Prévisions 2019 de Saxo Bank : descente dans le maelstrom financier

vendredi 7 décembre 2018

Comme chaque année, la banque d’investissement danoise Saxo Bank a publié en ce début de mois de décembre ses prévisions pour l’année à venir. Les réflexions hors du bocal spatio-temporel cognitif habituel sont aujourd’hui suffisamment rares pour s’y attarder un instant. D’autant plus qu’elles laissent filtrer, en partie, ce que pense tout bas une bonne partie des élites « mondialisées » qui sent sous ses pieds trembler l’ensemble de l’édifice, prêt à tout moment de s’écrouler.

Au milieu d’une crise systémique, comme le montre la nouvelle d’Edgar A. Poe Descente dans le maelström, il y a deux types d’attitudes : celui qui s’accroche à ce qu’il pense encore exister autour de lui et celui qui, réalisant que sa vie est en jeu, mobilise toute son intelligence et tout son courage pour comprendre le phénomène dans lequel il est entraîné et fait le « saut » dans un inconnu relatif pour s’en sortir.

Un simple regard balayant l’Europe fait apparaître une instabilité inédite, avec la probable chute imminente du gouvernement de Theresa May en Grande-Bretagne en cas de rejet par le Parlement du plan de Brexit, la possibilité d’un départ prématuré d’Angela Merkel en Allemagne, et enfin le péril en la demeure macroniste face à une colère devenue ferment de grève de masse et désormais début d’insurrection populaire en France.

Rien de pire pour les marchés financiers que cette convergence de crises politiques majeures dans trois des principales puissances économiques européennes, dans un contexte où ceux-ci sont au bord de l’explosion, asphyxiés par des bulles spéculatives et des dettes toxiques, après dix années de renflouement sans précédent par les banques centrales. À cela s’ajoute le simple fait que toute réponse politique réelle, comme une hausse conséquente du pouvoir d’achat, n’est envisageable que dans une Europe se situant dans une géométrie post-euro, post-austérité et post-UE actuelle.

« Leur politique consistant à ‘faire fonctionner la planche à billets’ [au service exclusif des banques] depuis 2008 n’a fait que creuser encore davantage le niveau d’endettement, et cela a maintenant dépassé leur mandat de gestion », écrit Steen Jakobsen, l’économiste en chef de la Saxo Bank. « L’année 2018 n’était pas une année ordinaire. Une grande partie de l’année a vu les marchés américains faire cavalier seul, mais une fois les programmes de rachat épuisés, la gravité économique de l’affaiblissement du crédit, la hausse des prix ainsi que la montée du sentiment anti-mondialisation se sont fait sentir ». Autrement dit : on a maintenu le macchabée sous perfusion, et une fois l’aiguille retirée, on s’est rendu compte des dégâts. « Nous sommes maintenant confrontés à une fin d’année difficile. En analysant l’année à venir, nous pouvons imaginer au mieux une période de navigation difficile, et au pire, un scénario du film ‘En pleine tempête’ ».

Bienvenu dans le cauchemar du banquier

Parmi les scénarios les plus « extravangants » effleurés : l’entrée de l’Allemagne en récession, une éruption solaire de classe X semant le chaos, ou encore l’adoption par le FMI et la Banque mondiale de la productivité comme critère de mesure de l’économie au lieu du PIB.

Retenons en particulier le scénario d’un Jeremy Corbyn élu Premier ministre britannique, suite à la chute de Theresa May, instaurant la parité du change entre la livre sterling et le dollar, et s’engageant dans une politique de réduction des inégalités. Il met alors en place « la première taxe foncière très progressive au Royaume-Uni dans le but de faire disparaître les riches et réclame une aide à la Banque d’Angleterre pour financer un nouvel ‘assouplissement quantitatif en faveur du peuple’ ». Oh horreur ! L’inflation monte en flèche, l’économie ralentit et les capitaux fuient le pays.

