Les Chinois accapareurs de terres, c’est un mythe !

lundi 16 septembre 2019

Des experts agricoles chinois lors d’une mission d’assistance à l’Afrique, en Côte d’Ivoire.
Chinafrique

Avec l’élection en juin 2019, du Chinois Qu Dongyu, à la tête de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), certains s’interrogent sur les politiques agricoles chinoises en Afrique.

Dans d’un entretien très complet accordé le 13 septembre au quotidien Le Monde, Jean-Jacques Gabas, fait le point. En tant que chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), maître de conférences à Sciences Po Paris et président d’honneur du Groupement pour l’étude de la mondialisation et du développement (Gemdev), il a enquêté sur les politiques agricoles de la Chine en Afrique et visité les fermes expérimentales chinoises sur ce continent.

Extrait :

(...)

Quel est l’objectif poursuivi par Pékin en prenant la tête de la FAO ?

Jean-Jacques Gabas.
capture d’écran Youtube.

La Chine, deuxième économie mondiale, suit la logique de n’importe quelle grande puissance : étendre ses zones d’influence et participer au multilatéralisme. La France a parfois brigué la direction générale de l’Unesco ou la tête du Fonds monétaire international ; les Etats-Unis estiment que la Banque mondiale doit être dirigée par un Américain.

La Chine, elle, a pris la tête de l’Organisation pour le développement industriel, de l’Union internationale des télécommunications, de l’Organisation de l’aviation civile internationale, au sein des Nations unies, ainsi que d’Interpol de 2016 à 2018. Pékin cherche aussi à développer son soft power en Afrique avec une rhétorique de « coopération différente » sur le thème : « Nous, on fait de la coopération Sud-Sud, sans condition, en tant que pays en développement qui s’est montré capable de sortir de la pauvreté. »

Les Etats africains sont-ils sensibles à cette rhétorique ?

Par leur vote en faveur de la Chine, beaucoup ont adressé un signal à la communauté internationale, sanctionnant ainsi l’histoire de leurs relations avec les pays de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques], qu’ils estiment asymétriques.

De fait, les financements de l’agriculture par l’OCDE ont en fait été très faibles au cours des trente dernières années. Ils n’ont cessé de diminuer, jusqu’à la crise alimentaire de 2008. Ce n’était pas l’agriculture qui était au cœur des politiques de coopération, mais les programmes d’ajustement structurel, puis la lutte contre la pauvreté, puis la question du développement durable, etc. Le financement de l’agriculture, par les pays de l’OCDE comme par les Etats africains, ne croît que très lentement depuis le début de la décennie 2010.

Quand vous discutez de la stratégie chinoise avec les ministères de l’agriculture en Afrique, ils disent : « Arrêtez avec vos conseils et vos craintes. Qu’avez-vous financé depuis trente ans ? Bien peu, eu égard aux besoins. » Ils n’ont pas complètement tort. (...)

La Chine compte-t-elle développer ses importations de produits agricoles ?

Non. Depuis le début des années 2000, Pékin est certes le premier partenaire commercial de l’Afrique au sud du Sahara, mais la part de l’agriculture dans les exportations africaines vers la Chine ne représente quant à elle que 2 à 3 % du volume des échanges – presque rien. Ses investissements dans les périmètres rizicoles ou sucriers sont destinés aux marchés régionaux africains.

La Chine compte par ailleurs 1,4 milliard de bouches à nourrir, ce qui la rend très dépendante de ses importations alimentaires. Elle sait qu’en cas de crise économique mondiale – notamment une crise alimentaire en Afrique – les prix seront perturbés et les denrées raréfiées, avec un impact sur son bilan céréalier interne. Elle cherche donc aussi à stabiliser la production alimentaire du continent. Les produits agricoles qu’elle importe depuis l’Afrique sont l’hévéa, le manioc pour les emballages agroalimentaires et, selon les années, l’arachide, le coton et le bois bruts. Des vignobles en Afrique du sud sont aussi rachetés pour une exportation vers la Chine.

Tout cela représente cependant des volumes assez faibles, en tout cas bien inférieurs aux exportations africaines de produits agricoles vers l’Europe ou à celles de produits miniers ou pétroliers vers la Chine. Quant aux exportations de produits animaliers, tels que la peau des ânes du Kenya ou de Tanzanie, les écailles de pangolin, les défenses d’éléphant, avant que ce commerce ne soit interdit, les informations manquent. A ce jour, il faut relativiser : les entreprises chinoises sont là, profitant d’opportunités de marchés et d’investissements, mais sans stratégie affichée de « nourrir la Chine ».

L’accaparement de terres agricoles par la Chine est-il une réalité ?

Concernant les acquisitions foncières chinoises, les statistiques fiables indiquent que la Chine est loin d’être le premier investisseur : elle est au 8e ou au 9e rang. Qu’il s’agisse de terres agricoles, de mines, de forêts ou de production d’hévéa, les plus gros investisseurs restent les pays de l’OCDE (Etats-Unis, Royaume-Uni, France), les nationaux ou encore des Etats du Golfe comme l’Arabie saoudite.

On constate aussi que, lorsque les Chinois achètent des terres et que cela provoque un conflit foncier ou une opposition de la population, ils se retirent ou changent la nature de leur exploitation. Au Bénin, ils avaient ainsi envisagé d’acquérir 1 000 ou 2 000 hectares pour cultiver du manioc ; ils se sont aperçus que ce projet posait des problèmes et ont alors mis en place un système contractuel avec les paysans. Les Chinois accapareurs de terres, c’est un mythe. (...)

Lire la version intégrale de cet entretien sur le site du Monde.