Chine : les élites françaises découvrent-elles enfin la lune ?

jeudi 9 août 2018

Arrivée du premier train de marchandises reliant Wuhan, en Chine, à Lyon, en France, dans le cadre des nouvelles routes de la soie (avril 2016).

Il est frappant pour toute personne sachant combien les Nouvelles Routes de la soie (NRS) diffusent leur esprit de coopération et d’optimisme dans le monde, définissant progressivement un monde organisé sur des principes entièrement nouveaux, de constater qu’un véritable « mur de l’Atlantique » mental est érigé autour des pays occidentaux, empêchant les gens d’en prendre connaissance.

Et la police de la pensée durcit se répression – au risque d’être ouvertement en violation flagrante des principes de liberté et de démocratie si chers à la « mondialisation » – au fur et à mesure que cet esprit venu de l’Est et du Sud pénètre le mur, le rendant de plus en plus vulnérable. C’est ainsi que plusieurs comptes Facebook, Twitter, YouTube, etc, ont été fermés sans sommation, comme ceux du célèbre animateur radio américain Alex Jones (qui disposait de 2,4 millions d’abonnés sur YouTube). Les justifications invoquées – propos haineux et racistes, thèses conspirationnistes, etc – sont bien entendu des prétextes ; car le « contenu » de ses émissions était connu depuis longtemps.

C’est le moment où ces comptes ont été fermés qui est révélateur : les milieux néo-conservateurs anglo-américains tentent en effet de faire taire toute dénonciation de la fraude du « Russiagate » et de l’enquête du procureur spécial Robert Mueller — comme le faisait Alex Jones. Car tout ce qui pourrait favoriser le rétablissement d’une détente et d’une coopération entre les États-Unis et la Russie ou la Chine est perçu comme une menace.

De manière générale, cette censure vise tout ce qui pourrait remettre en cause la croyance en l’idée qu’il n’y a pas d’alternative au paradigme néolibéral – le fameux TINA (« there is no alternative ») de Margareth Thatcher. Le traitement réservé en France à Jacques Cheminade pendant plus de trente ans nous en donne un cas d’école tout à fait révélateur. Le Figaro vient d’ailleurs de reconnaître, dans une étude sur les personnalités politiques les plus invitées dans les matinales radio et TV, que l’ancien candidat à la présidentielle n’a été invité aucune fois depuis avril 2017.

L’autre cas d’école est bien sûr la perception de la Chine — et en particulier celle de Xi Jinping et des NRS – telle qu’elle est façonnée dans les médias occidentaux.

Ancien monde

Le célèbre proverbe chinois — « quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt » – ne peut trouver de meilleurs candidats que les élites occidentales néolibérales, et par contamination les populations, dans leur façon de dépeindre la Chine à travers leurs préjugés matérialistes et monétaristes, et leur façon de décrire les NRS au pire comme une volonté impérialiste de domination mondiale et au mieux comme une entreprise bassement commerciale.

Conditionnées à concevoir l’économie à travers le dogme étroit de la maximalisation des profits d’une minorité au détriment de la majorité, ces élites sont incapables de comprendre que la Chine puisse réussir en pratiquant de plus en plus une politique économique dirigiste couplée à une régulation financière, et que ceci lui ait permis de réaliser la plus forte baisse de la pauvreté jamais observée dans toute l’histoire de l’humanité.

Le sport (supra)national revient donc à projeter ses propres vices sur les autres. C’est ainsi que le rapport du 2 août du Council on Foreign Relation, le très influent think-tank américain, présente le plan « Made in China 2025 » comme une menace à la démocratie, et accuse la Chine de « recruter des scientifiques étrangers », de « voler la propriété intellectuelle américaine », et de pratiquer une politique agressive de fusions & acquisitions contre les entreprises américaines.

Mais la plus grande inquiétude est suscitée par le « modèle étatique » de la Chine et « son ambition de contrôler l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement », comme on peut le lire dans le rapport. On pense alors à la construction de l’EPR à Flamanville, et aux merveilleux résultats obtenus grâce à l’application du modèle précisément inverse… L’ironie est que la réussite actuelle de la Chine tient au fait qu’elle met en œuvre les conceptions économiques qui ont permis aux pays occidentaux de devenir relativement riches et développés – le New Deal de Roosevelt, la planification gaulliste, etc – ; conceptions qui inspirent désormais les 140 pays participant aux Nouvelles Routes de la soie.

Dans son éditorial du 9 août, la présidente internationale de l’Institut Schiller, Helga Zepp-LaRouche, écrit : « Au lieu de continuer de parader avec arrogance du haut de leur égoïsme et de leur prétendue supériorité, laissant ainsi leurs propres populations en marge de l’histoire, les nations d’Europe et des États-Unis devraient se tourner vers les offres que leur font la Chine et la Russie pour une coopération et une co-création du nouveau paradigme ».

