Krach financier et souveraineté numérique, les enjeux brûlants des négociations USA-Chine

mercredi 8 mai 2019

Confirmant l’analyse de Jacques Cheminade sur le risque systémique que pose le danger d’un « krach financier inéluctable et proche », publiée le 2 mai, les bourses asiatiques – et principalement celles de Shanghai, Shenzhen et Hong-Kong – ont brutalement dévissé lundi, entraînant dans leur sillage les bourses européennes et américaines.

Les marchés réagissaient aux déclarations du président Trump, qui venait de publier un tweet menaçant contre la Chine, dans le contexte des négociations commerciales. En France, le CAC a chuté de 3 % en deux jours et aussi bien Bruno Le Maire pour la France que Christine Lagarde pour le FMI ont souligné que la dispute sino-américaine pouvait plomber la croissance mondiale. Faisant preuve de sa bonne volonté, la Chine a annoncé que son équipe de négociateurs, y compris le vice-Premier ministre Liu He, iront à Washington demain.

Bienvenu dans un monde livré au pouvoir des tweets, où le président de la plus grande puissance mondiale, qui ne mesure pas toujours les conséquences de sa communication, peut en quelques secondes déclencher une véritable tempête financière. Après que son équipe a décrété que les Chinois « reniaient » certains de leurs engagements, Trump, qui cherche sans doute à caresser une partie de son électorat dans le sens du poil, a fait savoir qu’il en avait assez que les Chinois viennent aux États-Unis avec des « propositions bidons ». Si cela ne cesse pas, a-t-il prévenu, les droits de douane que les États-Unis lèvent déjà sur 200 milliards de dollars d’importations chinoises passeront de 10 à 25 %. Trump a également annoncé son intention de surtaxer « prochainement » les 325 milliards de marchandises qui étaient jusque-là épargnées par la guerre commerciale.

La côte de popularité du président, d’après un sondage Gallup, est actuellement à 46 % (en hausse), mais 50% des personnes interrogées désapprouvent son action. En réalité, Donald Trump, qui s’est fait élire sur la promesse de ramener les emplois industriel au pays, est persuadé qu’il doit apparaître le plus dur possible avec la Chine s’il veut assurer sa réélection dans un an et demi.

Ainsi, l’équipe qui l’entoure dans les négociations commerciales — Robert Lighthizer, le représentant du commerce, Peter Navarro, le conseiller commercial de Trump, Steve Mnuchin, le secrétaire au Trésor et Wilbur Ross, le secrétaire au Commerce —, dont la plupart sont des idéologues anti-chinois et des fondamentalistes du « marché total », abonde dans le sens de négociations musclées, préférant prendre le risque d’une escalade ou d’un krach financier, plutôt que de devoir subir les foudres médiatiques en passant un accord pouvant être jugé trop mou. De même, cette équipe ferme toute porte à la participation des États-Unis à l’Initiative de la Ceinture et la Route (ICR, ou la Nouvelle Route de la soie).

La souveraineté numérique au cœur du débat

Au-delà des calculs politiciens, la question du contrôle des mégadonnées numériques (les big data) apparaît au cœur de la dispute, comme le révèle l’éditorial de lundi du Washington Post. Tout en reconnaissant les concessions faites par la Chine en matière de balance commerciale – avec notamment la nouvelle loi sur la propriété intellectuelle permettant aux entreprises américaines de détenir la pleine propriété de leurs filiales en Chine –, le quotidien affirme que, pour Washington, « seules les réformes structurelles compteront ». L’enjeu est bien entendu la masse de données sur les 1,3 milliards de Chinois, qui représente une manne financière colossale, et sur laquelle les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) cherchent à mettre le grappin.

Le Washington Post estime que les États-Unis devraient exiger que les entreprises basées aux États-Unis obtiennent la pleine propriété des données qu’elles recueillent parmi les citoyens chinois, ainsi que le libre droit de renvoyer ces données à leurs sociétés-mères. Le problème, c’est que la Chine applique une politique de protection des données personnelles de ses propres citoyens, et qu’elle interdit ainsi aux sociétés étrangères de faire sortir les données du pays.

Ce faisant, la Chine défend – quoi que l’on puisse penser de l’usage qu’elle fait elle-même de ces données – un principe qui nous semble bien étranger en Occident : la « souveraineté numérique ».

Pour rappel, Jacques Cheminade avait défendu ce principe pendant la campagne présidentielle, seul moyen selon lui de garantir que le numérique serve la cause de l’humanité – du travail, de la santé, de l’éducation, etc – et non celle du financier, tout en assurant l’accès aux moyens numériques et robotiques à tous les citoyens, entreprises et collectivités publiques, sur l’ensemble du territoire. À cet effet, Cheminade avait proposé la création d’un service public du numérique.

La géopolitique à la rivière

Apportant plusieurs nuances utiles dans ce débat, le nouvel ambassadeur de Chine à Berlin Wu Ken critique la discrimination anti-chinoise croissante qui prétend à tort que les investisseurs chinois pillent l’économie allemande, dans un entretien accordé à l’édition du dimanche du Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ). La réalité, affirme-t-il, est que « les Allemands ont investi 80 milliards d’euros en Chine, tandis nous n’avons investi que 11 milliards d’euros en Allemagne ».

Les accusations d’espionnage à travers des entreprises chinoises de haute technologie comme Huawei sont « une véritable campagne de harcèlement », estime l’ambassadeur. Lorsque le FAZ a suggéré que les entreprises chinoises pouvaient être « facilement contrôlées par le gouvernement », Wu a riposté en rappelant que la part de l’État allemand dans Volkswagen est de 20 %, tandis que l’État chinois n’a pas un seul centime dans Huawei.

De même, l’ICR n’est pas un projet géopolitique, mais une vision de coopération économique, qui suit un concept gagnant-gagnant pour tous ceux qui y participent. Il s’agit du « plus grand projet de paix contemporain », ajoute Wu Ken.

Voilà ce qui représente la seule véritable porte de sortie du marasme économique dans lequel baigne le système néolibéral occidental, et du krach financier qui menace.

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