États-Unis, Chine, Russie : ensemble pour un nouvel ordre mondial ?

vendredi 5 juillet 2019

Chronique stratégique du 5 juillet 2019 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Les développements survenus autour du G20 reflètent l’extraordinaire potentiel du monde en devenir, que trop peu ici – et en général en Occident – perçoivent et comprennent. L’alliance des quatre grandes puissances – États-Unis, Chine, Russie et Inde – à laquelle l’économiste et homme politique américain Lyndon LaRouche avait appelé de ses vœux en 2009, apparaît de moins en moins comme une douce utopie. Ce nouveau paradigme de coopération entre nations est là, en gestation, et il échappe de plus en plus aux milieux dominants de la mondialisation financière.

La rencontre entre Donald Trump et Kim Jong-un, dimanche 30 juin, en est emblématique. Pour la première fois en 66 ans, depuis la signature de l’Armistice coréenne, les dirigeants nord-coréen et américain se sont serrés la main sur la ligne de démarcation militaire, à Panmunjom. Électrisé par cet événement historique, à l’image de l’ensemble des populations des deux Corées, le président sud-coréen Moon Jae-in a assuré que « désormais la péninsule coréenne ne pourra plus jamais retourner aux hostilités des années passées », ajoutant : « c’est vraiment le commencement d’une nouvelle ère de paix ».

Trump : les USA ne peuvent plus être les gendarmes du monde

Au lendemain du G20 et de son déplacement en Corée, le président américain été interviewé sur Fox News par l’animateur Tucker Carlson, et les propos qu’il a tenus laissent penser qu’il a regagné les coudées franches vis-à-vis des faucons de son administration. Rappelons que Tucker Carlson est un fervent opposant à la politique de guerre des néoconservateurs, et qu’il a accompagné Trump à Panmunjom, pendant que John Bolton était relégué en Mongolie, comme nous l’avons vu dans notre chronique du 2 juillet.

Revenant sur la présence américaine en Afghanistan depuis 19 ans, Trump a affirmé qu’après tout ce temps, son pays n’est plus là-bas une force de libération mais une force de police, autrement dit d’occupation, et que cela doit prendre fin. « Nous voulons partir. Nous voulons partir de plusieurs endroits où nous nous trouvons. Nous ne devrions pas y être. Nous sommes devenus les gendarmes du monde », a-t-il déclaré.

Regardez la Russie, a poursuivi le président. Elle ne fait pas la police dans le monde. Elle dirige la Russie. Regardez la Chine. Elle ne fait pas la police. Ils n’ont pas des troupes partout. Ils ont certes des gens exploitant les minéraux dans les sols. Mais ils n’ont pas de troupes ».

Vers un nouvel ordre mondial

Autre signe des temps, le Dr Michael Ivanovitch, un économiste et consultant de New-York, dont CNBC a publié un article, le 1er juillet, estime « qu’au cours du dernier G20, à Osaka au Japon, Washington a démarré un processus avec la Russie et la Chine qui pourrait aboutir à la création d’un nouvel ordre mondial ». L’attitude plus conciliante de Trump à l’égard de ces deux pays, lors de ce Sommet, ferait partie aussi des calculs électoraux de l’actuel président qui « estime, à juste titre, que chercher une bagarre contre la Russie et la Chine représente une telle menace existentielle pour l’humanité que les Américains et le reste du monde ne le supporteraient pas. (...) Calmer le jeu avec deux pays que les Etats-Unis ont qualifié de concurrents stratégiques déterminés à affaiblir l’ordre mondial américain est donc une priorité – pour l’ici et maintenant (...), quitte à revoir tout cela après l’élection ».

Avec la Russie, dit-il, Trump chercherait à trouver « des solutions pacifiques et négociées aux conflits en Syrie, Ukraine et Venezuela » en ouvrant « de vastes opportunités d’investissements aux chefs d’entreprises américains désireux d’étendre leurs opérations dans les énormes territoires, affamés d’investissements, de ce pays ». Et Ivanovitch de souligner que la délégation américaine au récent forum de St Petersburg était l’une des plus importantes.

Ivanovitch parle aussi de « désescalade » avec la Chine et du rejet, par Trump, des mauvais conseils de ceux qui l’ont poussé dans une guerre commerciale impossible à son encontre. Il croit savoir que « Trump se contenterait désormais de l’engagement de la Chine à réduire ses surplus commerciaux avec les États-Unis, oubliant définitivement toute tentative d’intervenir dans les processus législatifs chinois et dans ses politiques économiques », qui représentent pour la Chine une question de « principes ». « Quiconque a poussé Trump dans cette direction », lance Ivanovitch, mérite la menace bien connue de Trump : « vous êtes licencié »  !

[Tout ceci] basé sur l’idée que les États-Unis, la Russie et la Chine font face depuis des années à un choix binaire, en regard à l’architecture de sécurité mondiale : soit la fin de l’humanité, soit un nouvel ordre mondial, si possible américain, construit autour de ces trois acteurs dont les intérêts économiques et civilisationnels appellent à une coexistence pacifique. (…) Cette initiative géopolitique [de Trump] a l’énorme potentiel de créer un nouvel ordre mondial basé sur les principes inscrits dans la Charte des Nations unies, qui furent inspirés par les États-Unis.

Libérer les USA du piège de Thucydide

Le 1er juillet, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Geng Shuang, a par trois fois répété la satisfaction de la Chine suite à la rencontre du 29 juin à Osaka entre Trump et Xi. Geng est également revenu sur la rumeur circulant à propos d’une lettre d’un groupe d’experts américains sur l’Asie, qui était à ce moment-là sur le point d’être publiée. L’existence de cette lettre a été révélée par Reuters le 29 juin, soit le jour de la rencontre entre les deux présidents. Elle a été signée par 80 anciens officiers diplomates et militaires, et a été publiée le 3 juillet dans plusieurs importants journaux, dont le Washington Post, sous le titre « La Chine n’est pas un ennemi ».

Bien que nous soyons profondément troublés par certains comportements de Beijing, nous pensons également que de nombreuses actions des États-Unis contribuent à alimenter un cercle vicieux dans les relations, écrivent les signataires, cités par Reuters. Les efforts américains pour traiter la Chine comme un ennemi et la découpler de l’économie globale nuiront au rôle et à l’image de l’Amérique dans le monde, et cela sapera les intérêts économiques de toutes les nations. (…) La peur des États-Unis de voir Beijing les remplacer en tant que leader mondial est exagérée.

Cette intervention des 80 signataires et celle de Michael Ivanovitch montrent qu’outre-Atlantique la conscience est très forte du risque pour les États-Unis de tomber dans le piège de Thucydide (où une puissance dominante considère comme une menace l’émergence d’une nouvelle puissance et se lance dans une guerre).

Aussi positifs et prometteurs ces développements soient pour la paix et la stabilité mondiale, il faut néanmoins s’attendre à une contre-réaction de l’empire financier anglo-américain et des forces va-t-en-guerre. C’est pourquoi nous devons redoubler d’efforts pour faire émerger partout – et en particulier dans un pays à vocation universelle comme la France – la conscience de l’émergence de ce nouveau paradigme, et la volonté de se battre pour y contribuer.

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