Réduire de moitié le cheptel pour « sauver le climat » ?

mercredi 9 octobre 2019, par Karel Vereycken

Le mardi 1er octobre, dans ce que certains ont qualifié de mouvement hollandais de « gilets jaunes », plusieurs milliers d’éleveurs néerlandais ont lancé leurs tracteurs sur les autoroutes en direction de la capitale, La Haye, provoquant jusqu’à 800 km d’embouteillages.

Arrivés sur place, alors que la police n’avait autorisé que 75 tracteurs à stationner sur un terrain adapté aux grandes manifestations, plusieurs milliers d’entre eux ont fini par renverser les clôtures pour pénétrer dans la zone.

S’il y a un pays au monde où l’agriculture « intensive », c’est-à-dire faisant appel aux
semences à haut rendement, aux intrants, à l’irrigation et à une forte mécanisation, est source de profits à l’hectare, ce sont bien les Pays-Bas. Aujourd’hui, « Les agriculteurs en ont marre d’être stigmatisés comme ‘le problème’ dont il faut ‘s’occuper’ », s’offusque Dirk Bruins du syndicat des exploitants agricoles LTO.

Bien que jusqu’ici le gouvernement néerlandais n’ait concrétisé aucune mesure, le fait même que certains politiciens puissent évoquer l’idée d’une forte réduction du cheptel, a fait exploser l’indignation, l’inquiétude et la colère.

Tjeerd de Groot, un ancien haut fonctionnaire du ministère de l’Agriculture devenu député D66, un parti de centre droit faisant partie de la coalition au pouvoir, a lancé, tout en offrant des compensations financières aux éleveurs, un « ballon d’essai » avec sa proposition visant à réduire de moitié le cheptel bovin et porcin.

L’effroi dans le monde agricole néerlandais fut tel que le gouvernement a du dépêcher en toute urgence Carola Schouten, la ministre de l’Agriculture, pour tenter de calmer les esprits des paysans rassemblés en masse dans la capitale, en leur assénant qu’aucune mesure de ce type n’était à l’ordre du jour.

Mais aux Pays-Bas, personne n’est dupe. Au moment où l’image de Greta Thunberg défile sur tous les écrans, cette idée totalement malthusienne n’arrive pas par hasard. Dans un contexte où l’oligarchie financière veut « peindre son krach financier en vert », il ne se passe pas un jour où l’agriculture et l’industrie se retrouvent accusées d’être des « empoisonneurs » et de
commettre des « crimes climatiques ».

L’azote

L’azote (N2) compose 78 % de l’air atmosphérique. Cependant, des oxydes d’azote (NO) se forment sous l’action de la chaleur à partir de l’azote atmosphérique. Le NO ainsi formé est oxydé en protoxide d’azote (N2O), un gaz à effet de serre 298 fois plus puissant que le CO2. Comme bien d’autres pays européens, les Pays-Bas se sont engagés à réduire leurs émissions à effet de serre de 49 % d’ici 2030 par rapport au niveau de 1990. Or, un tiers du N2O de l’atmosphère provient de l’épandage de lisier et d’engrais azotés.

Soulignons que, dans un autre cadre, pourquoi pas, hors de la folle course aux marges pour leur survie, beaucoup d’agriculteurs sont prêts à repenser le modèle actuel, mais pas avec un couteau sur la gorge !

Aux Pays-Bas, cette « solution » malthusienne qui consisterait à réduire radicalement le cheptel national arrive après qu’une haute Cour de Justice ait statué en mai que « les règles pour l’attribution des permis de construire pour les bâtiments et les routes violaient la loi européenne visant à protéger la nature d’émissions d’azote telle que l’ammoniac et le N2O ». L’arrêt de la Cour a immédiatement rendu illégaux des milliers de projets de construction de logements et d’infrastructures.

Pour De Groot, la question est simple :

C’est aux politiques de prendre une décision. Les jeunes cherchent des logements et ils n’en trouvent pas. L’industrie du bâtiment plonge à cause de l’arrêt sur l’azote. Et la construction des routes et des transports publics est menacée. Les dégâts provoqués par l’azote sur l’environnement dépassent tout.

De Groot a sorti ensuite sa calculette. C’est simple :

De toutes les émissions d’azote, 70 % viennent de l’agriculture, essentiellement de l’élevage intensif. C’est énorme ! En même temps, c’est un fait que cette activité ne contribue qu’à 1 % de notre PIB, c’est hors de proportion....

De Groot propose qu’on donne le choix suivant aux éleveurs : soit vous changez de métier, soit vous vous convertissez à l’économie circulaire et acceptez de nourrir vos bêtes avec de l’alimentation ne convenant pas aux humains, permettant de réduire ‘la pression’ sur l’environnement et de renoncer aux engrais. De toute façon, constate-t-il, une telle conversion réduirait automatiquement le nombre de têtes du cheptel…

Pour « vendre » ce qu’il faut bien qualifier d’orientation éco-fasciste au public, on évoque bel et bien une sorte « d’espace vital » (Lebensraum) avec l’équation : moins de bétail = plus de logement !

Pour l’instant, l’opinion publique néerlandaise penche plutôt en faveur des éleveurs et se déclare choquée de ce genre d’annonce-surprise. Pour manipuler les esprits et les faire accepter ce genre de décisions, la télévision néerlandaise a suggéré qu’en cas de refus des éleveurs devant une telle proposition, on pourrait finir par être obligé d’interdire ou du moins de fortement réduire le nombre de chiens, de chats et d’autres animaux domestiques dans le pays. Ambiance...

Jusqu’ici, les autres partis qui composent la coalition au pouvoir sont assez réticents devant de telles propositions. Déjà, lorsque le Conseil néerlandais pour l’environnement et les infrastructures avait formulé une proposition similaire l’année dernière « pour atteindre les objectifs de la COP 21 », ils avaient réagi par la négative.