Le « reset » de la politique étrangère de la France

mardi 17 septembre 2019, par Christine Bierre

Le président de la République vient d’annoncer, le 27 août, lors de sa conférence annuelle aux ambassadeurs, un changement de cap significatif dans sa politique étrangère. C’est un changement que nous avions déjà vu à l’œuvre lors du G7 de Biarritz, quand E. Macron s’est permis de transformer ce sommet parfaitement stérile, en une réunion de travail sur les sujets les plus épineux du moment – l’Iran, l’Ukraine, la guerre commerciale des États-Unis contre la Chine.

De quoi s’agit-il ? Pouvons nous y adhérer ?

Au cœur de ce changement, une vision particulièrement lucide de E. Macron concernant les enjeux existentiels auxquels les pays occidentaux sont confrontés, qu’il a eu l’honnêteté de communiquer aux Ambassadeurs et au peuple français. D’abord cette phrase qui fera date : « Nous sommes sans doute en train de vivre la fin de l’hégémonie occidentale sur le monde ».

« Les choses changent », il a dit, évoquant franchement des erreurs des Occidentaux dans certaines crises, et des Américains, en particulier, dans les conflits au Proche et Moyen Orient et ailleurs. Mais aussi, « l’émergence de nouvelles puissances dont nous avons sans doute longtemps sous-estimé l’impact ». « Regardons l’Inde, la Russie et la Chine. Elles ont une inspiration politique plus forte que les Européens aujourd’hui. » Ce sont des « puissances non seulement économiques mais politiques », qui se pensent « comme de véritables Etats civilisations et qui viennent bousculer notre ordre politique et l’imaginaire politique qui va avec, avec beaucoup de force et beaucoup plus d’inspiration que nous n’en avons ».

La crainte de E. Macron est que tout cela ne provoque également une bascule géopolitique et militaire, « un ensauvagement » qui pourrait dégénérer et face auquel la France se doit d’agir. Une source de l’Élysée citée par Isabelle Lasserre dans un article du Figaro du 09/09/2019 se fait encore plus explicite : derrière ces changements il y aurait « une analyse inquiète de l’état du monde. La déconstruction des mécanismes de gestion de crise et de l’ordre multilatéral est devenue trop dangereuse. Elle doit être contrée. La France veut contribuer à l’émergence d’un nouvel ordre international ».

Pour pouvoir peser, la France, rajoute-t-il, doit pouvoir redevenir « une puissance d’équilibre », qui n’est pas « alignée » et qui ne « considère pas que les ennemis de nos amis sont forcément les nôtres ou qu’on s’interdit de leur parler ». Notre stratégie, a dit E. Macron sans ambages, doit être « au service de nos intérêts ».

Rétablir l’alliance franco-russe

E. Macron a aussi plaidé fortement pour le ré-arrimage de la Russie à l’Europe. Selon les sources d’Isabelle Lasserre à l’Elysée, ces nouvelles ambitions françaises se nourrissent de constatations réalistes : « depuis son grand retour sur la scène internationale, la Russie est indispensable à la résolution des grandes crises du moment ; elle est une pièce indispensable des puzzles en Syrie, en Libye, en Iran, Ukraine, quatre dossiers dans lesquels la diplomatie française est aussi très investie ».

Surtout, E. Macron est convaincu que si une coopération n’est pas esquissée avec la Russie, une puissance européenne, les tensions resteront et l’Europe sera toujours l’otage des tensions entre les Etats-Unis et la Russie. Ce pourquoi il plaide pour rebâtir une nouvelle architecture européenne avec la Russie.

La nouvelle géopolitique de E. Macron

Jusque là, rien à dire. D’ailleurs, la condamnation par l’Institut Royal des Relations Internationales britannique de ces propositions indique que E. Macron va dans le bon sens. Ce que nous rejetons par contre est la géopolitique sous-jacente à cette stratégie. Dans ce monde en crise, les deux qui, selon lui, ont les cartes en main « sont les États-Unis d’Amérique et la Chine ». Pour pouvoir faire face à ces deux nations-continents qui aujourd’hui se disputent la suprématie du monde, il faudrait une Europe alliée à la Russie. L’agressivité de l’OTAN envers la Russie, répète-t-il à l’envie, n’a fait que pousser la Russie dans les bras de la Chine, ce qui n’est pas du tout dans l’intérêt de l’Europe.

Or, le problème de la géopolitique est qu’elle veut voir le pouvoir des nations comme étant déterminé par leur taille et par leur démographie. Au contraire, dans une conception stratégique classique, qui est la nôtre à Solidarité & Progrès, la puissance d’une nation est déterminée par sa vision à long terme, par l’éducation et la motivation de sa population et par ses capacités productives. La France a été puissante sous l’impulsion très forte de De Gaulle ; elle s’est affaiblie ensuite, dans l’UE, lorsque celle-ci a succombé, dans les années 1980, à la financiarisation venue des deux centres principaux de la finance en Occident : la City de Londres et Wall Street.

Capital financier contre capital productif

Ces données ne font pas partie de l’équation de E. Macron. Bien que dans sa conférence aux Ambassadeurs il concède que la mort de l’économie de marché, sous le poids de la financiarisation, est l’une des sources de l’affaiblissement de l’Occident, il n’en tire pas les conclusions qui s’imposent.

La cause principale du déclin occidental qu’il décrit a été la fin du système de Bretton Woods qui, sans être parfait, avait établi des règles permettant la croissance des économies productives et la stabilité du commerce international. Les délocalisations de nos industries vers les pays à bas salaires – le rêve fou d’entreprises sans usine – qui a suivi la fin de Bretton Woods, est à l’origine de la dislocation des riches économies productives des pays occidentaux. Cherchant des profits à court terme démesurés, le capital financier qui a été à l’origine de ces politiques est le seul coupable de l’appauvrissement des classes moyennes et laborieuses occidentales, phénomène à l’origine des révoltes violentes récentes dans nos pays.

Que l’Europe soit avec la Russie ou non, ne changera rien à cette donne, si l’on accepte que les centres financiers occidentaux, Wall Street et la City de Londres, poursuivent leur entreprise de pillage à l’égard de nos populations et de nos forces productives. Or, jusqu’à présent, M. Macron n’a rien ménagé pour attirer ce pouvoir financier chez nous.

Une alliance contre la City et Wall Street

E. Macron cite la Chine, l’Inde et la Russie, comme les puissances qui sont venues bouleverser l’hégémonie occidentale ; c’est chez elles que l’on retrouve aujourd’hui l’amour du progrès, de la recherche et de ses applications industrielles, qui a jadis fait la grandeur de l’Occident. Si l’on veut faire renaître ce même élan chez nous, l’alliance que nous devons construire est avec ces nations, et contre les grands centres financiers qui ont pillé nos pays et nos populations.

Nous ne faisons aucune faveur à la Russie en voulant l’attirer vers l’Europe actuelle. Encore dévastée par le capital anglo-américain après la chute du mur, c’est auprès de ces nouvelles puissances que la Russie trouvera le soutien que l’Europe ne veut, ni ne peut lui octroyer, pour retrouver la voie de la croissance. La France devrait, elle aussi, s’orienter vers elles pour faire une transition vers une nouvelle économie industrielle.