Un pavé dans la mare de l’idéologie verte

vendredi 12 juillet 2019, par Pierre Bonnefoy

Revue de livre

Sylvie Brunel,
Toutes ces idées qui nous gâchent la vie
– Alimentation, climat,
santé, progrès, écologie…

JC Lattès,
avril 2019,
258 pages,
18,90 €

Par Pierre Bonnefoy

Voici un livre qui tombe à pic en ces temps où scientifiques, politiciens et starlettes s’associent pour nous annoncer l’Apocalypse et nous inviter à rejoindre des cohortes de flagellants climatiques ou d’autres espèces. Cependant, face à ces peurs millénaristes, le seul pouvoir du raisonnement logique ne sert à rien. Sylvie Brunel l’a bien compris puisque dans son ouvrage, le chemin de la raison passe par le cœur. Un principe généralement ignoré tant par les écologistes que par leurs opposants…

Ce livre sort en avril 2019 dans une actualité très « chargée » : publication le 6 octobre 2018 d’un rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) annonçant une catastrophe d’ici 2030 ; publication quelques mois plus tard d’un autre rapport sur l’imminence de la « sixième extinction de masse » ; croisade des enfants « pour le climat » organisée autour d’une adolescente suédoise autiste ballottée entre rencontres avec grands de ce monde et sommets d’États ; révolte des gilets jaunes en France qui oppose « les fins de mois à la fin du monde », démission avec pertes et fracas de M. Hulot qui part en vacances, etc.

Dès les premières pages Sylvie Brunel donne le ton. Toutes les peurs entretenues dans la culture ambiante provoquent des dégâts dans notre capacité à résoudre les problèmes de notre société :

La question n’est pas de savoir quelle planète nous allons laisser à nos enfants, mais de nous demander quels enfants nous allons laisser à la planète si une vision erronée de la nature et de l’humanité devient la norme (…)

Elle ajoute que les pouvoirs en place ont intérêt à entretenir l’idée que chaque être humain est individuellement coupable de saccager la nature et que si chacun change son comportement individuel, (ou « cultive son jardin ») la planète se portera mieux : « Quand on se bat pour la planète, on pense moins à faire la révolution sociale. Le temps de cerveau disponible est occupé par un petit colibri. »

Le prétexte de l’écologisme pour contrôler les pauvres

Sylvie Brunel ne nie pas le fait que l’activité humaine ait un impact sur l’environnement. Elle reconnaît que cet impact peut poser de sérieux problèmes et que ne pouvons pas faire n’importe quoi car nous avons besoin d’un environnement sain. Ce qu’elle conteste, c’est la manière dont les politiques et les écologistes répondent à ces problèmes réels ou imaginaires. Elle leur reproche d’ignorer superbement la souffrance des plus pauvres. Quel a été le déclencheur de la révolte des gilets jaunes ? La hausse des prix des carburants pour réduire les émissions de CO2 a été conçue par des esprits à mille lieues des fins de mois difficiles : « Préparer une société élitiste où tout devient plus cher et plus pénible, c’est marcher résolument à rebours de l’histoire. Il se trouve que neuf millions de personnes vivent toujours sous le seuil de pauvreté en France. »

Ainsi, début novembre 2018, la principale préoccupation des Français n’était certainement pas de sauver le climat et ce, malgré le rapport du GIEC un mois plus tôt. Le gouvernement eut alors recours à des manœuvres vieilles comme le colonialisme :

C’est alors que surgit opportunément une pétition sur l’urgence climatique, lancée par quatre organisations non gouvernementales financées par le gouvernement. Elle recueille des milliers de signatures en un temps tellement record que la faisabilité informatique d’un tel prodige laisse sceptiques même les mieux intentionnés. Le mouvement, initié par celles qu’en Afrique on appelle les GONGO (gouvernementales ONG), accuse l’État français d’inaction climatique et menace de le poursuivre en justice.

Le même mépris par lequel nos élites traitent les plus démunis en France en voulant leur imposer des mesures « d’écologie punitive » qu’eux-mêmes ne suivent pas toujours, se retrouve dans la manière dont elles traitent les pays du Sud, l’Afrique en particulier. Sylvie Brunel a passé 17 ans dans l’humanitaire à lutter contre la faim, elle sait manifestement de quoi elle parle. Quels sont les pays qui émettent le plus de CO2 par habitant ? Pas les plus riches qui bénéficient de technologies modernes comme la France avec son parc nucléaire. Pas les plus pauvres non plus qui ne produisent presque rien. Mais ceux qui sont réellement en train de se développer et qui utilisent donc, provisoirement, des technologies pas très avancées ni très efficaces. C’est le processus de développement qui leur permettra par la suite de maîtriser des technologies plus « propres ».

