Un âne ne trébuche pas deux fois sur les mêmes subprimes, l’UE si !

mardi 13 mars 2018

La création des SBBS, nouveaux titres souverains pouvant être titrisés sur les marchés, diffuserait le risque financier plutôt que de le limiter, explique dans une tribune au « Monde » Jean-Michel Naulot, ancien membre du collège de l’Autorité des marchés financiers.

Bientôt des « subprimes » dans la zone euro ?

Par Jean-Michel Naulot (Ancien membre du collège de l’Autorité des marchés financiers)
Source : Le Monde/Economie, 13 février 2018.

Depuis 2012, la crise de l’euro est toujours là, mais elle est souterraine. La BCE a atténué la crise en achetant et en faisant acheter de la dette des pays périphériques. Mais ceci ne peut durer indéfiniment. La BCE cherche donc des moyens de relayer ces achats de dettes. La Commission et la BCE viennent ainsi de proposer un produit de titrisation qui ressemble étrangement ... aux subprimes !

Au début des années 2000, les investisseurs ont cru qu’avec la naissance de l’euro l’intégration financière allait progresser rapidement. Une obligation publique allemande serait désormais équivalente à une obligation française, italienne ou grecque. La Banque centrale européenne (BCE) elle-même se félicitait de cette évolution et plaidait avec vigueur en faveur de l’accélération d’un mouvement jugé inéluctable. Pendant de longues années, les taux allemands, français, espagnols ou grecs ont ainsi été proches les uns des autres.

Au cours de l’hiver 2010, le réveil a été difficile ! Les taux des obligations se sont écartés brutalement. Des bulles financières gigantesques ont éclaté, notamment en Espagne et en Grèce. Les investisseurs et les banques avaient eu le tort de croire les autorités monétaires. Ils ont découvert subitement que ces taux artificiellement bas avaient contribué au surendettement. Plus personne n’a voulu acheter d’obligations des pays périphériques.

Face à la crise, la BCE a pris les choses en main. Sous la présidence de Jean-Claude Trichet, elle a acheté des obligations publiques pour calmer l’envol des taux. Sous la présidence de Mario Draghi, elle a prêté massivement à taux zéro aux banques, notamment espagnoles et italiennes, en théorie pour faciliter le crédit bancaire, en réalité pour leur permettre d’acheter de la dette et calmer les marchés. A partir de mars 2015, elle a déclenché une spectaculaire politique d’assouplissement quantitatif (quantitative easing) en achetant elle-même, et par le biais des banques centrales nationales, des dettes publiques.

A l’issue de toutes ces opérations, la BCE et les banques centrales nationales détiendront en septembre prochain, à l’issue du quantitative easing, 21 % des dettes publiques de la zone euro, un montant considérable si on compare ce chiffre aux 12 % que la Réserve fédérale américaine (FED) détient dans la dette fédérale. Le bilan de la BCE sera deux fois plus lourd que celui de la FED : 42 % du PIB de la zone euro, au lieu de 23 % du PIB américain.

Par ailleurs, les banques commerciales de la zone euro détiennent 17 % des dettes publiques, contre 3 % pour les banques américaines. La crise de la zone euro a été calmée à ce prix, mais une telle politique ne peut être conduite indéfiniment. Une création monétaire excessive génère en effet des bulles financières et le métier des banques n’est pas de financer la dette publique.

Pour renforcer l’intégration financière, la BCE cherche un nouveau produit. Les eurobonds auraient été pour elle un produit idéal, mais les Allemands ont mis leur veto à cette mutualisation des risques : ils ne veulent pas être les principaux payeurs en cas de défaillance d’un Etat.

Dans ce contexte, le comité européen des risques systémiques (CERS), présidé par la BCE, vient de donner son aval à un nouvel instrument qui ressemble aux eurobonds mais avec une différence notable : ces sovereign bond-backed securities (SBBS) constitueraient une dette commune… mais sans mutualisation. Le risque serait découpé en tranches, en fonction de la qualité des obligations au moment du montage de l’opération, puis il serait titrisé. Les classes d’obligations les plus risquées seraient appelées en priorité en cas de défaut. Ces SBBS, dont le montant pourrait atteindre 1500 milliards d’euros, irrigueraient progressivement tout le système financier de la zone euro.

De manière un peu audacieuse, la Commission européenne qualifie cet instrument financier de produit « sans risque ». C’est exact… lorsque tout va bien ! Il en allait ainsi des subprimes notés triple A par les agences de notation pendant les années 2004-2006, lorsque les taux étaient à un niveau bas et lorsque le prix des maisons montait. Mais à l’été 2007, les ménages rencontrant des difficultés de paiement avec la hausse des taux, ces titres ont perdu 25 % de leur valeur en quelques semaines. Or le risque subprime était disséminé dans les salles de marché des banques et dans les fonds, entraînant une peur panique et une crise systémique.

Si demain un Etat de la zone euro rencontrait des difficultés inattendues, que deviendraient les SBBS et ceux qui les auraient achetés ? On cherche à nous rassurer en nous disant que les tranches les moins risquées seraient bien protégées, mais ces analyses académiques font fi du fait qu’un simple doute sur un instrument financier complexe diffusé à grande échelle peut déstabiliser le système financier tout entier. Le risque souverain n’est pas un long fleuve tranquille. Il peut varier à tout moment et brutalement en fonction de facteurs strictement politiques, et se diffuser très rapidement là où on ne l’attend pas.

L’argument avancé pour justifier le lancement de ce produit est qu’il faut couper le lien entre les dettes souveraines et les Etats. Si tel est le cas, qu’attendent la BCE et les régulateurs européens pour revenir sur l’exemption réglementaire qui traite les dettes souveraines de la zone euro avec un risque nul ? En vérité, la vraie justification des SBBS est d’inciter les banques des pays les mieux notés à acheter de la dette des pays les moins bien notés pour continuer à soutenir les pays périphériques. Certains observateurs ne manqueront pas de voir également dans ces SBBS un but politique caché : rendre l’euro irréversible en créant ce nœud gordien de la dette publique, alors que des marchés fragmentés laissent toutes les hypothèses ouvertes.

S’il fallait une seule preuve que les SBBS ne sont pas sans risque, on la trouverait dans la dernière partie du rapport du CERS. Pour permettre le lancement de ces obligations, il est envisagé de bouleverser les règles prudentielles qui seraient normalement applicables ! En 2008, la démonstration fut faite que la dispersion des risques par la titrisation s’accorde mal avec la stabilité financière. Avons-nous déjà tout oublié ?