Autre scénario, la désintégration de l’Union européenne. Dans un contexte général d’endettement public insoutenable, de montée des populismes remettant en cause les dogmes austéritaires de Bruxelles, et d’une croissance restant collée au plancher des vaches, l’Italie, confrontée à « un énorme mur d’échéances qui devrait atteindre environ 300 milliards de d’euros » en 2019, fait basculer tout le continent. La contagion s’étend de partout, les plans de sauvetage de la Banque centrale européenne (BCE) s’avèrent impuissants et, au bord du gouffre, l’UE est contrainte d’annoncer une annulation de la dette.

Les économistes de Saxo Bank rappellent alors que « depuis la Babylone antique à l’Europe des années 1930, les annulations de dettes ont été beaucoup plus fréquentes que ce que pensent la plupart d’entre vous ».

C’est précisément ce qu’affirme Solidarité & progrès depuis des années ! (Lire Une pratique ancestrale : la remise jubilaire des dettes) « Durant l’entre-deux-guerres, les annulations de dettes ont déferlé sur l’Europe à raison de 50 % du PIB pour la France, 36 % pour l’Italie et 24 % pour le Royaume-Uni », ajoutent-ils, sans expliquer pour autant que ces annulations n’avaient concerné que les pays vainqueurs et que la dette imposée au perdant, l’Allemagne, fut annulée beaucoup trop tard, en 1953, jetant entre temps ce pays dans les bras du nazisme…

L’autre scénario méritant notre attention est celui du limogeage par Donald Trump de l’actuel président de la Réserve fédérale américaine (Fed), Jerome Powell, remplacé par Neel Kashkari, le président de la Réserve fédérale du Minnesota, suite à une nouvelle hausse des taux directeurs à laquelle s’oppose le président américain. Beaucoup plus enclin à ce que la Fed serve au bon plaisir du gouvernement, Kashkari est bientôt appelé « Le grand facilitateur ». À la demande du président, il promet « une ligne de crédit de 5000 milliards de dollars pour acheter de nouvelles obligations perpétuelles à coupon zéro du secrétaire du Trésor Mnuchin pour financer les ‘beaux’ nouveaux projets d’infrastructures de Trump et remettre le PIB nominal américain sur la voie qu’il avait perdue après la crise financière mondiale de 2008 ». On ne parle pas encore de Hamilton cher à Lyndon LaRouche, mais on en prend le chemin.

Changer de manière de penser et d’agir

Si les prévisions de Saxo Bank ont le mérite de décrire les différentes trajectoires par lesquelles on risque de finir dans l’œil du Maelström, elles vont aux limites de la matrice monétariste de la mondialisation sans en tirer les conséquences et tracer le chemin pour en sortir. En ce sens, cela ne vaut pas mieux que l’attitude du frère du narrateur, dans l’histoire de Poe, qui s’accroche frénétiquement au boulon du bateau (manquant de peu de projeter son frère par-dessus bord), avant d’être emporté par le fond.

En effet, les économistes de la banque danoise s’avèrent incapables d’envisager, comme en Chine depuis les réformes de Deng Xiaoping, le retour des « États stratèges » dans la direction de l’économie – conséquence pour eux de la montée des populismes – autrement qu’à travers le dogme libéral de l’inflation, c’est-à-dire en termes monétaristes. Or, le retour à un système de crédit public, que l’ensemble des scénarios décrit sans le nommer, implique de redonner aux États les moyens de mener une politique de développement industriel, technologique et scientifique, et donc de substituer une inflation associée à un progrès de la société toute entière à une inflation provoquée par un casino spéculatif – où la monnaie ne vaut rien.

L’année 2019 sera sans doute décisive. Beaucoup comprennent, y compris au sommet de la pyramide, qu’il est temps d’agir, mais ne le font pas. Comme le disait Einstein, « il ne faut pas compter sur ceux qui ont créé les problèmes pour les résoudre ». Nous connaissons le plan de sortie : jubilé sur les dettes, séparation bancaire, crédit public et grands projets de développement économique. Alors, mettons nos gilets jaunes, relevons nos manches et surtout, mettons les mains dans le cambouis.