Bâtissons des ponts et des tunnels entre les peuples, pas des murs !

mardi 26 juin 2018

Des deux côtés de l’Atlantique, la crise migratoire est devenue une question brûlante ; mais dans les deux cas, aucune solution touchant aux causes n’est apportée par aucun des acteurs.

Aux États-Unis, il est évident que cette campagne à propos des enfants immigrés séparés de leurs parents a été lancée contre Trump par toute une cabale qui a pensé trouver là un ultime moyen pour provoquer la chute de l’administration, suite à l’échec du « Russiagate ». Sans pour autant défendre la politique migratoire de Donald Trump, il convient de noter que c’est l’administration Obama qui avait mis en place cette logique de séparation des familles immigrées, comme vient de l’admettre Jeh Johnson, un ancien responsable du ministère de l’Intérieur de l’ère Obama.

Dans une Europe pessimiste, la crise migratoire a fait éclater au grand jour les divisions, les obsessions et les ressentiments entre les différents pays. D’une part ceux qui s’obstinent à croire que l’on peut sceller de façon hermétique nos frontières, et d’autre part ceux qui veulent créer des « centres de détention fermés », véritables gares de triage gérés par le Haut commissariat des réfugiés (HCR) de l’ONU soit sur le sol européen, soit dans des pays d’où s’organisent des départs, afin de séparer ceux qui migrent pour des raisons « purement » économique et qu’on refoulera, de ceux qui cherchent l’asile politique pour cause de guerre.

Les joutes verbales entre l’Italie, la France, l’Allemagne, et les pays de Visegrád, autour de ces « hotspots » et de la question de la répartition des migrants, apparaissent insolubles. « On n’assiste pas à une bataille entre une Europe ouverte et une Europe fermée, contrairement à ce que voudrait faire croire la France, mais à un affrontement entre égoïsme nationaux. Ce n’est pas glorieux », déplore Jean Quatremer dans Libération.

Dans ce contexte, le sommet de l’UE qui se tiendra jeudi et vendredi semble promis d’avance à un échec cuisant, et les conséquences pourraient s’en faire ressentir très rapidement. En effet, si le ministre allemand de l’Intérieur met à exécution sa menace de bloquer les frontières bavaroises aux migrants, l’Allemagne pourrait plonger davantage dans la crise politique, entraînant avec elle toute l’UE.

Poser les bonnes questions

Au milieu de tant de confusion et de mauvaise foi, il est bon de suivre le conseil de Socrate : si vous voulez une réponse, commencez par vous poser la bonne question.

En 1861, dans le contexte de la guerre des Sécessions aux États-Unis, le conseiller économique d’Abraham Lincoln, Henri Carey, qui était partisan de la construction d’une ligne de chemin de fer reliant le sud au nord, avait expliqué au président américain que si le gouvernement avait développé plus tôt un réseau ferroviaire dans les États du sud, favorisant ainsi l’industrialisation (comme l’avait défendu auparavant Henry Clay, le secrétaire d’État du président John Quincy Adams), alors les esclavagistes auraient perdu leur poids politique, l’Union aurait été stabilisée et la guerre aurait sans doute pu être évitée.

Quelle logique gouverne donc les flux migratoires de l’Amérique centrale et du Sud vers l’Amérique du Nord, et de l’Afrique et du Moyen-Orient vers l’Europe ? Pour comprendre, il faut considérer le processus des quarante dernières années de délocalisation de l’épine dorsale industrielle des États-Unis et de l’Europe vers les pays à main d’œuvre « bon marché », couplé aux accords de libre-échange comme l’ALENA et le CAFTA, ou encore le principe de « concurrence libre et non faussée » adoptée par l’UE. Cette logique, avec pardessus tout le système de prêts usuriers du FMI et des banques privées, a conduit à la ruine les entreprises, les particuliers et les États de l’hémisphère nord, tout en bridant le développement des pays de l’hémisphère sud.

À l’intérieur des pays « développés » du nord, un pessimisme malthusien s’est installé sur le fait qu’il n’y a pas assez pour tout le monde, en terme de travail, de moyens pour nourrir, soigner et éduquer, ou en terme de ressources en général. Ainsi, les gens ont le sentiment qu’il y a un espace vital à défendre, et l’arrivée de migrants sur leur territoire est fatalement perçue comme une menace. Et il est un fait que, tandis que l’on a favorisé la libre circulation des capitaux et des marchandises, un durcissement s’est progressivement mis en place sur la circulation des personnes aux frontières d’une Europe qui s’est perçue elle-même de plus en plus comme une forteresse assiégée.

