L’Empire défait : retrait des troupes américaines de Syrie

jeudi 17 janvier 2019, par Christine Bierre

Système de défense anti-aérien russe S-300.

L’annonce faite par Donald Trump, le 19 décembre, du retrait prochain des troupes américaines de Syrie, constitue, sans aucun doute, l’événement le plus important de la fin de l’année 2018.

D’abord, c’est reconnaître la défaite de l’offensive menée depuis huit ans par son pays, avec la coalition internationale, pour provoquer la chute de Bachar el-Assad.

Plus encore, cette défaite pourrait enterrer l’ambition de créer un Empire américain, endossée à la chute du mur de Berlin par les gouvernements de George H.W. Bush et de ses successeurs. L’histoire dira peut-être que c’est là, en Syrie, que la Russie, soutenue par la Chine et d’autres nations, a stoppé net la marche d’un nouvel empire américain cherchant à s’ériger en puissance unipolaire. La porte serait alors ouverte à un monde où la géopolitique ne fera plus la loi.

Malgré toutes ses limites, Donald Trump a eu le discernement de vouloir mettre fin à ces guerres ignominieuses et de ramener les « boys » à la maison pour tenter de reconstruire une autre Amérique.

Dans des propos tenus récemment en Irak et lors d’une réunion télévisée de son cabinet le 2 janvier, Trump revint sur les thèmes favoris de sa campagne présidentielle :

Les Etats-Unis ne peuvent pas continuer à être le gendarme du monde. (…) Nous devons rapatrier nos troupes déployées dans ces guerres sans fin. (…) La Syrie ? Elle est perdue depuis longtemps. De plus, ce n’est plus que sable et mort.

L’Afghanistan ?

Pourquoi sommes-nous là-bas, à 6000 km de notre pays ? Pourquoi la Russie n’y est-elle pas, ni l’Inde, ni le Pakistan ? (…) J’ai donné à nos généraux tout l’argent qu’ils voulaient. Ils n’ont pas fait du bon boulot en Afghanistan. Cela fait19 ans qu’ils s’y battent !

Les néocons contre-attaquent

Y parviendra-t-il ? C’est une question ouverte tant cette volonté de puissance par la guerre s’est ancrée dans l’esprit des hauts responsables des Etats-Unis. La réaction à la décision de Trump ne s’est pas fait attendre : démission du secrétaire d’Etat à la Défense, James Mattis, hurlements des alliés, notamment de la France, où la pensée néoconservatrice s’est enkystée par vengeance contre la politique d’indépendance nationale du Général De Gaulle.

Comme en avril dernier, lorsque Trump avait appelé une première fois au retrait de Syrie, les néoconservateurs de son équipe, John Bolton, conseiller à la Sécurité nationale, Mike Pompeo, son ministre des Affaires étrangères, et James Jeffrey, envoyé spécial pour la Syrie, ont aussitôt lancé la contre-offensive pour rétablir leur projet : un déploiement à long terme des Etats-Unis dans le nord-est de la Syrie, le retrait de tous les éléments iraniens de Syrie et la fin du régime de Bachar el-Assad.

Le 6 janvier, Bolton était à Jérusalem pour tenter de rassurer Israël. Le retrait, a-t-il laissé entendre, serait conditionnel. D’abord, « on fera en sorte que la défense d’Israël et d’autres amis dans la région soit absolument assurée », ainsi que pour « ceux qui ont combattu avec nous contre l’organisation de l’Etat islamique et d’autres groupes terroristes, en particulier les Kurdes ».

Bolton s’est ensuite rendu à Ankara pour faire pression sur la Turquie afin qu’elle ne s’attaque pas aux Kurdes de Syrie, qu’elle considère comme les alliés des séparatistes du PKK sur le territoire turc. Implicite dans l’option défendue par Bolton : si c’est à la Turquie de gérer ce problème dans le nord-est de la Syrie, elle ne pourra le faire qu’avec l’aide à long terme des Etats-Unis. D’où la nécessité que les Etats-Unis restent...

Pour l’heure cependant, Trump semble tenir bon, tout en acceptant que le retrait prenne plus que les 30 jours annoncés au départ et qu’il se fasse de façon coordonnée.

