Chine, Inde, Japon : le scénario de nouvelle guerre froide ne prend pas

mercredi 31 octobre 2018

Malgré tous les efforts des Occidentaux pour encourager les rivalités et attiser les tensions dans la région, les trois principales puissances asiatiques que sont la Chine, l’Inde et le Japon ne tombent pas dans le piège, et nous donnent chaque jour davantage un bel exemple « de détente, d’entente et de coopération » entre nations.

De la compétition à la coopération

Le Premier ministre japonais Shinzo Abe s’est rendu à Beijing du 25 au 27 octobre, accompagné de 500 chefs d’entreprises, pour la première visite d’État en Chine depuis 2011. Il y a rencontré son homologue Li Keqiang ainsi que le président Xi Jinping. À son arrivée, Abe a affirmé que les relations sino-japonaises entrent dans une nouvelle phase, passant « de la compétition à la coopération. (…) Nous voulons étendre nos relations de manière significative. Nous sommes voisins, et devons être des partenaires coopérant l’un avec l’autre, plutôt qu’une menace l’un pour l’autre. (…) Nous souhaitons travailler avec la Chine pour la paix et la stabilité du monde et de la région, et c’est ce que les pays du monde attendent de nous ». Des propos qu’on aimerait entendre du Président Trump qui se dit toujours grand ami de la Chine.

Dans le même registre, Xi Jinping a répondu que « la Chine et le Japon ont interagit pendant plus de 2000 ans. Depuis longtemps, les peuples de nos deux pays apprennent l’un de l’autre, et ont réussi à progresser. Au cours de cette longue histoire, il y a eu des temps déplorables et le peuple chinois a terriblement souffert ».

Comme l’ont confirmé Li Keqiang et Shinzo Abe, la coopération entre les deux pays va principalement se concentrer dans les projets d’infrastructures, y compris sous forme de partenariats en pays tiers. Les besoins en infrastructures en Asie sont énormes. On estime qu’il faudra investir environ 1700 milliards de dollars chaque année jusqu’en 2030.

La radio publique chinoise a rapporté que Li avait souhaité la bienvenue au Japon dans l’Initiative de la ceinture et la route (ICR). Car, le pays du Soleil-Levant rejoint de fait l’initiative des Nouvelles Routes de la soie promue par la Chine de par le monde. De quoi faire sauter tous les logiciels géopolitiques transatlantiques !

« Le Japon s’associe pour façonner l’Initiative de la ceinture et la route », écrit le professeur Shiro Armstrong dans l’East Asia Forum, le 28 octobre. « Cette adhésion [de Shinzo Abe] à la coopération dans les investissements conjoints dans les infrastructures par le biais de l’ICR (…) atteint une dimension plus importante même que ce à quoi on s’attendait avant sa venue ».

Plusieurs accords ont été signés entre la Chine et le Japon, dont le rétablissement du dialogue annuel de haut niveau, qui avait été suspendu il y a quelques années ; également 52 projets conjoints, dont des projets de développement urbain dans les zones économiques spéciales en Thaïlande orientale ; ou encore l’accélération des pourparlers sur l’exploitation commune des champs gaziers en mer de Chine orientale. Plus important, un accord bilatéral a été conclu de swap de devises entre les deux banques centrales pour environ 30 milliards de dollars. prenant immédiatement effet jusqu’en octobre 2021.

L’Inde ne mord pas à l’hameçon anti-chinois

Dans la foulée de son voyage à Beijing, Shinzo Abe a reçu lundi à Tokyo le Premier ministre indien Narendra Modi. Les deux chefs d’État ont renforcé à cette occasion la coopération indo-japonaise, signant notamment un accord pour la construction d’un train à grande vitesse en Inde, entre Mumbai (Ex-Bombay, 18 millions d’habitants) et Ahmedabad (6e ville de l’Inde, 6 millions d’habitants), et surtout un accord de swap de devises de 75 milliards de dollars, similaire à celui évoqué ci-dessus entre le Japon et la Chine.

Cependant, les intrigues menées depuis Londres et Washington – avec la participation opportuniste d’Emmanuel Macron – visant à entraîner l’Inde et le Japon dans une attitude anti-chinoise s’avèrent vaines. Ces derniers mois, et en particulier avec la rencontre informelle entre Modi et Xi en avril à Wuhan, en Chine, suivie de celle de Sotchi, en Russie, les relations sino-indiennes sont entrées dans une phase de dégel. En juin, lors du Dialogue de Shangri La, Modi a explicitement fait comprendre que l’Inde ne se laissera pas embarquer dans la « stratégie indo-pacifique » contre la Chine.

« L’Inde ne se fera sans doute pas berner une fois de plus – au risque de décevoir ceux qui espéraient déclencher un nouveau scénario de guerre froide en Asie, écrit Melkulangara Bhadrakumar, ancien diplomate indien, sur le site Indianpunchline.com. Le réalisme du Japon dans ses relations avec la Chine est frappant. Si le Japon ne semble pas très inquiet d’une nouvelle guerre froide, n’est-ce pas qu’il doit y avoir une raison ? Le fait est que les États-Unis n’ont plus la crédibilité pour rallier les pays de la région contre la Chine. Les pays européens ne souhaitent pas non plus mettre en péril les importants engagements qu’ils ont avec la Chine. De plus, l’entente avec la Russie donne à la Chine davantage de profondeur stratégique. Et pardessus tout, La Chine est un grand partisan de la mondialisation et l’idée d’une grande lutte entre la Chine et le reste du monde n’a aucun fondement ».

En réalité, quoi que l’on pense de la Chine, celle-ci a su montrer par son attitude pacifique, son esprit de coopération, et sa politique d’ouverture, qu’elle n’était pas encline à tomber dans le « piège de Thucydide », c’est-à-dire la prétendue fatalité d’une guerre entre la puissance déclinante et la puissance émergente. Le véritable provocateur se trouve plutôt à l’Ouest, et plus précisément du côté des forces néoconservatrices et des réseaux du pouvoir financiers de Wall Street et de la City de Londres qui tentent d’entraîner le gouvernement américain dans une escalade tragique.

Les élections de mi-mandat du 6 novembre seront déterminantes pour savoir si ces milieux réussiront à reprendre complètement en main l’administration Trump, ou si au contraire celle-ci gagnera quelques degrés de liberté pour aller plus loin dans une politique d’apaisement amorcée avec la Russie à Helsinki, et au début du mandat de Trump avec la Chine.

Solidarité & progrès est pleinement mobilisé en ce sens, et invite vivement les États-Unis, la Chine, la Russie et l’Inde à initier un « nouveau Bretton Woods », afin de court-circuiter la finance transatlantique et de poser les bases d’un nouveau système économique international garantissant que le crédit et la monnaie soient des instruments publics au service du progrès humain et de la coopération entre nations.