L’Europe autiste au milieu du nouveau paradigme de coopération

vendredi 22 juin 2018

Tel les légendaires suicides de masse des lemmings, l’Union européenne semble marcher tout droit vers la falaise, cramponnée à ses chimères. Et il ne semble pas que ses dirigeants soient prêts à se remettre en cause, à l’image d’Emmanuel Macron qui, malgré toutes les désillusions rencontrées sur le chemin qui aurait dû le mener au sommet du mont Europe, voire même du « monde libre », continue chaque jour à manifester sa supériorité et sa condescendance.

Comme l’écrit Pascal Riché dans l’Obs, une fois dissipé l’écran de fumée de l’opposition commune à Donald Trump au G7, « la triste réalité réapparaît : jamais l’Europe n’aura été si divisée et malade qu’aujourd’hui ». Incapables d’entendre les cris du peuple, incapables de rompre avec la règle du jeu pour sortir de la crise économique et résoudre la question des migrants, ils persistent dans la pire des méthodes : « celles des Shadoks (…) : ne jamais changer de logique, essayer continuellement sans jamais réussir, car ‘plus ça rate, plus on a de chances que ça marche’ ».

« Ainsi va la vie dans la planète occidentale », écrit Jack Dion dans Marianne. « Dès qu’il faut s’émanciper des dogmes et taper du poing sur la table, le silence est de rigueur. Tout le monde tient sa place dans l’armada de la mondialisation atlantiste, à ses risques et périls ». Et l’on continue de croire que l’Occident continuera de régenter l’ordre du monde, comme les dirigeants soviétiques croyaient en l’éternité de l’URSS quelques semaines avant la chute du Mur ; on persiste à penser que l’on peut « [cantonner] la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud et le Brésil – excusez du peu – à un rôle subalterne au sein du G20 ».

Cet autisme est d’autant plus frappant si l’on sort la tête du bocal européano (ou franco)-centré — maintenu par les médias, écrans et aux autres divertissements — et que l’on considère l’esprit de coopération et de progrès qui gagne le reste du monde, autour de l’initiative chinoise des Nouvelles Routes de la soie, renforcée par le récent sommet de Singapour entre Donald Trump et Kim Jong-un, qui a montré concrètement qu’il était possible de résoudre des conflits apparemment insolubles.

Ainsi, dans la continuité du sommet de Singapour, le président sud-coréen Moon Jae-in se trouve actuellement à Moscou où il a prononcé un discours devant la Douma (le parlement russe) – une première pour un dirigeant sud-coréen – dans lequel il a pu réitérer son idée de coopération tripartite entre la Russie et les deux Corées. De son côté, Kim a rencontré Xi à Beijing, pour la troisième fois depuis le début de l’année, afin de discuter le soutien financier et politique de la Chine à la Corée du Nord, la perspective de levée des sanctions et surtout, dans une vision à plus long terme, du développement des plate-formes industrielles, qui permettront de faire la transition d’une économie militarisée à une économie industrialisée, et de rouvrir des parcs industriels intégrés communs aux deux Corées.

Evo Morales, le président bolivarien, vient quant à lui de terminer une longue tournée eurasiatique, passant par Moscou les 13 et 14 juin, puis par Beijing. À Moscou, il a signé avec le président Poutine un ensemble d’accords de coopération dans les domaines de l’exploitation minière, l’exploration pétrolière et gazière, la défense et le commerce, entre autres. En particulier, un accord de 1,2 milliards de dollar a été conclu pour un investissement conjoint entre Gazprom et l’entreprise publique bolivienne YPFB, pour l’exploitation du gaz naturel bolivien.

À cette occasion, Poutine a exprimé son intérêt pour le projet de construction d’ un train transcontinental « bi-océanique » reliant le Brésil au Pérou, via la Bolivie, avec une branche faisant le détour par le Paraguay. L’agence de presse latino-américaine Prensa Latina rapporte que Morales aurait rencontré à ce sujet Vyacheslav Pavloskiy, un responsable de la compagnie des chemins de fer russes. Le 15 juin, un accord a justement été signé au Pérou entre les représentants péruviens, boliviens, paraguayens et brésiliens, formalisant la mise en place de la Bioceanic Task Force pour le projet de train bi-océanique.

Lors de leur rencontre à Beijing, Evo Morales et Xi Jinping ont officiellement élevé la relation entre la Bolivie et la Chine au niveau d’ « association stratégique », ce qui implique l’approfondissement de la coopération ainsi qu’une coordination sur les questions internationales, notamment aux Nations Unies. Leur discussion a en grande partie été consacrée à l’initiative de la ceinture et la route (« Belt and Road Initiative », ou BRI). Morales a félicité la Chine pour ses efforts en vue de créer « un nouveau type de relations internationales » dans ce cadre.

Les deux présidents ont signé une déclaration conjointe détaillant les domaines spécifiques dans lesquels ils vont étendre leur coopération : infrastructures, industrialisation, commerce, manufactures, finance, science et technologie (y compris aérospatial), éducation et culture. Ils ont également signé un document engageant les deux pays à bâtir conjointement la BRI. De plus, la Bolivie devrait sous peu confirmer son adhésion à la Banque asiatique d’investissements pour les infrastructures (BAII).

Le prochain développement potentiellement décisif sera la rencontre entre Trump et Poutine, à laquelle le président américain semble vouloir se tenir, et qui pourrait peut-être même avoir lieu début juillet avant le sommet de l’OTAN.