Victoire de la Russie

C’est surtout la réalité sur le terrain qui permet de penser que Trump aura raison contre tous. Ce retrait est simplement une politique de bon sens. Du point de vue militaire, la Russie et ses alliés syriens, iraniens et turcs ont remporté la bataille de Syrie, et avec la défense anti-aérienne fournie par la Russie à Damas, les forces américaines qui resteraient sur place ne seraient ni plus ni moins que des cibles de choix !

A la mi-décembre, les systèmes russes de défense anti-aérienne S300 ont été déployés à Deir ez-Zor avec le système de gestion automatisée russe dernier cri, Polyana D4M1, qui les rend absolument redoutables. En effet, il permettra à la défense syrienne de coordonner de façon simultanée l’action de ses unités aériennes et de ses défenses anti-aériennes, ainsi que de recevoir des informations de l’AWACS russe (A-50U) et de leurs satellites de surveillance.

Polyana D4M1 permettrait, selon Valentin Valescu, de couvrir une zone de 800 km2, de suivre 500 cibles aériennes et missiles balistiques et d’en fixer 250. La mémoire des serveurs de Polyana D4M1 stocke l’empreinte radar de toutes les cibles aériennes. Lorsqu’une cible aérienne est détectée par un radar en Syrie, Polyana D4M1 affiche l’information pour tous les radars de détection, et les systèmes de guidage des avions et de l’artillerie anti-aérienne syriens et russes. Une fois identifiées, les cibles aériennes sont automatiquement assignées pour être abattues. Ce système automatisé fait en sorte que les missiles syriens plus anciens de l’ère soviétique (S-200, S-75, S-125, etc.) deviennent presque aussi précis que les S-300.

Autrement dit, la Syrie et la Russie contrôlent désormais tout l’espace aérien syrien et peuvent en interdire l’accès aux forces aériennes anti-Assad. D’ailleurs, selon le même auteur, le déploiement de ces systèmes aurait déjà contraint la Coalition à réduire de 80 % ses vols dans le nord-est de la Syrie. Quant aux avions israéliens, la nouvelle défense antiaérienne syrienne les contraint à se dissimuler sournoisement derrière des vols commerciaux pour mener leurs opérations en Syrie ! La Russie a d’ailleurs accusé Israël d’avoir mis en danger la vie des passagers de deux avions de ligne qui se préparaient à atterrir à Damas et à Beyrouth, avec les raids effectués par Tsahal le 25 décembre dans la région de Damas.

La France en retard d’une guerre

Trump ne réussira peut-être pas son pari, mais il aura au moins posé quelques-unes des vraies questions et tenté de redonner à son pays sa grandeur perdue. Rien à voir avec la France qui, en pleine crise, ne perd rien de sa superbe. Alors que notre « régime » est aux prises avec la révolte la plus violente depuis Mai 68, provoquée par les politiques antisociales et la rapacité de l’oligarchie financière, notre ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, n’a pas hésité à déclarer, suite au retrait annoncé par Trump, que la France « ne quitterait pas la Syrie tant qu’il n’y aurait pas de solution politique au conflit », comprenez, tant que Bachar al-Assad sera au pouvoir !

Tous les chemins passent par Moscou

Au Moyen-Orient, l’heure est au dénouement de la crise et au rétablissement de la paix, avec la Russie au cœur de toutes les négociations. D’abord avec la Turquie, où elle devra gérer les tensions entre Ankara et les Kurdes. Une délégation turque de haut niveau s’est rendue à Moscou le 29 décembre pour coordonner leur médiation. Ensuite avec les Kurdes de Syrie, qui ont rejeté les Etats-Unis pour se tourner vers la Russie dans les négociations avec Damas. L’octroi aux Kurdes d’une large autonomie dans le nord-est du pays, en échange de leur réintégration en Syrie et d’une protection par l’armée syrienne, serait en gestation. Enfin, la Russie aura à gérer les tensions entre Israël et l’Iran.

Quant au reste du Moyen-Orient, nombreux sont ceux qui s’apprêtent à rétablir leurs relations avec la Syrie. Après une visite très remarquée du président du Soudan, Omar el-Béchir, ce sont les Emirats arabes unis qui ont rétabli leurs relations diplomatiques avec Damas. Un rapprochement serait même en cours entre la Syrie et les pays qui ont financé l’opposition syrienne, ainsi que l’ouverture de discussions pour réintégrer la Syrie au sein de la Ligue arabe.