Désolé, la forêt amazonienne n’est pas « le poumon » de la planète

jeudi 29 août 2019, par Karel Vereycken

Le 22 août 2019, sur twitter, Emmanuel Macron, ou plutôt son chargé de com, à la recherche d’un bon prétexte pour pouvoir annuler l’accord destructeur du Mercosur, écrivait :

Notre maison brûle. Littéralement. L’Amazonie, le poumon de notre planète qui produit 20 % de notre oxygène, est en feu. C’est une crise internationale. Membres du G-7, rendez-vous dans deux jours pour parler de cette urgence.

« Nos poumons brûlent », renchérissait un communiqué de Greenpeace France du 27 août, pour alimenter toujours plus l’éco-anxiété ou « solastalgie », cette nouvelle affection qui tourmente la santé mentale de milliers de jeunes se sentant impuissants face à ce qu’on leur présente comme une destruction irréversible et fatale de l’environnement. A tel point que l’Association psychanalytique internationale a reconnu le changement climatique comme « la plus grande menace de santé publique du XXIe siècle ».

Qu’en est-il alors ?

Scientifiquement d’abord, le terme est mal choisi. Nos poumons captent l’oxygène qui est dans l’air et relâchent du CO2. Les arbres, nous dit-on, font le contraire, ce sont des « puits de carbone ». Lors de la photosynthèse, un arbre consomme du dioxyde de carbone (CO2) et de l’eau (H2O) pour produire du glucose et du dioxygène (O2), ce fameux oxygène que nous respirons.

C’est une partie du glucose produit par la photosynthèse qui permet à l’arbre de respirer, en particulier par ses racines et ses feuilles. L’intensité de cette respiration, et donc de sa consommation d’oxygène, dépend de son âge. Elle est maximale au début de sa vie, durant sa période de croissance, puis ralentit au fur et à mesure qu’il avance en âge.

Pour l’instant, les scientifiques ne sont pas sûrs qu’en fin de vie, un arbre ait produit plus d’oxygène qu’il n’en a consommé durant son existence. Car à sa mort, les tissus de l’arbre sont avalés par des bactéries, des champignons et la microfaune du sol. Les scientifiques estiment qu’à la fin de cette décomposition, tout l’excédent d’oxygène produit par l’arbre lors de sa vie aura été réutilisé. En parallèle à cela, il rejette la même quantité de CO2 qu’il avait fixée en grandissant. Soulignons qu’en se décomposant, les arbres morts libèrent des gaz à effet de serre (dont du méthane - CH4) dans l’air. On se rend alors compte qu’il est impossible, en pratique, de faire un bilan précis de la production et de la disparition de ces deux gaz...

La forêt amazonienne

C’est à un résultat similaire qu’a conclu une étude majeure sur la forêt amazonienne, publiée en mars 2015 par le magazine scientifique Nature. Cette étude est la plus vaste menée à l’heure actuelle sur cette question. Elle a impliqué, sous la direction de l’Université de Leeds, près d’une centaine de scientifiques, dont un grand nombre de chercheurs français du Cirad, du CNRS et de l’INRA, collaborant au sein du Labex Ceba, le Centre d’étude de la biodiversité amazonienne. Afin de calculer les changements de stockage de carbone, les auteurs ont observé 321 placettes forestières, réparties largement sur les six millions de kilomètres carrés de l’Amazonie. Ils y ont examiné 200 000 arbres et enregistré la croissance et la mort de chacun d’entre eux depuis les années 1980.

A titre de rappel, avec près de 6 millions de kilomètres carrés, la forêt amazonienne, qui abrite quelque 15 000 espèces d’arbres, couvre environ 10 fois la superficie de la France métropolitaine et s’étend sur 9 pays – le Brésil étant de loin le plus grand. De vastes territoires en Bolivie, Equateur, Colombie, Pérou, Venezuela, Guyane française, Guyana et Suriname sont encore couverts de forêt amazonienne.

Concernant sa capacité à capter le carbone, l’étude publiée par Nature estime que, si lors des décennies passées, la forêt amazonienne a pu jouer ce rôle en absorbant plus de carbone qu’elle n’en rejetait, une nouvelle analyse sur la dynamique forestière tend à démontrer qu’une augmentation rapide du taux de mortalité des arbres en Amazonie a changé la donne. Des sécheresses récentes et des températures anormalement élevées pourraient jouer un rôle important dans cette observation. Si l’étude démontre que l’augmentation de la mortalité a commencé bien avant la méga-sécheresse de 2005, elle montre aussi que les événements de 2005 et 2010 ont conduit à la mort de millions d’arbres supplémentaires.

En tout cas, comme le souligne le site notre-planete.info, si la forêt amazonienne « émet de l’oxygène (O2), elle en consomme également dans un bilan considéré comme nul. Il n’est donc pas juste d’affirmer que la forêt amazonienne est le poumon de notre planète ».

A cela il faut ajouter que seulement 1 % des arbres de la forêt amazonienne contribuent à la moitié de la production de bois et du carbone stocké en Amazonie, selon le groupe Rainfor, qui a participé à l’étude. Les chercheurs ont constaté que les espèces les plus abondantes de la forêt amazonienne n’étaient pas celles qui stockaient le plus de carbone. Au contraire, certaines espèces rares (1 arbre sur 1000), comme le Bertholletia excelsa, connu pour ses noix du Brésil, sont classées parmi les meilleures pour stocker du carbone (3e rang) et produire du bois (4e rang).

La forêt amazonienne, aussi immense soit-elle, ne produit donc, au mieux, qu’une fraction estimée à 5 % de l’oxygène de l’atmosphère terrestre.

En vérité, la moitié de ce gaz que nous respirons est produite par les océans, grâce au phytoplancton qui réalise la photosynthèse en absorbant du CO2. Le reste est émis par la végétation terrestre, y compris par les terres cultivées par l’homme.

La déforestation

Cela n’empêche pas que, vu son importance pour la biodiversité et la régulation des phénomènes météorologiques, la déforestation du bassin de l’Amazone soit une catastrophe bien réelle. Ajoutons à cela que la déforestation n’est pas le résultat, mais bien la cause principale des incendies.

Comme l’analyse un article du site de l’Association des sapeurs-pompiers humanitaires du Groupe secours catastrophe français (GSCF) :

Ce qui brûle actuellement en Amazonie correspond à des zones détruites par l’homme pour l’agro-industrie, particulièrement pour développer des zones plus importantes de culture du soja, de l’huile de palme, pour intensifier l’élevage de bovins et créer des nouvelles zones de pâturage, mais également pour du trafic de bois. Ainsi chaque année, des milliers d’arbres sont abattus, les troncs sont emportés et le reste de la végétation non utilisable est laissée sur place (feuilles, petites branches, végétaux, etc.). A l’issue de la saison des pluies, au moment de la saison sèche qui dure de juillet à novembre, les branchages, déchets non utilisés sont mis à feu et, ainsi, les forêts sont transformées en espace cultivable. C’est une erreur de croire que les forêts brûlent en Amazonie, ce qui est la proie des flammes ce sont simplement les déchets laissés lors de l’abattage des arbres (…) Les incendies qui sévissent actuellement en Amazonie rendent simplement visible la déforestation : nous découvrons, avec ces incendies et ce dégagement de fumées, la phase finale du processus de déboisement. Ainsi, l’accentuation des incendies illustre malheureusement avant tout l’accélération de la déforestation massive.

Cultivateurs brésiliens, autant qu’africains et asiatiques, pratiquent le brûlis, une pratique agricole primitive que le Président brésilien, sous pression internationale, vient d’interdire hier mercredi 28 août par décret présidentiel.

Nourrir la planète

Pour des malthusiens extrémistes décidés à réduire la population mondiale, le Brésil, devenu au fil des années le premier exportateur mondial de soja, de sucre, de bœuf, de poulet et de jus d’orange, est une cible de choix.

Or, comme le précise un rapport du Sénat, si ce pays consacre près de 60 millions d’hectares aux différentes cultures et 230 millions d’hectares aux pâturages pour l’élevage, il reste, selon différentes estimations, et sans y inclure le moindre hectare de forêt amazonienne, près de 90 millions d’hectares de terres disponibles !

En clair, si l’on aide ce pays à moderniser son agriculture (trop extensive) et que l’on fait en sorte qu’il ne soit pas livré à des firmes multinationales prédatrices (souvent basées en Europe et aux Etats-Unis), on créera les conditions où c’est plutôt la reforestation qui sera à l’ordre du jour.

En effet, 80 % des terres gagnées sur la forêt servent actuellement comme pâturage pour un bétail que l’on pourrait tout aussi bien nourrir avec le soja dont le Brésil est le plus grand exportateur mondial.

Pour se guérir de l’éco-anxiété, quoi de mieux qu’une bonne petite dose quotidienne de raison ?