Poutine sur le danger de guerre nucléaire : « Êtes-vous aveugles ? »

vendredi 14 juin 2019

Chronique stratégique du 14 juin 2019 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Nous nous trouvons dans une situation de pré-krach financier. L’absence de volonté des élites, en particulier occidentales, à prendre le problème à bras le corps, créé chaque jour davantage les conditions de la guerre.

Emmanuel Macron a beau jeu, dans son discours à la conférence annuelle de l’Organisation internationale du travail (OIT), à Genève, de fustiger « ce capitalisme devenu fou », « qui profite de plus en plus à quelques uns », et de dire que « le chaos est là » et que « la crise que nous vivons peut conduire à la guerre et à la désagrégation de nos démocraties ». Sur son compte Twitter, Jacques Cheminade écrit : « Dira-t-il comme Loiseau à Bruxelles qu’on l’a mal compris ? Qui croit-il tromper ? Les Gilets jaunes ? Les urgentistes ? »

Tout comme Nicolas Sarkozy en 2009, il ne s’agit que de mots gelés sortant de la bouche d’un président qui continue d’appliquer la politique de saccage social induite par le système qu’il prétend dénoncer, et se soumet au complexe militaro-financier atlantiste, qui pousse justement au conflit contre la Russie et la Chine.

La fin du modèle de la mondialisation financière en cause

Lors de ses interventions au cours du Forum économique de Saint-Pétersbourg, Vladimir Poutine a mis en garde, sur un ton particulièrement dramatique, contre le danger d’effondrement global et de guerre. L’origine de ce danger provient selon lui de la faillite du modèle de la mondialisation du XXe siècle, qui se trouve en butte à une nouvelle réalité économique.

« Au cours des trois dernières décennies, la part des pays développés dans le PIB mondial, en parité de pouvoir d’achat, a baissé de 58 % à 40 %, tandis que la part des pays en développement grandit », a déclaré Poutine dans son discours d’ouverture. Le risque est que « le modèle de mondialisation universelle dégénère en une parodie, en sa propre caricature, a-t-il ajouté, où les règles internationales communes sont remplacées par les lois et mécanismes administratifs et judiciaires d’un seul pays, ou d’un groupe d’États influents ».

De plus, les mesures engagées en réponse à la crise financière de 2008, comme l’assouplissement quantitatif, « ont échoué à résoudre les problèmes et n’ont fait que les repousser dans le temps », a affirmé le président russe. Ce qui ne peut qu’induire une logique où prévalent les égoïsmes et la fragmentation de l’espace économique. « C’est la voie vers des conflits sans fin, des guerres commerciales — et peut-être même pas seulement commerciales. C’est la voie vers la lutte ultime de tous contre tous ».

Course aux armements

Devant les journalistes occidentaux, le président russe a présenté le tableau de la situation stratégique mondiale, rappelant que les États-Unis sont sortis en 2002 du traité ABM (Anti-Ballistic Missiles) pour la limitation des armes stratégiques, qu’ils viennent de sortir du traité INF (Intermediate-Range Nuclear Forces) sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, et que le traité START pourrait ne pas être reconduit d’ici 2021, date à laquelle il expirera.

Poutine a mis les pieds dans le plat :

Tout le monde semble sourd, aveugle ou dyslexique. Ne devrions-nous pas réagir à cela ? Évidemment que oui (…) Rendez-vous compte qu’il n’y aura bientôt plus aucun instrument pour limiter la course aux armements. Ou, par exemple, pour le déploiement des armes dans l’espace. Comprenons-nous ce que cela signifie, ou pas ? Demandez aux experts. (…) Y-a-t’il quelqu’un pour y réfléchir, pour en parler ou pour s’en préoccuper ? Non, c’est le silence complet. Est-ce que vous réalisez à quel point cela est grave et dangereux ? (…) Si l’on ne parvient pas à mettre sous contrôle ce ‘serpent de feu’, si nous le laissons sortir de la bouteille, dieu nous en préserve, cela pourrait mener à une catastrophe globale.

La lumière au bout du tunnel

Toutefois, le président russe a manifesté un certain optimisme suite à sa récente conversation téléphonique avec le président Trump, qui s’est montré conscient et inquiet vis-à-vis de cette situation. « La solution ? C’est la coopération, point final », a lancé Poutine.

Mercredi, lors de la conférence de presse conjointe entre le président américain et le président polonais Andrzej Duda dans le Rose Garden de la Maison-Blanche, alors que Duda s’appliquait à décrire la Russie, pour le plus grand plaisir des journalistes, comme une force agressive et impérialiste, Trump a affirmé vigoureusement : « J’espère que la Pologne aura de bonnes relations avec la Russie. J’espère que nous aurons de bonnes relations avec la Russie et, de la même manière, avec la Chine et beaucoup d’autres pays ».

Plusieurs autres signes de potentielle détente sont apparus par ailleurs : Trump a fait l’éloge à de nombreuses reprises de la « belle lettre » que lui a fait parvenir le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un le 10 juin. De même, il a exprimé tout son respect et sa reconnaissance pour le Mexique, suite aux négociations de la semaine dernière. Plus intéressant encore, en dépit de l’atmosphère de diabolisation de la Russie, des rencontres ont eu lieu à deux reprises cette semaine, mercredi à Prague entre la sous-secrétaire au département d’État Andrea Thompson et le vice-ministre des Affaires étrangères Sergey Ryabkov, et mardi au département d’État américain entre le sous-secrétaire d’État David Hale et l’ambassadeur russe aux États-Unis Anatoly Antonov.

L’état de paranoïa aiguë du conseiller à la sécurité nationale John Bolton, faucon de guerre parmi les plus virulents, est également un signe de potentiel changement. En plein délire conspirationniste, Bolton a accusé mercredi la Corée du Nord, le Venezuela, l’Iran, la Russie et la Chine, avec même la complicité des médias américains, de mener une campagne de désinformation sur les divisions au sein de l’administration entre le président et ses conseillers. Sur le site Consortium News, le lanceur d’alerte de la CIA John Kiriakou écrit que plusieurs de ses contacts à Washington lui disent que les jours de Bolton à son poste sont comptés.

Tout peut donc arriver dans les prochaines semaines. Une simple provocation, dans le Moyen-Orient ou ailleurs, pourrait rapidement provoquer une escalade. Mais si la volonté existe de part et d’autre pour l’éviter, le prochain G20, qui se déroulera les 28 et 29 juin à Osaka, et où devraient se rencontrer en tête-à-tête Poutine, Trump et Xi Jinping, en offrira l’occasion.

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