Or, selon nos écologistes, « Il faudrait cesser séance tenante d’utiliser du pétrole, du gaz, du charbon, dont on nous a d’abord annoncé la disparition programmée, avant d’en faire les pires destructeurs de l’humanité. Prétendre que les combustibles fossiles doivent être bannis séance tenante, c’est condamner toute l’humanité émergente qui, pour l’instant, en dépend pour se développer. »

Sylvie Brunel attaque en particulier l’hypocrisie de ceux qui prétendent que « les pauvres sont les premières victimes du réchauffement climatique » et qui versent des larmes de crocodile sur les « réfugiés climatiques ». La réponse de la géographe est cinglante : « Ceux qui travaillent dans le Golfe ont été chassés de chez eux non pas par le climat en réalité, mais par la pauvreté. Ceux qui fuient la Syrie et l’Afghanistan, non par le climat mais par la guerre. Il n’existe dans le monde aucune corrélation entre densités de population et climats. »

Réfuter la fraude malthusienne

On l’aura compris, Sylvie Brunel pense que chacun a droit au développement. Avec le relativisme culturel, il ne manque cependant pas d’âmes bien pensantes pour s’y opposer prétendant que la science et le progrès seraient des valeurs purement occidentales et que vouloir « imposer notre modèle de société » aux pays du Sud porterait atteinte à leur culture ancestrale et à leur bonheur. Ce genre de sophisme très commode pour perpétuer la misère dans nos anciennes colonies ne tient pas très longtemps face à un paramètre incontestable pour un être humain normalement constitué : « Aujourd’hui, si vous voulez savoir comment se porte un pays, regardez juste son taux de mortalité infantile, c’est-à-dire le nombre d’enfants qui y meurent avant l’âge d’un an, pour mille naissances vivantes. »

Viennent ensuite quelques chiffres comparant certains pays et montrant que le bonheur ne fait pas bon ménage avec le sous-développement…

A partir de là, Sylvie Brunel se livre à une réfutation très intéressante de Malthus et de ses héritiers contemporains depuis le Club de Rome jusqu’aux concepteurs actuels de la notion « d’empreinte écologique ».

On se souviendra que Malthus pensait que la croissance démographique de l’humanité étant géométrique et celle des ressources seulement arithmétique, l’humanité allait provoquer une catastrophe le jour où elle atteindrait un milliard d’individus.

Or aujourd’hui 7 milliards d’être humains vivent mieux que le milliard du XIXe siècle ! L’erreur de Malthus fut « d’oublier » que la notion de ressource est liée au niveau de technologie de la société humaine. Même ce qu’on considère comme déchet à un niveau technologique donné peut devenir ressource : « Ressources are not, they become, disent les géographes. Tant que tu ne disposes pas de la technologie qui permet de la valoriser, la ressource est toujours virtuelle. Les déchets deviennent une ressource quand on peut les transformer en énergie (…) »

Et Sylvie Brunel d’enfoncer le clou : « (…) l’empreinte écologique, reproduisant l’erreur de Malthus, présente le grand défaut de s’évaluer à niveau technique constant. Elle ne tient pas compte de l’amélioration de l’intensité énergétique et de la notion de découplage, qui permettent d’accroître la production de bien-être et de richesses en diminuant la pression sur les ressources. »

Ce langage n’est pas sans rappeler la notion de « densité de flux d’énergie » développée par l’ancien économiste Lyndon LaRouche. Elle ne le cite pas mais il avait écrit un livre au début des années 1970 pour réfuter les thèses du Club de Rome, intitulé : There are No Limits to Growth (Il n’y a pas de limites à la croissance).

Elle poursuit :

Mais les ressources ne sont pas un stock, elles sont un flux illimité, issu de la capacité unique de l’espèce humaine à capitaliser les connaissances acquises et à innover en permanence, pour évoluer, améliorer son cadre de vie. Ce qui devrait faire réfléchir les antispécistes, eux qui cherchent en permanence ce qui nous différencie de nos amis les bêtes. Chaque génération de chiens repart de zéro, chaque génération d’hommes capitalise sur un immense réservoir de connaissances et d’expériences. Sauf si on marche pour le climat au lieu d’aller s’instruire.