Nouveau monde

Pendant la campagne présidentielle de 2017, lorsque Jacques Cheminade affirmait que l’avenir du monde se dessinait désormais en Asie, personne parmi les journalistes et les autres candidats n’y avait prêté attention, accaparés qu’ils étaient par le bocal politicien franco-français. Il semblerait toutefois qu’un certain changement soit à l’œuvre aujourd’hui, et que l’arrogance donneuse de leçons vis-à-vis de la Chine laisse place à une sorte de fascination craintive parmi les élites françaises. En effet, une série de publications vient de paraître presque simultanément dans les principaux journaux et magazines faisant la pluie et le beau temps dans le prêt-à-penser de gauche et de droite.

L’éditorialiste du Point Luc de Barochez écrit ainsi le 2 août que « la stratégie de Pékin en Afrique est cohérente, appuyée par des moyens importants. Elle s’inscrit dans le contexte des ‘Routes de la soie’, le colossal plan de 1000 milliards de dollars imaginé par la Chine pour se placer au centre des échanges mondiaux ». De Barochez cite le politologue Wang Yiwei, professeur à la prestigieuse université Renmin de Pékin, qui écrivait fin juillet dans le Quotidien du peuple que « les pays africains sont déçus du modèle occidental ».

Il faut dire que le voyage de novembre dernier du président Macron en Afrique, avec le paternalisme très tendancieux qu’il a exhibé à l’encontre du président burkinabé devant les étudiants de l’université de Ouagadougou, a laissé des traces. « La meilleure façon de promouvoir [les valeurs démocratiques et libérales] n’est pas en donnant des leçons, mais en investissant et en s’engageant plus hardiment pour développer les échanges. Comme la Chine a su le faire », écrit de Barochez. Chiche !

Par ailleurs, un article-reportage paru le 3 août dans Le Figaro Magazine, intitulé « Pakistan, la Nouvelle Route de la soie », décrit l’initiative chinoise (« Belt and road initiative », ou BRI) comme un projet qui « vise à mettre en relation les deux tiers de la population mondiale et un tiers de sa richesse ». « Inspiré de la route de la soie de la dynastie Han, et avec plus de 3000 [sic !] milliards de dollars d’investissements prévus dans les ports, routes, chemins de fer à grande vitesse, zones économiques et industrielles spéciales, gazoducs d’Asie centrale et d’autres projets en Afrique et Europe, c’est la plus importante campagne de financement jamais lancée par un seul pays », écrivent les deux auteurs.

Enfin, plus intéressant encore, dans une interview accordée le 2 août à L’Obs, Sandrine Roustan, ex-dirigeante de France 4 et actuelle dirigeante des relations internationales du deuxième groupe chinois d’audiovisuel, le Shanghai Media Group, explique comment elle a pris conscience de sa « méconnaissance flagrante » de la Chine lorsqu’elle est arrivée à Shanghai en 2014 avec, dans sa besace, les droits pour la Chine d’ « Un gars, une fille ». « Je me suis alors aperçu que les Chinois ont une volonté politique d’exister, à l’instar des Américains, par le soft power. Leur industrie est prête, les programmes sont bons ».

D’après la journaliste, la télé chinoise invente des « programmes improbables pour les Français », comme « Chinese Poetry Congress », « un mélange de ‘The Voice’ et de ‘N’oubliez pas les paroles’ appliqués à… la poésie. Des candidats, de 7 à 77 ans, récitent des poèmes courts, magnifiques, ils doivent reconnaître un mot, un auteur… C’est très bien fait et très suivi ». Sandrine Roustan évoque également l’émission « National Treasure » lancée par CCTV, le plus grand groupe public, « une production phénoménale destinée à montrer la grandeur culturelle du pays », et se déroulant dans neuf des musées les plus connus du pays. « Des œuvres y sont expliquées de manière ludique puis le public en choisit quelques-unes, exposées dans la Cité interdite durant un week-end. Le succès a été énorme, du délire. Ensuite, la fréquentation des musées a bondi », souligne-t-elle.

Si nous ne voulons pas que l’Europe devienne un fossile exposé sous verre dans les musées, il est essentiel pour nous de faire connaître à nos concitoyens le vrai visage de la Chine, ainsi que la véritable nature de l’initiative des Nouvelles Routes de la soie. Le Général de Gaulle, qui avait été le premier chef d’État à reconnaître la République populaire de Chine, avait déclaré lors de sa conférence de presse du 31 janvier 1964 : « la France doit pouvoir entendre directement la Chine et aussi s’en faire entendre ».

« Il se peut aussi », avait-il ajouté, « que dans l’immense évolution actuelle du monde, en multipliant les contacts directs, de peuple à peuple, on serve la cause des hommes. C’est-à-dire : celle de la sagesse, du progrès et de la paix. Il se peut que ces contacts contribuent à l’atténuation, déjà commencée, des contrastes et des oppositions dramatiques, entre les camps qui divisent l’univers. Il se peut qu’ainsi les âmes, partout où elles sont sur la terre, se retrouvent, un peu moins tard, au rendez-vous que la France a donné à l’univers, voici 175 ans. Celui de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité ».