Fracture numérique : créer un service public reste une priorité

jeudi 25 juillet 2019, par Karel Vereycken

En janvier 2017, lors de sa campagne électorale, Jacques Cheminade constatait qu’une grande partie du territoire national (notamment dans le monde rural et dans les périphéries des grandes agglomérations) ne bénéficiait que d’une très faible, voire d’aucune couverture numérique (téléphonie mobile et accès à internet), et estimait que « le moment était venu pour que l’État français reprenne les choses en main en créant sans attendre un grand service public du numérique ».

Cette nouvelle institution fournira, disait-il

à des tarifs réglementés, un accès universel au numérique haut de gamme sur l’ensemble du territoire. Comme pour la fourniture d’électricité, l’accès au numérique concourt à la cohésion sociale, au moyen de la péréquation nationale des tarifs.

Ainsi, s’inspirant de ce qui fut fait pour l’électricité depuis 1946, la loi créant ce service pourrait s’écrire ainsi :

Matérialisant le droit de tous au numérique haut de gamme, un service de première nécessité, le service public du numérique est géré dans le respect des principes d’égalité, de continuité et d’adaptabilité et dans les meilleures conditions de sécurité, de qualité, de coûts, de prix et d’efficacité économique et sociale.

L’accès au numérique aujourd’hui : état des lieux

Couvrir « en très haut débit l’ensemble du territoire d’ici la fin du quinquennat », c’était également l’un des engagements d’Emmanuel Macron.

Si, en paroles, il ne tarissait pas de l’idée de faire de la France la startup-nation par excellence, il s’est bien gardé d’appeler à l’instauration d’un service public dédié (cela aurait nécessité qu’il engage un bras de fer avec Bruxelles et ses alliés ici, qui mènent une croisade contre tout ce qui s’apparente de près ou de loin à la notion de bien public, et aussi, avec les milieux financiers de Wall Street et, de la City pour redonner à notre pays une capacité d’investissement public massif).

Numérique : plus de deux ans après, où en sommes-nous ?

Un article publié le 12 juin sur le site de la Fédération Nationale des Travaux Publics fait le point :

Extrait :

Fin 2018, 45 % des Français n’avaient toujours pas accès au très haut débit (THD). Selon une étude de l’UFC Que-choisir :

  • plus de 10 % des consommateurs (6,8 millions) ne disposent toujours pas d’un Internet de qualité minimale,
  • près de 12,8 millions sont privés d’un Internet à bon haut débit et
  • 400 000 personnes n’ont tout simplement pas accès à l’Internet.

Seules les zones les plus denses bénéficient actuellement d’une infrastructure de qualité car elles ont été équipées en priorité par les opérateurs privés. L’absence de couverture numérique dans certains territoires, allant des zones de montagne les plus reculées à certaines périphéries des grandes agglomérations, provoque un sentiment d’abandon et d’exclusion qui grandit à mesure que les usages du numérique se développent.

De façon plus générale, la couverture numérique est très inégale.

Dans les communes de moins de 1 000 habitants (30000 des 36000 communes), soit 75 % des communes françaises et 15 % de la population, près du tiers des personnes n’ont par exemple pas accès à un internet de qualité.

Numérique, 5G et aménagement du territoire

Comme le souligne l’article, l’équipement en réseaux THD de 4G et 5G pour le mobile constitue un pilier fondamental de l’aménagement et de la cohésion des territoires. Comment convaincre des entreprises de s’installer dans le monde rural si elles n’ont pas accès à un numérique de bonne qualité ?

Une bonne couverture numérique ne signifie pas seulement que chacun pourra utiliser son smartphone et surfer sur internet à sa guise ! C’est avant tout, et de plus en plus, un critère essentiel pour maintenir et développer les métiers d’aujourd’hui et de demain sur l’ensemble du pays.

Le saut de performance technologique permis par la 5G ouvre par exemple de nouvelles perspectives dans de multiples domaines comme :

Autant d’innovations qui sont de potentielles sources d’activité économiques et pour de création d’emplois pour les zones rurales. De même, l’avènement des « smart city » et des « smartgrids » est conditionné à la présence d’une infrastructure THD dans les territoires.

Or, le développement de la 5G à large échelle, envisagé à l’horizon 2025-2030 en France, nécessite au préalable un maillage total du territoire par la fibre.

Le Très Haut Débit arrive par petites gouttes

Certes, le Plan France Très Haut Débit prévoit la couverture de 80 % du territoire d’ici à 2022 puis 100 % en 2025. 20 milliards d’euros seront ainsi investis, dont 3,3 milliards d’euros de crédits État et 3 à 4 milliards d’euros par les collectivités locales, le reste étant assuré par les opérateurs privés de télécommunications ou des investisseurs privés. En mai 2019, l’Observatoire du Très Haut Débit 2019 persistait à affirmer que l’objectif de couverture de 80 % du territoire serait atteint dans les temps.

Mais France Travaux souligne que « Pour y arriver, il faudra néanmoins accélérer le déploiement, notamment dans les zones rurales ou difficiles d’accès, ce qui nécessitera le déblocage d’investissements complémentaires ».

Le constat est terrifiant. Tout d’abord, seulement 242 millions d’euros ont été réellement décaissés par l’Etat depuis 2013, d’après un point d’étape sur l’avancée de la couverture numérique du ministère de la Cohésion des territoires de juin 2018.

Ensuite, seulement 13,5 millions de locaux sont raccordés à la fibre optique au 4ème trimestre 2018, alors que 30,7 millions devront l’être d’ici à 2022. Il reste donc 4 ans pour couvrir 17,2 millions de locaux supplémentaires, soit l’installation de 4,3 millions de prises par an en moyenne, presque le double de ce qui a été fait les 4 dernières années où le rythme moyen de raccordement n’a été que de 2,4 millions de locaux par an !

Sans accélération du rythme, l’objectif de 80 % de couverture du territoire national ne sera atteint qu’en 2029 selon l’UFC Que-choisir ou 2030 selon la Cour des Comptes.

Pour ajouter aux difficultés, le Canard enchaîné du 22 mai 2019 dévoilait à quel point les grands opérateurs privés (Orange, SFR, Bouygues, et Free) renâclaient devant la proposition du gouvernement qu’ils mutualisent leur réseau dans les zones faiblement ou pas couvertes.

Enfin, même si l’objectif à l’horizon 2022 était tenu comme l’affirme l’Observatoire du THD 2019, il restera encore 6,4 millions de locaux à desservir sur la période 2022 - 2025, principalement dans les zones peu denses (RIP). Près de la moitié de ces prises (3 millions) ne sont actuellement pas financées.

D’après InfraNum, ce sont ainsi 2,6 milliards d’euros supplémentaires d’investissement public qu’il faudrait consentir entre 2022 et 2025 pour couvrir 100 % du territoire en THD, dont 800 millions d’euros de subventions de l’Etat.

Encore une raison de se battre pour une véritable Banque nationale à même de financer ce type d’investissement, et d’assurer ainsi une vie et un futur à nos campagnes.