Repenser la relation entre l’homme et la nature

Il est indéniable que l’activité humaine a introduit des changements d’un impact sans précédent dans le fonctionnement de la biosphère. Ces changements s’expriment notamment par la disparition de certaines espèces vivantes. Certains en déduisent que l’homme joue un rôle essentiellement destructeur de la nature.

Ce n’est pas l’avis de Sylvie Brunel qui considère que la nature n’a pas de point d’équilibre, mais qu’elle évolue en permanence et que cela a toujours été le cas, y compris avant l’apparition de notre espèce sur Terre. Notre intelligence nous donne un pouvoir d’action jamais égalé par aucun animal, mais ceci signifie également que nous avons une responsabilité unique : celle d’améliorer délibérément les conditions d’existence de la vie dans la biosphère.

Notre action fait certes disparaître certaines espèces et apparaître d’autres, déplacer les équilibres, mais il faut relativiser les choses : « Allez voir la liste des espèces disparues, vous serez surpris : au lieu de l’inventaire interminable auquel on pourrait s’attendre, elle est relativement courte. Et la plupart des disparitions se sont produites au XIXe et au début du XXe siècle (…) »

Ce qui signifie qu’au fur et à mesure que la science progresse, nous avons davantage les moyens de développer des techniques de plus en plus respectueuses de notre environnement : comme on l’a vu plus haut dans un autre contexte, l’écologie est une préoccupation de riches.

Le grand scientifique russe Vladimir Vernadski l’avait déjà découvert il y a un siècle quand il développait les notions de biosphère et de noosphère, et Sylvie Brunel le redécouvre ici : de même que le phénomène de la vie a pris le contrôle de la Terre, l’intelligence humaine a pris le contrôle de la biosphère depuis longtemps. De sorte que la notion de nature vierge n’a aucune base scientifique. Elle n’hésite pas à montrer que la « conservation de la nature » a souvent été utilisée comme prétexte pour masquer de véritables politiques de génocide, et qu’Hitler n’est pas une exception de l’histoire sur ce chapitre :

Mais qu’on ne nous fasse pas la blague des forêts primaires : dans le monde tropical, qui n’a pas connu de glaciation depuis 80 millions d’années, plus aucune forêt n’est primaire ! L’Amazonie a été occupée par des civilisations anciennes qui ont été décimées par le choc microbien à l’arrivée des Européens. Ce que nous observons aujourd’hui est une recolonisation végétale (…) Quand ces mêmes Américains [aux États-Unis] célèbrent leur superbe wilderness et aimeraient l’étendre au reste du monde, ils célèbrent un génocide, celui de tous les peuples indiens qu’ils ont chassés et même massacrés pour récupérer leurs terres (…) Exactement ce qui se passe aujourd’hui en Afrique centrale, ou les Pygmées ne pèsent rien face à la mainmise de l’oligopole de la conservation mondiale, WWF toujours, mais pas seulement (…) En réalité, la wilderness est un grand mythe : tous nos paysages sont des héritages, le produit des interventions successives de sociétés humaines dont les priorités changent.

Il résulte de tout ceci que la véritable conservation de la nature, celle qui n’est pas contradictoire avec le changement, ne se passe pas de l’action de l’homme mais en a absolument besoin : « D’autant que la nature ne se portera pas mieux sans l’homme. La chaîne alimentaire est impitoyable et ne se pose aucun cas de conscience, elle. Les forts mangent les faibles, les espèces invasives étouffent les espèces fragiles. Et quand les territoires se ferment, une grande partie de la biodiversité disparaît. Il faut l’éthique humaine pour désirer rendre plus beau le jardin de la terre, plus viables ses territoires, aimer les animaux et souhaiter qu’ils continuent d’exister. »

Après la fin du monde, le nouveau péril jaune ?

Sylvie Brunel a pu rejeter brillamment le catastrophisme ambiant parce que, plus fondamentalement, elle rejette « la haine de l’être humain » caractéristique l’écologisme malthusien. Elle semble donc naturellement immunisée contre la propagande anti-humaine omniprésente dans la presse française. Nous aurions aimé qu’elle montre un même recul critique vis-à-vis de la manière dont cette même presse traite de la Chine, et ceci nous conduit à émettre ici une réserve sur un aspect particulier de son ouvrage qui nous semble aller à l’encontre de l’ensemble.

