A propos du film d’Arte « Le Monde selon Xi Jinping »

La Chine selon les néo-conservateurs à Washington et à Londres

mardi 18 décembre 2018, par Christine Bierre

Ce soir, la chaîne Arte diffusera à partir de 20H50 un film intitulé « Le Monde selon Xi Jinping », réalisé par Sophie Lépault et Romain Franklin. Pour ceux qui comme nous, sont des impatients, vous avez déjà pu le visionner en « avant première » sur le site de Libération.

A Solidarité & Progrès où nous suivons de très près la démarche politique du président Xi Jinping depuis qu’il a lancé le projet de Nouvelles Routes de la soie – car nous avons soutenu ce projet et nous lui avons apporté nos propres contributions depuis les années 90 – nous l’avons regardé et nous n’avons pas été déçus du voyage. Dès les premières minutes, la musique de fond digne d’un film d’horreur nous a confirmé qu’il s’agissait bien d’un film de propagande contre Xi Jinping et la Chine, conçu dans les officines des services de renseignements américains et britanniques, à l’aide des think-tanks et d’experts sur la Chine qui diffusent, à l’échelle occidentale, leurs menaces et mises en garde.

Le film, si caricatural, exprime la panique d’un Occident incapable de résoudre ses crises et qui voit la déferlante chinoise arriver. Car à l’heure où nous parlons, plus de 68 pays ont rejoint le projet de Nouvelles Routes de la soie, attirés par sa philosophie gagnant-gagnant totalement opposée aux pratiques occidentales, un projet qui transforme déjà l’Afrique, des parties de l’Asie, de l’Europe de l’Est et du Sud et de l’Amérique latine. Bien évidemment, les autorités chinoises ont rassemblé depuis 30 ans les moyens financiers de leur politique par le développement économique et le travail humain.

Pendant l’heure et quart que dure le film, une vision du Président Xi Jinping très différente de celle que peut avoir une grande partie du monde, est distillée par des porte-voix « objectifs » d’institutions occidentales. Parmi eux, Kerry Brown, ancien ambassadeur britannique en Chine, Max Baucus, ancien ambassadeur américain en Chine, Christopher Johnson, « ancien » analyste de la CIA. Puis des spécialistes de think-tanks tels que Nadège Rolland du Nation Bureau of Asian Research (NBAR) travaillant directement avec Washington, Jean Pierre Cabestan de l’Université baptiste de Hong-Kong, François Godement, du European Council on Foreign Relations ECFR et quelques autres.

Sans surprise Alice Ekman responsable Chine au Centre Asie de l’IFRI et Mathieu Duchâtel de l’ECFR, sont listés parmi les conseillers des réalisateurs. Ekman dont le discours frôle souvent l’hystérie anti-chinoise, a dirigé récemment un ouvrage de l’IFRI consacré aux Nouvelles Routes de la soie qui prône une approche on ne peut plus restrictive à ce projet ; Mathieu Duchâtel s’est fait connaître par sa dénonciation des supposées visées « impériales » de la marine chinoise.

Le film bénéficie aussi de l’expérience de Sophie Lépault, collaboratrice de 12 ans de Daniel Leconte à la société de production Doc en Stock qui s’était illustrée par des attaques contre ceux qui, comme notre ami Lyndon LaRouche, avaient dénoncé une guerre d’Irak qui a fait plus d’un million de morts... C’était l’époque où Michel Taubmann, fondateur de la revue très néoconservatrice Le Meilleur des Mondes officiait sur les programmes d’Arte…

Que nous disent-ils ? Le Président Xi Jinping serait l’incarnation d’un nouveau Mao. Il souffrirait du syndrome de Stockholm qui amène un homme torturé à vouloir imiter son bourreau pour ne plus avoir à le subir. Prince Rouge, il a subi les fureurs de la révolution culturelle de Mao contre sa famille et il veut désormais être le bourreau en s’appuyant sur un Parti communiste tout puissant.

Les auteurs du film s’en prennent ensuite à ce qui les met dans un tel émoi : le projet de Nouvelles Routes de la soie présenté par Xi Jinping en 2013.

Bien qu’ils décrivent ce projet de 1000 milliards de dollars comme ayant pour but de construire des chemins de fer, des ports, des hôpitaux et des écoles pour remédier au manque d’infrastructures partout dans le monde, un projet dont l’objectif central est d’« accélérer les échanges commerciaux », ils n’y voient qu’une volonté impérialiste de la Chine de contourner « la puissance américaine et occidentale ». Les intervenants se font l’écho des craintes exprimées dans les derniers rapports du Pentagone et de la Défense britannique : derrière le discours gagnant/gagnant, il y aurait un double discours, une attaque contre la démocratie libérale, l’Occident, les Droits de l’Homme, la liberté.

Mais c’est la volonté de la Chine d’industrialiser l’Afrique qui semble les irriter plus que tout. Chaque année Xi Jinping organise une tournée auprès des états africains pour promouvoir l’approche chinoise, modèle clé-en-main, dans lequel, horreur, « le premier droit humain est le droit au développement économique », s’exclament-ils, outrés ! Décriant aussi ce qui n’est qu’un message de bon sens de la Chine à tous ceux qui sont toujours, à l’aube du XXIe siècle, dans le sous-développement : « nous avons réussi en 30 ans à sortir de la misère, nous n’avons pas suivi la voie occidentale, mais nous sommes riches, nous nous sommes développés ».

En guise de conclusion, notons que le grand absent de ce film est l’état actuel de l’Occident et ses pratiques financières et néocoloniales dans le monde. Se parant des valeurs universelles, des droits de l’homme et des libertés individuelles occidentales, il n’explique pas pourquoi la Grèce, le Portugal, et les 16 pays de l’Europe de l’Est ont cherché de l’aide auprès de la Chine alors que les plans de rigueur imposés avec une main de fer par l’UE ont plongé ces pays dans le marasme économique et l’austérité sociale. Il n’explique pas non plus comment, après tant d’années d’hégémonie politique et économique en Afrique, ces pays-là subissent toujours une terrible misère sociale.

Seule parole vraie dans ce film, l’intervention de l’ancien ministre des Affaires étrangères allemand, Sigmar Gabriel, lors de la conférence de Munich :

« C’est clair que dans la perspective de la Chine, l’Afrique est un continent d’opportunité, alors que nous, nous voyons l’Afrique comme un continent à problèmes. Aujourd’hui la Chine semble être le seul pays au monde qui défend une véritable stratégie géopolitique et qui l’applique concrètement. Je suis contre le fait de critiquer cette stratégie. C’est le bon droit de la Chine. Ce qu’il faut critiquer c’est que nous, l’Occident, ne disposions d’aucune stratégie pour trouver un nouvel équilibre des intérêts mondiaux. »

A noter que le même avait dit, lors des élections présidentielles françaises de 2012, que l’enjeu pour l’Europe était la soumission au monde de la City et de Wall Street ou une indépendance servant la cause d’un développement mutuel.

Pour se renseigner sur les bases philosophiques sous-jacentes au projet des Nouvelles Routes de la soie, et à l’extension que ce projet a pris désormais au niveau mondial, consulter plutôt le dossier de l’Institut Schiller Les Nouvelles Routes de la soie, pont terrestre mondial, pour en finir avec la géopolitique. Ce document, déjà publié en plusieurs langues, vient de paraître dans une édition française de référence.