De la France en jaune aux Nouvelles Routes de la soie : fin du consensus néolibéral

vendredi 14 décembre 2018

Rejoignant le chœur des sonneurs d’alerte contre une nouvelle catastrophe financière, l’ancienne présidente de la Réserve fédérale (Fed) Janet Yellen va de média en média pour faire entendre sa voix, sans pour autant apporter de solutions. Sur CNBC-TV mardi matin, elle a évoqué les « gigantesques trous dans le système », dont le plus inquiétant est la bulle de la dette des entreprises non-financières, qui a presque doublé depuis 2007, passant de 4900 à 9100 milliards de dollars aujourd’hui.

Quelque soit le détonateur, le nouveau krach financier finira par subvenir, causant davantage de destruction économique que le précédent dix ans plus tôt, à moins que les dirigeants des principaux pays du monde n’engagent une réorganisation de l’ensemble du système financier et monétaire, de telle manière à détourner les flux financiers du trou noir spéculatif de Wall Street et de la City de Londres, et de les orienter vers une véritable croissance économique physique, par un système de crédit public et de banque nationale, comme nous l’appelons de nos vœux.

Le consensus de Washington à la trappe

Partout s’exprime, sous des formes différentes, un rejet du paradigme « néolibéral ». Le consensus de Washington ne fait plus consensus du tout, n’ayant pas été capable d’offrir autre chose que décadence économique, désintégration sociale et chaos politique, avec la double peine de favoriser un endettement endémique. L’Organisation mondiale du travail vient justement de publier son rapport global pour 2017, montrant que les salaires ont globalement stagné en Europe et même baissé en France, en Allemagne, en Italie et en Espagne.

De plus en plus de pays, en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud se détournent de ce modèle, lui préférant l’initiative chinoise des Nouvelles Routes de la soie, qui dessinent de fait un nouveau paradigme international de développement et de coopération économique.

Dans le monde « développé », en Europe et aux États-Unis, ce rejet prend la forme d’un « ferment de grève de masse », c’est-à-dire une lame de fond dans la population poussant les gens à se lever pour obtenir justice et dignité, pour tout simplement pouvoir vivre de leur travail et non survivre, sans pour autant savoir exactement dans quelle voie s’engager politiquement à plus long terme.

En quelques semaines, le mouvement des Gilets jaunes en France a transformé le président Macron en canard boiteux, alors qu’il était il y a peu de temps encore la nouvelle étoile des élites « mondialisées », l’un de leurs derniers espoirs de perpétuer en Europe la politique d’austérité, l’écologie malthusienne et la géopolitique transatlantique hostile à toute coopération avec la Chine et la Russie.

Bien que Macron n’ait proposé que des miettes de brioche lundi soir, tout le monde a pu constater qu’il avait été contraint de reculer sous la pression de la population. « Les ‘gilets jaunes’ viennent de porter un sacré coup à la stratégie européenne d’Emmanuel Macron, écrit Arnaud de la Grange dans son éditorial au Figaro. Le maintien du déficit sous la barre des 3 % était la clé d’une crédibilité française retrouvée. Le dérapage annoncé la sape dangereusement ». Outre-Rhin, on constate que le charme du « hussard fougueux » n’opère plus. « Le président fait de la France la nouvelle Italie, enrage le quotidien allemand Die Welt. Macron n’est désormais plus notre allié pour sauver l’euro, mais un facteur de risque ».

De son côté, le ministre de l’Intérieur italien Matteo Salvini se délecte de voir la Commission de Bruxelles, par la voix du commissaire aux Affaires économiques Pierre Moscovici, se discréditer en assurant au gouvernement français qu’il peut dépasser les 3 % de déficit public sans crainte d’une procédure punitive, alors qu’elle poursuit avec un acharnement non modéré l’Italie en raison de son déficit prévisionnel de 2,4 % pour l’année 2019. « Le meilleur ami de Di Maio et Salvini se trouve désormais à l’Élysée », ironise-t-on chez notre voisin transalpin (source : scenarieconomici).

Monter dans le train

Quoi qu’il advienne du mouvement des Gilets jaunes, le rejet de l’austérité budgétaire ne s’arrêtera pas. Le modèle néolibéral s’effondre, tout comme l’URSS en 1991. Notre défi est d’inspirer et d’orienter ce ferment, afin de pousser les principaux pays occidentaux à coopérer avec le nouveau paradigme des Nouvelles Routes de la soie, comme le font actuellement plusieurs pays en périphérie de l’Europe.

En effet, mercredi 5 décembre, le Portugal a signé avec la Chine un protocole d’entente pour « faire progresser ensemble » l’initiative de la Ceinture et la Route (ICR) de la Chine, une terminologie qui vise surtout à calmer les craintes de l’UE qui voudrait interdire à ses États membres de « rejoindre » purement et simplement l’ICR, tout en permettant au Portugal de poursuivre sa forte coopération avec la Chine.

Le nouveau gouvernement italien de la coalition Ligue-M5S porte de son côté un intérêt tout particulier aux projets de coopération sino-italiens en pays tiers, qu’il considère à raison comme le seul véritable moyen de résoudre humainement la crise migratoire. L’exemple emblématique de cette approche est le projet d’ingénierie « Transaqua » de remise en eau du lac Tchad – pour lequel l’Italie et la Chine ont lancé une étude de faisabilité, en coopération avec la Commission du bassin du lac Tchad, après que le président du Nigéria Muhammadu Buhari a ressorti le projet des tiroirs il y a deux ans.

Le 5 décembre, lors d’une conférence à Rome sur le dialogue et la coopération entre les dirigeants asiatiques et européens, le ministre italien des Finances Giovanni Tria a prononcé un discours enthousiaste en faveur des Nouvelles Routes de la soie et des opportunités qu’elles offrent à l’Italie :

« L’Italie doit s’impliquer activement dans ce processus d’intégration, non seulement afin de bénéficier de tous les avantages que présente la participation à des grands projets infrastructurels, mais également afin de garder à long terme une position stratégique au sein des routes commerciales de l’ICR », a-t-il déclaré.

« La vision à long terme de la Chine a joué un rôle clé dans le miracle économique qu’elle a été capable de réaliser. Elle s’est ainsi donné les moyens d’élaborer une stratégie et de la mettre en œuvre. Désormais, le centre de gravité économique est passé de l’Ouest à l’Est. (…) L’ICR est un train que l’Italie ne doit pas manquer ».

Si la reprise n’est certainement pas au coin de la rue de Wall Street et de la City, elle n’en est pas moins à portée de wagon !