Libérons la France des griffes du « Monde libre » !

mercredi 12 juin 2019

Chronique stratégique du 12 juin 2019 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

À mesure qu’il s’effondre, l’empire financier anglo-américain fomente partout division et conflit. Et, dans des sortes d’éructations pré-mortem, réapparaissent les vieilles formules de la guerre froide sur la division du monde entre « l’Occident » et « les autres », les bons et les méchants, les libéraux et les totalitaires…

Et la France, dans tout cela ? Au milieu de la guerre commerciale menée contre la Chine par les États-Unis de Donald Trump, et du climat russophobe entretenu par les médias occidentaux depuis plusieurs années, notre pays souffre terriblement de se voir dirigé par des personnalités médiocres, plus préoccupées par le microcosme parisien que par l’avenir du monde, et incapables de considérer la situation stratégique internationale avec lucidité et réalisme.

Amnésie atlantiste

Vladimir Poutine n’a donc pas été invité aux cérémonies du 75e anniversaire du Débarquement du 6 juin 1944, laissant Macron, Trudeau et Trump se tenir chaud entre « alliés » cherchant à légitimer leur statut de garants de l’ordre mondial d’après-guerre. Pour se justifier, l’Élysée a osé expliquer que les Russes n’étaient invités qu’une fois tous les dix ans, et jamais les années se terminant par le chiffre « 9 ». Quand le ridicule flirte avec le grotesque…

Le président russe, qui se trouvait en compagnie du président chinois Xi Jinping au Forum économique de Saint-Pétersbourg, n’a pas manqué d’ironiser : « Pourquoi devraient-ils toujours m’inviter partout ? Je suis quoi, un général d’opérette ? J’ai assez de choses à faire ici, ce n’est absolument pas un problème ». De son côté, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a souligné que si la contribution des Alliés à la victoire finale contre le 3e Reich est claire, « ce n’est pas une raison pour exagérer son importance et même minimiser les efforts titanesques de l’Union soviétique, sans laquelle la victoire n’aurait jamais été possible ».

Les dirigeants occidentaux, qui n’hésitent pas à accuser la Russie et la Chine de « révisionnisme », entre autres, seraient-ils frappés d’amnésie au point de réécrire l’histoire à leur guise ? Rappelons que 27 millions de Soviétiques sont morts pour libérer l’Europe du joug de l’Allemagne nazie, alors que les États-Unis ont perdu 400 000 hommes dans les combats en Europe et dans le Pacifique. Ajoutons qu’à la Libération, 57% des Français considéraient que Moscou, certes avec l’aide en matières premières des Occidentaux, avait été le principal contributeur à l’effort de guerre, loin devant les États-Unis (20%), alors qu’aujourd’hui la donne s’est inversée, 58 % plaçant ces derniers en tête. Comme l’écrit Jack Dion dans Marianne, « Il fut une époque où l’on rêvait d’une Europe allant de Paris à Vladivostok. Aujourd’hui, on campe sur les plages de l’Atlantique ».

Le « Monde libre » ressurgit d’outre-tombe

Reflétant l’état d’esprit qui régnait lors de ces cérémonies, la Reine Elizabeth II a rendu, dans son discours à Portsmouth, un hommage aux héros morts au combat, en se prononçant au nom du « Monde libre » – comme si rien n’avait changé depuis 50 ans. Comme le montre le rapport du 1er juin du Pentagone sur la « stratégie indo-pacifique », cette rhétorique de la Guerre froide revient massivement ces derniers mois, en même temps que la machine de propagande anti-russe et anti-chinoise tourne à plein régime.

« La compétition stratégique entre États, définie par la rivalité géopolitique entre la vision d’un monde libre et celle d’un monde répressif, est la principale préoccupation des États-Unis pour leur sécurité », lit-on dans le rapport. La « stratégie indo-pacifique » est ainsi mise de l’avant, sous couvert de promouvoir la paix et la prospérité dans la région, pour tenter de contrer l’influence croissante de la République populaire de Chine et de la Russie, que le Pentagone décrit respectivement comme « une puissance révisionniste » et « un acteur maléfique revitalisé ».

Le problème, c’est que cette géopolitique des blocs ne correspond plus à la réalité du XXIe siècle ; elle se trouve à contre-courant d’une aspiration des peuples et d’un nombre croissant de dirigeants en faveur de la coopération et du développement mutuel, hors des anciens schémas du siècle précédent, à l’image des rapprochements en cours entre la Chine et l’Inde, le Japon et la Russie, ou encore l’Inde et le Pakistan.

De plus, l’Inde, le principal allié des États-Unis dans la région, commence à subir, directement ou indirectement, les conséquences négatives de la politique de sanctions tous azimuts de la Maison-Blanche – notamment avec la suspension le 5 juin du traitement commercial favorable dont elle bénéficiait, ou encore avec les sanctions commerciales contre l’Iran qui ont obligé la société indienne India Ports Global à reporter l’appel d’offre pour l’exploitation des terminaux du port de Chabahar.

La France et la stratégie du caillou

Tout ceux qui ont cru au virage « gaullo-mitterrandien » de la politique étrangère de Macron, ou qui ont vibré aux accents villepinistes de Bruno Le Maire sur l’indépendance de la France face aux Américains et aux GAFAM, peuvent ravaler leur chapeau. L’attitude et le discours de Françoise Parly, la ministre des Armées, lors du Dialogue de Shangri-La sur la sécurité internationale, qui se tenait début juin à Singapour, est sans équivoque.

Tandis que le porte-avion Charles-de-Gaulle mouillait à quelques kilomètres de là, dans une démonstration convenue visant à affirmer la présence de la France dans le Pacifique, la ministre des Armées s’est montrée en parfaite élève atlantiste, en déclarant devant un parterre de ministres, généraux et dirigeants des services secrets : « Nul besoin de s’appeler Henri Kissinger pour constater que des blocs de confrontation globale se renforcent ici, en Asie ».

À Paris, on assure que « personne ne veut provoquer de crise avec la Chine, pas même ses voisins. On ne va pas en mer de Chine pour conquérir les îles ou les libérer, mais pour marquer notre différence, comme un caillou dans la chaussure des Chinois, une opposition à leur narratif ». Cette stratégie du caillou est exposée dans le rapport du ministère des Armées, similaire à celui du Pentagone, sur la sécurité indo-pacifique, publié quelques jours avant la conférence de Singapour.

Nous ne pouvons plus accepter que notre pays soit dirigé par des élites sans caractère, qui se font les serviteurs zélés des intérêts de l’oligarchie anglo-américaine, tout en simulant des postures dans le théâtre hypocrite projeté par les grands médias. Que Bruno Le Maire, par exemple, joue les héros en croisade contre les GAFAM, alors que la DGSI confie ses données à l’Américain Palantir et que Microsoft gère les systèmes d’exploitation informatique des ministères français de l’Éducation et des Armées, ainsi que de la SNCF, frise franchement l’indécence…

Il est temps de redonner à la France sa vocation de catalyseur de la paix mondiale par une véritable politique gaulliste « de détente, d’entente et de coopération » ; ce qui implique de regagner notre indépendance et notre souveraineté, y compris sur le numérique et la monnaie, afin non pas de jeter des cailloux dans le Pacifique, mais de bâtir des ponts entre les nations et entre les peuples, comme sont en train de le faire les Nouvelles Routes de la soie.

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