Un « incident du Golfe du Tonkin » serait-il en préparation dans le Moyen-Orient ?

mercredi 22 mai 2019

Chronique stratégique du 22 mai 2019 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Sous l’impulsion du « chrétien évangéliste » Mike Pompeo et de l’ultra-faucon John Bolton, Trump a mis les États-Unis en état de préparation pour une guerre contre l’Iran qu’il espère ne pas devoir faire. Le président américain se retrouve aujourd’hui partagé entre sa promesse de 2016 de ne plus engager son pays dans de longues guerres coûteuses à l’étranger, et le parti de la guerre qu’il a laissé prendre des positions au sein de son administration pour ne pas apparaître trop faible face à la Russie et la Chine.

Comme le dit partout la presse française, qui exprime le point de vue d’une élite à juste titre effrayée à l’idée d’un conflit contre la République islamique iranienne, « la Maison-Blanche ne veut pas la guerre mais elle la prépare ».

Trump a en effet dit et répété qu’il ne voulait pas la guerre, de même que son nouveau secrétaire à la Défense, Patrick Shanahan, un ancien cadre de Boeing qui ignore tout en matière de défense mais est loyal au Président. Cependant, sur Fox News, le président a esquivé la question en affirmant que s’il comptait envahir l’Iran, ce serait « économiquement », pas militairement ; mais quelques minutes plus tard, il a tweeté : « Si l’Iran veut se battre, alors elle provoquera sa fin officielle. Ne menacez plus jamais les États-Unis ! » Les pressions sont donc énormes, et le danger est grand que Donald Trump soit trop faible pour y faire face.

Lors de ce même entretien sur Fox News, le président américain a toutefois eu le cran de désigner, comme l’avait fait Dwight Eisenhower en 1960, le « complexe militaro-industriel » qui, à Washington, s’affole lorsqu’il entend qu’on veut ramener les troupes de l’étranger : « Ils aiment la guerre. (…) Si cela ne tenait qu’à eux, ils enverraient des milliers de soldats. Un jour, des gens expliqueront cela, mais il existe un groupe qu’on appelle le complexe militaro-industriel. Ils ne veulent jamais arrêter. Ils veulent toujours la guerre ».

La fabrique des « renseignements secrets » tourne à plein régime

Le Wall Street Journal rapporte, en s’appuyant sur « deux sources proche du dossier », que deux réunions secrètes se sont tenues le 21 mai, respectivement à la Chambre et au Sénat, afin de « briefer » les élus sur les « renseignements concernant la menace iranienne », en présence du secrétaire d’État Mike Pompeo, Patrick Shanahan, la directrice de la CIA Gina Haspel et le chef d’état-major John Dunford.

La machine s’est mise en branle le 10 mai lors d’une réunion inhabituelle entre John Bolton – qui exige une guerre contre l’Iran depuis 2004 – et des analystes de la CIA. En son temps, le vice-président de G.W. Bush, Dick Cheney avait effectué plusieurs visites de ce genre auprès d’analystes de la CIA au moment de la fabrication des renseignements secrets sur les « armes de destruction massive » en Irak. Au cours des jours suivants, Mike Pompeo s’est précipité à Bruxelles, en Irak et à Londres pour parler à qui voulait l’entendre de « renseignements secrets » sur l’Iran, avant d’être retenu par le président Trump et envoyé à Moscou pour des discussions sur la coopération pour préserver la paix dans le monde.

Le 16 mai, les dirigeants des deux partis et les présidents des comités sur le Renseignement ont reçu un dossier classé secret, et certains comme le sénateur démocrate Mark Warner et les républicains Whip John Thune et Marco Rubio (toujours très favorable à une guerre contre le Venezuela) se sont ensuite appliqués à agiter la menace d’une prétendue attaque imminente des Iraniens contre les intérêts américains.

En parallèle, les tensions montent en Syrie, où le ministre des Affaires étrangères a dénoncé les faux rapports affirmant que l’armée syrienne se préparerait à utiliser des armes chimiques dans la ville de Kabani, près de Lattaquié.

Tout le monde ne veut pas d’une guerre nucléaire

Toutefois, les pressions sont également fortes contre la guerre. Certaines voix s’élèvent pour mettre en garde contre la préparation d’un « incident du Golf du Tonkin », faisant référence à la provocation qui avait conduit les États-Unis à entrer en guerre au Vietnam en 1964.

Le colonel Larry Wilkerson, ancien chef de cabinet de Colin Powell, a prévenu que Trump pourrait alors tomber dans le piège d’une guerre qu’il croirait courte. « Et que ferait Washington après des frappes aériennes sans résultat ? » Pour ne pas apparaître faible, on lancera l’invasion. Or, souligne-t-il, ce serait un désastre car l’Iran, c’est 80 millions d’habitants sur un territoire montagneux et quatre fois plus grand que l’Irak.

Le 16 mai, lors d’un entretien téléphonique avec des journalistes sur le déploiement d’un porte-avion et de bombardier B-52 dans le Golfe Persique, le sénateur républicain Rand Paul a exprimé sa préoccupation sur « l’influence négative » de John Bolton au sein de l’administration. Les rapports des services de renseignement au sujet d’une attaque potentielle de l’Iran, ou de forces soutenues par l’Iran, se basant sur des photographies de missiles transportés sur de petits bateaux dans le golfe Persique, lui font craindre le pire. « Ce qui me préoccupe, c’est qu’il y a des gens qui vont réagir de façon excessive à ces renseignements et nous entraîner dans un conflit militaire irréversible ». Rand Paul a également rappelé que le gouvernement fédéral ne pouvait pas lancer une guerre contre l’Iran sans autorisation du Congrès.

Dimanche, dans l’émission Face The Nation sur Fox News, la candidate aux Primaires démocrates Tulsi Gabbard a mis en garde : « L’escalade inutile des tensions vis-à-vis de puissances nucléaires comme la Russie et la Chine – qui vient autant de l’administration que des Démocrates – nous a mis dans une situation de potentielle guerre nucléaire comme nous ne l’avons pas été depuis des années. (…) Il faut, comme je m’engage personnellement à le faire, faire descendre ces tensions, et chercher la voix de la coopération plutôt qu’un conflit avec d’autres grandes puissances ».

Notons enfin l’intervention de la présidente démocrate de la Chambre Nancy Pelosi qui, bien que de façon moins pugnace que Rand Paul et Tulsi Gabbard, s’est également exprimée contre la guerre.

La situation est donc très chaude, surtout avec en toile de fond le risque qu’un krach financier se déclenche, et empêche toute possibilité de créer une nouvelle architecture monétaire internationale favorisant la coopération et le développement entre nations.

Mais tout peut changer très vite. A force de mettre de l’huile sur tous les feux possibles, les va-t-en-guerres de l’administration Trump sont de plus en plus exposés. Comme le rapporte le Journal du dimanche, « Il se dit qu’à Washington le conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, (…) serait à deux doigts d’être limogé s’il persistait à vouloir emmener Donald Trump trop loin ».

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