Sergeï Lavrov à l’ONU : en finir avec le « diviser pour mieux régner »

mardi 8 octobre 2019

Chronique stratégique du 8 octobre 2019 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Au moment où les États-Unis imposent une nouvelle série de sanctions contre la Russie, le ministre russe des Affaires étrangères Sergeï Lavrov a prononcé à l’ONU un discours qui démontre une nouvelle fois la lucidité des dirigeants russes – relativement à la médiocrité des dirigeants occidentaux, dont l’horizon dépasse difficilement les prochaines élections, quand ce n’est pas le prochain plateau tv.

Les sanctions comme arme géopolitique

Le 30 septembre, le secrétaire au Trésor américain a énoncé les nouvelles sanctions imposées à la Russie au motif de la supposée « ingérence russe » dans les élections présidentielles de 2016 – répétée inlassablement dans les médias sans avoir jamais été démontrée. Il s’agit de la 73e série de sanctions imposée par les États-Unis à la Russie depuis 2011.

Pour le ministère russe des Affaires étrangères, ces démarches reflètent « la crise politique intérieure qui sévit aux États-Unis ». De son côté, le président Vladimir Poutine, interviewé sur NBC News, a souligné que « les sanctions ont été imposées uniquement sur la base des suppositions sur notre collusion présumée avec M. Trump. Ensuite, [le procureur spécial Robert] Mueller a déclaré qu’il n’y avait pas eu de collusion, mais les sanctions ont été maintenues. Ce n’était donc qu’un prétexte pour nous retenir. Et aussi, pour exercer des pressions sur M. Trump ».

En effet, la bataille fait rage au sein des institutions américaines. La procédure de destitution contre Donald Trump lancée le 24 septembre par les Démocrates marque la « troisième étape » de l’opération au nom trompeur de « Russiagate », une tentative de coup d’État contre la présidence Trump visant à saboter toute possibilité d’entente et de coopération entre les États-Unis, la Russie et la Chine, en maintenant le monde dans une guerre froide réchauffée.

La première étape, initiée fin 2015 par les services britanniques via les « Five Eyes » (l’alliance des services secrets des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Australie, du Canada et de la Nouvelle-Zélande), avait pour but d’empêcher l’élection de Trump et de porter Hillary Clinton à la Maison-Blanche ; la seconde, qui devait provoquer la chute de Trump en démontrant qu’il y avait eu collusion entre son équipe de campagne et le gouvernement russe, s’est effondrée lorsque le procureur spécial Robert Mueller a piteusement rendu les résultats négatifs de son enquête.

La procédure de destitution survient donc quelques semaines après la fin de l’enquête de Mueller, dans le contexte où une série de changements indique que le rapport de force, à l’intérieur de l’administration Trump, bascule en faveur des factions hostiles à toute escalade militaire. En juin, puis en septembre, malgré les provocations, les plans de frappes contre l’Iran sont restés sur le tarmac ; Dans l’intervalle, Trump s’est débarrassé de plusieurs faucons, et en premier lieu de son conseiller à la sécurité nationale John Bolton.

Dans le même temps, l’élection de Zélensky en Ukraine a changé la donne en Ukraine. Les milieux ultras corrompus, ainsi que les réseaux néo-nazis, qui gravitaient autour du président Porochenko depuis le Maïdan, ont en partie été écartés, et les pourparlers de paix ont pu être rouverts. Le 1er octobre, Kiev a signé un accord pour mettre en œuvre le « plan Steinmeier » visant à organiser un vote sur l’autonomie du Donbass. Ce qui ouvre la voie au retour du format dit de « Normandie » des négociations de paix entre la France, l’Allemagne, la Russie et l’Ukraine, resté gelé depuis trois ans.

Pour un monde polycentrique et uni

Lors de son discours prononcé le 27 septembre à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, le ministre russe des Affaires étrangères Sergeï Lavrov a appelé les nations du monde à sortir « l’humanité des divisions [qui] menacent de la mener à la destruction », et à libérer « l’immense potentiel créatif » que permettra une coopération entre les différents États contre les menace communes.

C’est l’espoir qui animait les Nations unies lors de leur création il y a 75 ans, et qui a été bridé par la Guerre froide, a rappelé Sergei Lavrov. « L’espoir a réémergé il y a près de 30 ans lorsque le Mur de Berlin, qui symbolisait la confrontation entre les deux systèmes irréconciliables, est tombé. C’était l’espoir de tourner définitivement les pages sombres des guerres – non seulement chaudes mais également froides – et de joindre les efforts de tous pour le bien de l’humanité ».

Lavrov a désigné l’unilatéralisme du libéralisme occidental comme cause principale de destruction de cet espoir, et de la fragmentation du monde à laquelle nous assistons depuis 30 ans. « De notre point de vue, la raison de l’état du monde se trouve avant tout dans l’absence de volonté des pays qui se sont autoproclamés vainqueurs de la Guerre froide à reconnaître les intérêts légitimes des autres États, et à accepter les réalités du cours objectif de l’Histoire. (…) Les principaux pays occidentaux essayent d’entraver le développement d’un monde polycentrique, de préserver leurs positions privilégiées, d’imposer aux autres des normes de comportement basées sur l’interprétation occidentale étroite du libéralisme. En bref, ‘nous sommes libéraux et pouvons tout nous permettre’ ».

Les intérêts occidentaux ont mené un effort constant pour imposer un « ordre basé sur la loi », pour reprendre leur propre expression, dans lequel eux seuls ont la « légitimité », a souligné Lavrov, en évoquant notamment leur utilisation du contrôle médiatique et des infox pour « manipuler la conscience du public ».

En contraste avec cette approche géopolitique impérialiste du « diviser pour mieux régner », le ministre russe a montré comment la Russie et d’autres pays s’efforcent d’harmoniser les différents plans d’intégration régionaux. Il a décrit l’initiative de Vladimir Poutine pour un Grand partenariat eurasiatique visant à relier les plans de développements comme l’Union économique eurasiatique (UEEA), l’Organisation de la coopération de Shanghai (OCS) et l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), ainsi que les plans en cours pour connecter l’UEEA à l’Initiative de la Ceinture et la Route (ICR) portée par la Chine.

Si les Européens en venaient à se joindre à cette dynamique, a suggéré Lavrov, ces efforts contribueraient non seulement à la croissance économique mais également à établir des bases solides pour façonner « un espace de paix, de stabilité et de coopération de Lisbonne à Jakarta ».

Cette approche, qui n’est pas sans rappeler la vision gaulliste d’une Europe « de l’Atlantique à l’Oural » et d’un monde de « détente, d’entente et de coopération », devrait inspirer le gouvernement français qui, si un certain réalisme a certes conduit Macron à renouer le contact avec la Russie, reste piégé dans l’enfumage médiatique contre la Chine et contre les Nouvelles Routes de la soie.

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