Crise migratoire, guerre commerciale… Pas de solution sans projets gagnant-gagnant !

mercredi 20 juin 2018

Vendredi 15 juin, les États-Unis ont annoncé les détails des taxes douanières sur les importations qui entreront en vigueur le 6 juillet prochain. L’administration américaine, qui s’était engagée au départ à taxer tous azimuts les importations d’acier et cherchait à protéger les capacités industrielles américaines, a dégénéré dans une logique de guerre commerciale brutale et absurde contre la Chine en particulier, et d’autres rivaux. La Chine a immédiatement répliqué par des mesures similaires.

Des taxes à 25 % seront donc appliquées dans les deux sens sur divers produits importés, pour un total de 34 milliards de dollars. On s’attend à ce que les États-Unis annoncent bientôt 16 milliards supplémentaires visant 284 produits, ce à quoi la Chine devrait répondre avec l’équivalent sur des importations américaines sur le charbon, le pétrole brut et les produits chimiques. Trump menace même, en mesure de représailles contre la réplique de la Chine, de taxer 200 milliards de dollars d’importations supplémentaires...

Les dirigeants chinois, comme le Premier ministre Li Keqiang et le ministre des Affaires étrangères Wang Yi, ont pourtant proposé aux États-Unis d’accroître leurs exportations de biens à forte valeur ajoutée et de haute technologie vers la Chine, ce qui permettrait de réduire le déficit commercial ; ils ont également proposé de faire des investissements conjoints pour des projets de développement dans des pays tiers, et de favoriser les investissements industriels chinois aux États-Unis, tant pour servir le marché américain que pour permettre les États-Unis d’exporter vers d’autres pays.

La mise en place de ces taxes n’est aucunement associée à une stratégie de renaissance industrielle ; elles sont purement punitives. L’administration Trump a choisi de s’engager dans une voie perdant-perdant, comme les Chinois l’ont prévenue. Le plus absurde est que les taxes annoncées vendredi dernier visent 1200 produits que la Chine n’exporte que très faiblement voire pas du tout aux États-Unis ! Il s’agit par exemple d’unités de production d’énergie, y compris nucléaire, et des turbines, pompes, valves, dispositifs de blindage et de mesures, etc, qui y sont associés. L’objectif de ces tarifs douaniers est d’empêcher le développement futur potentiel de ces exportations chinoises d’ici 2025, et de retarder ainsi les progrès de ce pays dans le domaine des hautes technologies.

Lors de son annonce vendredi, le président Trump a déclaré : « Il s’agit notamment de biens liés au plan stratégique chinois Made in China 2025 visant à dominer les industries de haute technologie émergentes qui stimuleront la croissance économique future de la Chine, mais qui nuiront à la croissance économique des États-Unis ».

Cet argument est fallacieux, car il se fonde sur la croyance que l’économie est un jeu à somme nulle, et qu’un gagnant implique forcément un perdant. La Chine, par ses investissements massifs dans les infrastructures chez elle et à l’étranger, élargit ses marchés d’exportation pour les produits à haute valeur ajoutée. Les États-Unis pourraient faire de même, y compris à travers des projets conjoints avec la Chine. En tentant de bloquer complètement le commerce de haute technologie entre les deux pays, l’administration Trump inflige un préjudice à l’économie américaine en dehors même des mesures de rétorsion décidées par la Chine.

Et en effet, cette guerre commerciale suscite de nombreuses inquiétudes à travers l’ensemble des États-Unis, notamment chez les agriculteurs, mais également dans les secteurs automobile et aéronautique. Des réunions et conférences ont lieu dans différents endroits des États-Unis afin de mesurer les dégâts prévisibles. En Alaska par exemple, entre un tiers et la moitié des exportations de produits de mer (saumon, goberge, hareng, crabe, etc) vont en Chine.

« Il est très regrettable que les États-Unis, au mépris du consensus entre les deux parties, aient fait volte-face et déclenché une guerre commerciale », a déclaré le ministère chinois du Commerce dans un communiqué. « Cette mesure nuit non seulement aux intérêts bilatéraux, mais aussi à l’ordre commercial mondial. La partie chinoise s’y oppose fermement. De nos jours, lancer une guerre commerciale n’est pas dans l’intérêt du monde. Nous appelons tous les pays à agir ensemble pour mettre un terme à une telle démarche dépassée et rétrograde, et pour préserver résolument l’intérêt commun de l’ensemble de l’humanité ».

Mercredi, le ministre des Affaires étrangères Wang Yi a dit au secrétaire d’État américain Mike Pompeo, qui se trouvait à Beijing, que deux options se présentaient à eux : la « coopération » et un scénario « gagnant-gagnant », ou une approche « perdant-perdant ». « La Chine opte pour la première et nous espérons que les États-Unis feront un choix judicieux ». Wang a déclaré que l’engagement d’acheter davantage de produits américains ne sera pas mis en œuvre si des droits de douane sont imposés.

Trump, s’il adoptait l’approche qu’il a lui-même fait valoir lors de sa rencontre historique avec Kim Jong-un en disant que « le passé ne doit pas définir le futur », pourrait tout à fait négocier avec la Chine en vue d’établir des accords entre les États-Unis et la Chine pour développer l’Amérique centrale et du Sud au moyen de crédit finançant de grands projets d’infrastructures et le développement agro-industriel, dans le cadre de l’initiative de la ceinture et la route (« Belt and Road Initiative », ou BRI), c’est-à-dire les Nouvelles Routes de la soie. Après tout, c’est exactement ce qu’envisagent actuellement le Japon et la Chine, au grand dam de la faction ultralibérale du gouvernement japonais.

De plus, les exportations américaines de technologies de pointe vers le Sud et vers la Chine connaîtraient une nette croissance. Le géant de l’assurance ING vient d’ailleurs de publier une étude prévoyant que la BRI augmentera le commerce mondial entre 12 et 15 %, et bien davantage pour les pays se trouvant le long des corridors de développement de ces Nouvelles Routes de la soie.

Cette politique de co-développement harmonieux entre le Nord et le Sud, et entre l’Est et l’Ouest, est d’ailleurs la seule voie qui permettra de résoudre la question de l’immigration de masse entre l’Europe et l’Afrique et le Moyen-Orient, comme entre l’Amérique du Nord et du Sud.

Comme le souligne l’appel poignant de Helga Zepp-LaRouche, présidente international de l’Institut Schiller, la réunion du Conseil européen qui se tiendra à fin du mois devrait placer la coopération euro-sino-africaine au cœur du débat. Car les solutions aux deux problèmes apparemment insolubles de la crise migratoire et de la guerre commerciale ne se trouvent pas à l’intérieur du système : il faut penser en-dehors des règles du jeu telles qu’elles ont été définies par les oligarchies financières de Wall Street et de la City de Londres depuis plusieurs décennies.