Communiqué de Jacques Cheminade

Combattre la nature réelle du fascisme

lundi 6 mai 2002

« C’est un crime de rendre les hommes tristes »
- Simone veil

Il restera de cette élection présidentielle la tristesse d’une occasion perdue. Les Français ont porté au second tour un tribun des guerres coloniales et élu un homme qui a toujours trahi ses promesses. Le rôle de la France dans le monde n’a fait l’objet d’aucun débat sérieux. Il n’y a pas de quoi être fiers.

Cependant, derrière la scène a jailli un profond désir de changement. Si, dans la confusion des étiquettes, ce désir n’a pas trouvé les mots et les hommes pour s’exprimer de manière originale, il est maintenant urgent de le nourrir de sens et de repères. Car ce n’est qu’investi dans un engagement politique neuf qu’il ne retombera pas.

Choix de politique internationale

Engagement politique signifie d’abord faire face au danger réel, sans les leurres d’une complaisance idéologique, d’un romantisme commode ou d’un catéchisme « révolutionnaire ».

Or le danger le plus réel, c’est le nouvel impérialisme américain qui promeut le « choc des civilisations » (Samuel Huntington) et les guerres entre cultures et religions. Ce « fascisme universel » (Michael Ledeen) pratique la fuite en avant militaire, en réaction à l’effondrement du système financier et monétaire international. C’est donc tricher de ne pas commencer par là, c’est tricher de parler de principes ou de politique intérieure en n’opposant rien à ce danger. C’est nous rendre impuissants de faire comme si nous étions coupés du monde et avalions toutes les couleuvres de Washington.

Le premier impératif est donc de fixer un horizon mondial à notre engagement, pour que la France et l’Europe défendent ensemble et en première ligne un nouvel ordre économique international fondé sur les grands travaux d’infrastructure, la production, la solidarité et la justice. En rupture avec la logique du FMI et de l’OTAN, nous avons la responsabilité de combattre une politique de pillage financier et d’aventure militaire.

Autour d’actes solidaires - un vrai plan de paix par le développement économique mutuel au Proche-Orient (eau, énergie, industries), garantissant la justice à un peuple opprimé et la sécurité à deux Etats - créons les conditions d’un dialogue pour la paix entre civilisations, cultures et religions, dans lequel chacun apporte le meilleur de lui-même.

Choix de politique intérieure

Nos choix de politique intérieure doivent manifester la même fermeté sur les principes. Au culte de l’usure financière et du court terme, camouflé en « modernisation », substituons la défense des services publics, le redressement de l’école, la réurbanisation des banlieues, la réindustrialisation nationale et l’engagement que chacun puisse vivre dignement de son salaire, comme chaque pays du monde devrait pouvoir vivre dignement de sa production.

Ce n’est qu’en retrouvant ainsi le sens du bien commun et en combattant les injustices qui abaissent les consciences, dans le monde comme chez nous, que nous inspirerons le respect de nous-mêmes et des valeurs de notre société. Cela s’appelle la sécurité publique, que seul un Etat fort peut garantir.

Lorsque les intérêts de Jean-Marie Messier, de François Pinault ou de Bernard Arnault sont courtisés par la droite et par la gauche, lorsque le Trésor public exige le paiement de ses créances au détriment des Français surdendettés et impose si modérément les stock-options, lorsque la droite comme la gauche privatisent et taillent en pièces les services publics (à quand EDF et La Poste ?), lorsqu’elles ne tiennent pas compte de la vie et de la pensée des gens, il ne peut plus y avoir de respect et la rancœur des gens devient extrémiste.

Peut-on se lever contre Le Pen si l’on approuve la guerre d’un Bush ou d’un Sharon ? Peut-on prétendre combattre l’insécurité si on en a laissé se créer toutes les conditions culturelles (violence à la télévision, violence des jeux vidéos), sociales (démantèlement progressif du système de protection), économiques (extension du trafic de drogue et des paradis fiscaux) et scolaires (absence de politique de santé publique à l’école) ? Peut-on croire que Jacques Chirac mènera une autre politique lorsqu’à sa réunion de Lyon, les ex-futurs alliés du Front national, Charles Millon, Jean-Pierre Soisson et Jacques Blanc, se trouvaient au premier rang ? Peut-on croire au renouvellement de notre vie politique par ceux qui l’ont laissé s’avilir et en organisent le financement en leur faveur ?

Les trémolos républicains sont la pire des choses lorsqu’ils masquent l’inertie et la veulerie face au nouveau fascisme qui monte dans le monde, dont nos dirigeants ont laissé et laissent se créer les conditions.

Pédagogie de l’intérêt général

La manière de penser la politique, de l’organiser et de la vivre doit se transformer pour répondre au désir de changement qui jaillit dans notre pays et engendrer des dirigeants d’un autre type, c’est-à-dire pédagogues de l’intérêt général.

Si nous n’y parvenons pas, si nous continuons à ne plus prendre en compte ceux qui se sentent abandonnés et ceux qui se dévouent à la cause des autres - enseignants, policiers de terrain, pompiers, infirmières, éducateurs, élus locaux... - si nous continuons à laisser s’affronter les clientélismes sans résoudre les problèmes, si nous ne donnons pas leurs pleins droits politiques aux 6 millions de musulmans de notre pays, si nous continuons à penser au ras de la France, nous n’aurons plus le droit de nous plaindre.

C’est l’affaire de chaque citoyen de se donner, la prochaine fois, des candidats pour lesquels nous ayons tous vraiment envie de voter. Voter « pour », pas « contre » ou « malgré nous ». Vaincre les puissants par l’union des faibles, dans la joie d’occasions retrouvées.