Et c’est ainsi qu’on s’est arrangé à coups de milliards avec les pays limitrophes pour endiguer l’afflux de migrants en Europe : en contrepartie de l’aide de l’UE de 1,5 milliards d’euros accordée à la Turquie en 2016, Erdogan s’est engagé à bloquer les 3,5 millions de réfugiés (principalement syriens) qui se trouvent dans son pays. De même, en Afrique du Nord, l’UE distribue 6,5 milliards d’euros aux différents pays de la région – Libye, Niger, Tchad, etc – pour qu’ils « incitent » les populations à rester sur place.

Mais cette logique d’endiguement ne peut évidemment pas marcher indéfiniment.

Seule solution viable : le co-développement

Comme S&P le martèle depuis des années, il n’y a pas d’autre voie possible qu’un développement économique mutuellement bénéfique nord-sud est-ouest. Pour cela, il faut bien entendu créer un nouvel ordre monétaire et financier international plus juste, et jeter à la poubelle la perception d’un monde de ressources fixes dans lequel chacun devrait défendre son espace vital contre les autres.

En 2012, nous avions publié un dossier intitulé « Pour sauver l’Europe et la France, reconstruire l’espace méditerranéen ! », soulignant l’urgence de créer un nouveau miracle économique dans la région comprenant les pays de la périphérie sud de l’Europe et l’Afrique du Nord.

Le dossier présentait :

  • Un programme de type « Tennessee Valley Authority » (la TVA de Franklin Roosevelt) pour les Balkans et la Grèce, d’aménagement du territoire par la création de voies navigables communes et d’autres modes de transport, la modernisation des systèmes d’approvisionnement énergétique, etc.
  • Une « renaissance » du Mezzogiorno par le développement intégré de la partie sud de l’Italie, conçue comme un tremplin pour le développement de l’Afrique du Nord, l’île de Lampedusa constituant un « pont » naturel entre l’Afrique et l’Europe appelant à la construction d’un pont ou d’un tunnel joignant la Tunisie à la Sicile.
  • La construction du tunnel du détroit de Gibraltar reliant l’Espagne au Maroc, établissant ainsi un second « pont » entre les deux continents.

Ces projets doivent bien entendu être associés au développement intégré de l’Afrique, par la construction d’un réseau ferroviaire transcontinental, de vastes projets d’aménagement de l’eau, avec notamment l’apport d’une partie du fleuve Congo vers le nord jusqu’au bassin tchadien (projet Transaqua), ainsi que le développement du bassin du Nil intégré au développement de la Corne de l’Afrique.

Rappelons ces paroles de Franklin Roosevelt, prononcées en 1943 lors de la conférence de Casablanca : « Quelle richesse ! Les impérialistes ne comprennent pas tout ce qu’ils peuvent faire, tout ce qu’ils peuvent créer. Ils ont volé à ce continent des milliards, parce qu’ils sont trop bornés pour se rendre compte que leurs milliards ne sont que quelques petits sous, comparés aux possibilités latentes. Et la réalisation de ces possibilités doit aller de pair avec l’amélioration des conditions de vie de la population ».

L’Homme est un migrant

L’UE ne peut que s’autodétruire si elle ne remet pas en cause cette conception d’un univers clos sur laquelle elle s’est définie, et qui a conduit à la logique actuelle de fermeture autant physique que mentale, en dépit des valeurs de démocratie et de « droits de l’homme » que nos dirigeants ne cessent de faire valoir. Il y a urgence à briser ces chaînes, en commençant par organiser un sommet entre les pays européens, la Chine et des pays d’Afrique, s’inspirant de l’esprit de Singapour et du récent sommet de l’Organisation de la coopération de Shanghai, comme Helga Zepp-LaRouche, la présidente internationale de l’Institut Schiller, le demande avec passion dans sa déclaration.

L’Homme est par nature un migrant, comme l’a rappelé Jacques Cheminade lors de son dialogue avec la marche solidaire pour les migrants, car dès le début il doit penser au-delà de l’environnement dans lequel il est né, et dans lequel il a grandi et vécu, y compris l’environnement d’idées.

Invité jeudi dernier dans l’émission de Frédéric Taddeï sur Europe1, consacrée à l’annonce par Trump de son intention de créer une « armée de l’espace », Jacques Cheminade a justement souligné le fait que l’exploration spatiale ne peut pas être réduite à des considérations mercantiles ou militaires, car cela constitue l’un des « objectifs communs de l’humanité ». C’est d’ailleurs cet esprit qui avait animé la signature en 1967 du Traité de l’espace. « L’être humain est essentiellement un migrant », a déclaré Jacques Cheminade. « Et l’espace, c’est traverser les frontières : la frontière intellectuelle, la frontière de la connaissance, mentale, et les frontières de l’espace-temps. Si on voit les choses de cette façon, on peut voir d’une autre façon et d’un autre point de vue les problèmes qui se posent sur terre ».