Sommet de l’OTAN : le trublion et les zombies

vendredi 13 juillet 2018

La situation du vieux monde has-been transatlantique, tel qu’elle vient de se manifester lors du sommet de l’Otan, ressemble de plus en plus à une farce. À l’approche de l’heure fatidique où Donald Trump allait poser le pied à Bruxelles, la fébrilité était très palpable parmi les gouvernements européens, et en particulier les gouvernements vacillants d’Angela Merkel et de Theresa May, les « morto che parla » comme on dit dans la mafia italienne.

Avant de monter dans l’hélicoptère présidentiel, sur la pelouse de la Maison-Blanche, Trump a commenté son futur voyage en Europe : « Donc, je vais avoir l’Otan, puis le Royaume-Uni, qui est plutôt dans la tourmente, et enfin Poutine. Franchement, Poutine pourrait bien être le plus facile de tous. Qui l’eût cru ? Qui l’eût cru ? »

À Bruxelles, lors d’un petit-déjeuner avec le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg, qui ne devait être qu’une séance de photo autour d’un café-croissant, Trump a enfoncé le couteau dans la plaie, à sa manière grossièrement provocatrice, en dénonçant le fait que l’Allemagne achète son énergie à la Russie tout en attendant de l’Otan qu’elle assure sa sécurité face à la « menace russe ».

« L’Allemagne est prisonnière de la Russie car elle s’est débarrassée des usines à charbon [sic], du nucléaire, et elle tire une grande partie de son gaz et pétrole de la Russie », a-t-il déclaré devant un Stoltenberg pétrifié. « Je pense que l’Otan doit se pencher là-dessus car je trouve que c’est douteux… (…) Ça n’a pas de sens qu’ils paient des milliards de dollars à la Russie et que nous devions les défendre contre la Russie ». Puis, plus tard, au milieu des discours creux sur l’unité et la solidarité entre les pays membres de l’Alliance atlantique, il en a remis une couche : « Comment est-il possible d’être unis alors que certains obtiennent leur énergie auprès de ceux dont on est censé se protéger ? »

Feignant d’ignorer que le gaz n’est pas inclus dans les sanctions contre la Russie, le président américain a en particulier dénoncé le projet de gazoduc Nord Stream 2 qui doit être construit dans la Mer Baltique afin d’alimenter l’Allemagne en gaz naturel. Bien entendu, le problème n’est pas le projet en lui-même ; c’est l’idée qu’il faudrait se défendre contre la Russie qui est parfaitement ridicule, car elle ne représente aucune menace, si ce n’est dans les cervelles fossilisées des élites atlantistes. Notons toutefois l’arrière-pensée de Trump – qui joue sans doute là-dessus pour prendre à contre-pied ses adversaires à l’intérieur des États-Unis – consistant à vouloir torpiller le projet Nord Stream 2 afin d’amener l’Europe à acheter le gaz naturel liquéfié américain.

Par ailleurs, si Donald Trump a choisi de ne pas reprendre la position frontalement anti-Otan qu’il avait défendu pendant la campagne présidentielle de 2016, où il l’avait qualifiée d’ « obsolète » et d’ « un coût disproportionné », il n’a cessé de demander aux autres pays membres de payer davantage, allant même jusqu’à 4 % du PIB (ce que même les États-Unis ne font pas) ; et dans le même temps, il a répété inlassablement que « c’est une bonne chose d’être amis avec la Russie et la Chine ».

Plus que jamais, il ne faut pas se fixer sur les comportements contradictoires des uns et des autres, et a fortiori du président Trump. Ce qui est certain, c’est que la maison transatlantique tremble de tous ses membres à la veille de la rencontre entre Trump et Poutine le 16 juillet à Helsinki (lire notre chronique du 4 juillet : La rencontre Trump-Poutine donne des sueurs froide aux Britanniques).

Car, comme l’a dit Jacques Cheminade sur RT France le 11 juillet, la seule raison d’être de l’Otan, depuis la chute du Mur et la fin de la Guerre froide, a été de façonner une image d’ennemi à la Russie parmi les populations d’Occident, afin de justifier la relation « spéciale » de Londres avec Washington, une logique de guerre, de changements de régime, et de déploiements militaires en Europe se rapprochant dangereusement de la frontière russe.

Qu’il s’en rende compte ou non, Trump bouscule les fondements idéologiques du complexe militaro-financier, basés sur le concept ami-ennemi, avec un Empire britannique agissant toujours de façon à diviser pour régner, et faisant en sorte que ses ennemis potentiels se battent les uns contre les autres. Nicholas Burns, l’ancien ambassadeur américain à l’Otan et anglophile déclaré, a d’ailleurs déploré (en bon connaisseur) l’ « approche orwellienne » de Trump : « Il traite nos amis comme nos ennemis et fait de nos ennemis comme Poutine des amis ». La grande crainte est que, lors de leur entrevue en tête-à-tête qui ouvrira la rencontre de lundi et se fera sans la présence du moindre conseiller, Poutine et Trump « risquent » de s’entendre !

Au milieu de cette situation de chaos et de confusion, de la cour de récréation tragique qu’est devenue l’UE, le sommet d’Helsinki s’annonce comme une discontinuité dans le cours historique des dernières décennies, d’autant plus qu’il se combine avec le fait que le « Russiagate » se retourne chaque jour davantage contre ses auteurs. Plus que jamais, l’occasion se présente d’enterrer une bonne fois pour toutes la géopolitique « amis-ennemis », qui a pendant trop longtemps empoisonné le monde, et d’établir des relations d’entente entre les nations déterminées par les objectifs communs de l’humanité.

Ce qui implique à court terme des accords de paix en Syrie et dans l’ensemble de l’Asie du Sud-ouest, et pourquoi pas sur le conflit israélo-palestinien, et à long terme une coopération entre les États-Unis, la Russie et la Chine dans le cadre des Nouvelles Routes de la soie.