Les analyses de Jacques Cheminade

Vivendi, Alcatel, EDF, SNCF : l’heure de vérité

mardi 23 juillet 2002, par Jacques Cheminade

En même temps que se produit la chute sans fin de France-Télécom, Vivendi et Alcatel s’effondrent, tandis qu’EDF et la SNCF sont entrés dans une zone de fortes turbulences. Nous sommes ainsi arrivés à l’heure de vérité : l’adaptation des grandes entreprises françaises à la logique prédatrice des marchés financiers mondiaux débouche sur un désastre.

Vivendi et Alcatel

Le scandale majeur concerne Vivendi. Après les pertes abyssales annoncées pour l’année 2001 par Jean-Marie Messier au printemps (13,6 milliards d’euros), Jean-René Fourtou en a rajouté 12,3 milliards, mais cette fois pour le seul premier trimestre 2002. Vivendi Universal s’est ainsi trouvé, de fait, en cessation de paiements et n’a pu être temporairement sauvé que par l’apport de 3 milliards d’euros de prêts bancaires. A quel prix ? La vente à des intérêts financiers anglo-américains douteux d’une partie de ses avoirs. Ainsi, le bouquet italien de télévision payante Telepiu serait vendu sur la base de 1,2 milliards d’euros au groupe Murdoch, mais avec, en déduction, une double reprise - une dette de 500 millions et un crédit-fournisseur de 200 millions - par Vivendi, ce qui réduirait la vente nette à 500 millions, pas en cash mais en actions payables à cinq ans ! Vivendi ne toucherait donc aucun argent frais et porterait tout le risque.

Bien pire, Claude Bébéar, allié aux Bronfman américains, a préparé la vente globale par Vivendi Universal de son pôle d’éditions. C’est ainsi un pan entier du patrimoine culturel français - Laffont, Plon, Julliard, Perrin, Nathan, Larousse, Le Robert, des livres scolaires, etc. - qui tomberait entre les mains de fonds américains dissimulés sous quelques faux nez bancaires hexagonaux. De plus, la banque américaine JP Morgan a annoncé qu’elle détient plus de 10% du capital du groupe, « en qualité d’intermédiaire ». Il s’agirait soit de la famille Bronfman, soit de fonds spéculatifs ou d’investissement, en tous cas de vautours prêts à dépecer et licencier. Le groupe Lagardère attend, ici, sa livre de chair française.

Certes, la justice - un ou deux juges d’instruction - va enquêter sur Vivendi, mais le dénouement aura lieu bien avant la fin de leurs travaux !

Alcatel, dont la valeur du titre est passée de 40 euros en 1998 à 93,75 au plus haut en 1999, puis à 2,51 euros aujourd’hui, a annoncé le licenciement de 23000 salariés, soit 28 % de ses effectifs en 18 mois. Ici, ni problèmes d’endettement, ni problèmes de liquidités immédiats, mais l’entreprise n’a plus de clients, car les grands opérateurs de télécoms, ses acheteurs, ont tous coulé !

EDF et SNCF

Même les deux piliers du service public français sont atteints. EDF s’est lancé dans une stratégie agressive d’investissements hors de France, pour l’instant d’environ 11 milliards d’euros, au lieu de prévoir un renouvellement de son parc nucléaire. « Pratiquement aucune de ses acquisitions n’a pour l’instant fait gagner de l’argent à la société », affirme un proche du dossier. Comble de cynisme, le président d’EDF, le « socialiste » François Roussely, a voulu faire payer ses erreurs aux consommateurs français sous forme d’une hausse de 5 % des tarifs du courant électrique, que même le gouvernement Raffarin a refusée !

Quant à la SNCF, elle s’adapte à l’austérité financière en reportant ses investissements et en différant près d’un millier d’embauches sur les quelque 7000 prévues en 2002. C’est ainsi qu’ont procédé les chemins de fer anglais avant, de proche en proche, avec la privatisation ultérieure, de faire sombrer tout le réseau.

Il est donc clair que la responsabilité de l’Etat est d’empêcher la transformation des entreprises de service public en multinationales prédatrices, pratiquant une politique financière irresponsable, et que les grandes entreprises privées ne doivent plus être dirigées par des financiers à la Messier ou Tchuruk, mais par de vrais entrepreneurs industriels.