions comme déchets ultimes non-recyclables ! 40% de la flotte de réacteurs EDF recycle déjà la quasi-totalité du plutonium issu du retraitement des combustibles usés du parc français, sous forme de combustible MOX (Mixed Oxide). Cette qualité du nucléaire en fait aujourd’hui un champion de la très « verte » économie circulaire moderne.

En revanche, le vent, l’énergie solaire, hydraulique, géothermique, la biomasse sont renouvelables (même si les éoliennes, les capteurs, les barrages et les centrales ne le sont pas).

Mais qu’attend-on pour généraliser le nucléaire renouvelable, celui des réacteurs nucléaires de génération IV ? Appelés surgénérateurs, ils produisent autant voire plus de combustible fissile qu’ils n’en consomment (n’est-ce pas la définition de renouvelable ?).

Ces réacteurs ne sont pas un rêve. Leurs prototypes industriels ont déjà produit, en France et dans le monde, plusieurs milliards de kilowattheures injectés sur les réseaux électriques.

Le nucléaire de 2040 sera donc « vert » aussi parce qu’il sera quasi-renouvelable, en tout cas durable pour des millénaires. C’est bien plus qu’il n’en faut pour attendre, vers la fin du siècle, le nucléaire de fusion et ses ressources quasi infinies.