Connaît-elle la Chine aussi bien que l’Afrique ? Certes, elle a raison d’affirmer que la Chine est un grand promoteur des « technologies vertes » dans le monde. Ce pays y trouve un très grand intérêt du fait qu’il est en position de quasi monopole dans la production de métaux rares et de terres rares indispensables aux panneaux solaires, aux éoliennes et à l’électronique.

Ceci lui donne un avantage stratégique énorme sur le reste du monde et donc un moyen de pression politique majeur. Les écologistes nous mettraient donc à la merci de la dictature chinoise : « (…) l’Europe prépare son dépérissement et la domination annoncée de la Chine (…) parant de beaux noms qui nous rêver (Nouvelles Routes de la Soie !) des stratégies de domination vieilles comme le monde. »

Sylvie Brunel cite ensuite un certain nombre de pays partenaires des Nouvelles Routes de la soie qui seraient tombés dans le « piège de la dette » tendu à coup de prêts chinois. Ces exemples qui tournent en boucle dans nos médias, sont pour la plupart des exagérations ou des fraudes qui ont été démystifiées par ailleurs. Mentionnons un cas particulier célèbre : le rejet par la Malaisie des accords conclus avec la Chine pour des projets d’infrastructures d’un coût exorbitant.

Le non-dit dans cette affaire est beaucoup plus intéressant. Lorsque le Premier ministre malais Mahatir est revenu au pouvoir il y a quelques mois, il a certes rejeté ces accords, mais en dénonçant non pas les Chinois mais son prédécesseur corrompu. Et surtout, Mahatir a renégocié ces accords avantageusement avec la Chine en déclarant que les Nouvelles Routes de la soie étaient dans l’intérêt de son pays. Voila une précision qui manque chez nos journalistes français...

Alors, ne faisons pas d’angélisme. Les Chinois agissent de manière pragmatique, faisons de même. Nous ne pouvons que regretter qu’ils profitent de la bêtise occidentale pour promouvoir leurs technologies vertes, mais enfin nous avons nous-même tendu le piège dans lequel nous sommes tombés – ce que Sylvie Brunel reconnaît par ailleurs. Elle reconnaît également que les Nouvelles Routes de la soie sont bénéfiques pour le développement légitime de la Chine, bien qu’elle ajoute : « Les nouvelles routes de la soie ont été aussi conçues pour ça : apporter aux Chinois cette alimentation de qualité qui conditionne la paix sociale. Remplir les ventres pour vider les têtes, la méthode est archi connue, mais elle fait toujours recette. »

« Vider les têtes ? » Il est ironique de mentionner ici un livre également anti-chinois cité en référence par Sylvie Brunel. Il s’agit du livre de Guillaume Pitron La guerre des métaux rares. Pitron y rapporte un paradoxe qui laisse perplexes certains observateurs occidentaux de sa connaissance : la Chine est le pays qui dépose désormais le plus de brevets au monde (plus de 1,1 million de dépôts en 2015). Ils reconnaissent que ceci reflète un encouragement de la créativité individuelle dans le pays et ils ne comprennent pas : comment cela est-il possible alors que la Chine est une dictature ? « Comment une administration qui emploie deux millions d’agents pour censurer la liberté d’expression sur Internet peut-elle, dans le même temps, inciter à l’ébullition créative ? » Et pourtant...

Certes la Chine n’est pas une démocratie, mais elle a une histoire et une culture très différentes des nôtres et nous tendons à l’ignorer. Évitons les leçons de morale inutiles de peur d’en recevoir en retour, et voyons si l’on peut faire ensemble quelque chose de bon pour l’humanité et la planète !

En février 2018, une conférence a eu lieu à Abuja, au Nigeria, au sujet de la disparition du lac Tchad, de l’extension du désert et avec cela l’accroissement de la misère et du terrorisme. Au grand dam des participants européens écologistes, partisans depuis 40 ans de faire des études du phénomène sans chercher à résoudre le problème, les chefs d’État africains qui étaient présents ont décidé de soutenir le projet Transaqua pour la remise en eau du lac. Reverdir le désert !

Un projet cohérent avec la partie africaine des Nouvelles Routes de la soie et qui aurait un énorme impact humain et écologique. Allons-nous le faire ? Les technologies actuelles le permettent-elles ? Pour l’instant, nous en sommes au stade de la simple étude de faisabilité. Elle est financée à 50 % par la Chine...

Mais que fera la France dans ce contexte ?