Revue de livre

Sur l’esclavage par la dette, la trahison de la haute fonction publique

samedi 23 février 2019

L’ordre de la dette,
enquête sur les infortunes de l’Etat
et la prospérité du marché

Benjamin Lemoine,
Editions La Découverte,
mars 2016,
308 pages,
22 €.

Par Benjamin Bak, militant S&P.

Il fut un temps où l’Etat avait le contrôle de la monnaie, où le « circuit du Trésor » [1] finançait la dette française en dehors des marchés financiers. Où le chantage à la dette n’était pas possible.

Depuis, cela a bien changé. Il ne se passe pas un mandat présidentiel sans qu’un membre du gouvernement, présenté comme un héros par les médias, ne nous annonce que l’Etat est en faillite. Et ne nous fasse subir des politiques d’austérité qui nous jettent à la rue.

Eh non, ce n’est pas à cause de la loi Pompidou-Giscard-Mesmer de 1973. Ce n’est pas non plus à cause du lobbying des grandes banques ou des Rothschild. Il s’agit plutôt de la trahison bête et méchante des hauts fonctionnaires de la direction du Trésor public.

C’est ce que démontre Benjamin Lemoine avec une précision chirurgicale.

En commençant avec les réformes Debré-Haberer des années 1960 (du nom de Jean-Yves Haberer, inspecteur des finances promis à une brillante carrière qui s’achèvera avec la faillite du Crédit lyonnais, dont il était le président, dans les années 1990).

Quel est le but de la manœuvre ?

Faire de l’Etat un emprunteur comme un autre, dépendant des lois du marché et ne pouvant plus appliquer un programme jugé trop audacieux en termes de grands projets d’infrastructure et de justice sociale.

En 1981, Le député RPR Vincent Ausquer et plus d’une trentaine de députés gaullistes essayeront bien de revenir en partie à la situation antérieure, avec la proposition de loi n° 157 « tendant à limiter le rôle de l’endettement [bancaire] dans la création de monnaie ».

Cette proposition sera littéralement refroidie par un bloc de financiers d’Etat, résolu à continuer sur la voie de l’Etat emprunteur. En 1983, Jean-Yves Haberer, alors directeur du Trésor public, rédige une note insistant sur « l’irréversibilité des choix relatifs aux modes de financement possibles de l’Etat », c’est-à-dire l’obligation pour l’Etat d’emprunter auprès des marchés financiers.

Etant sociologue, Benjamin Lemoine remarque qu’une véritable mythologie de la dette se crée. Inflation, hausse du taux de chômage, mauvais résultats des entreprises, c’est l’endettement de l’Etat français, et avec lui la mauvaise gestion publique, qui est à l’origine de tous les maux.

Le courage politique est donc redéfini : l’homme politique courageux sera celui qui promet à ses citoyens une marée de sang et de larmes pour rembourser la dette. L’auteur met en évidence qu’un discours technique « alternatif » ne suffit pas à changer les modes de gouvernement, mais qu’il s’agit bien de créer une véritable « mythologie » alternative sur la question économique, sociale et culturelle, en un mot, de recréer un idéal.


[1Ce circuit alimentait le Trésor en liquidités par cinq grands leviers :1) la dette à vue : le Trésor pouvait se servir des dépôts qui n’étaient pas à lui, soit ceux de ses « correspondants » ; 2) avances de la Banque de France ; 3) les bons auprès du système bancaire, autrement dits « planchers de bons » ; 4) les bons souscrits auprès du public ; 5) l’apport de la Caisse des dépôts et consignation.