L’euro, pire qu’un crime, une faute

vendredi 8 novembre 2019

Chronique stratégique du 8 novembre 2019 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Jetant un froid dans le pays des merveilleuses illusions qu’on appelle aujourd’hui l’Union européenne, le gouverneur de la Banque centrale hongroise, Gyorgy Matolcsy, a publié une tribune le 3 novembre dans le Financial Times, titrant : « Nous devons admettre que l’euro était une erreur ». Si à la City certains voient la dissolution de l’UE comme un évènement potentiellement capable d’attirer des capitaux à Londres, les arguments de fond du banquier hongrois méritent notre attention.

Selon Gyorgy Matolcsy, la « décision malavisée » de l’introduction de la monnaie unique était en réalité « un piège français » : « Alors que l’Allemagne s’unifiait, François Mitterrand, alors président français, craignait sa montée en puissance et croyait qu’il suffirait de convaincre le pays d’abandonner son deutschemark pour éviter une Europe allemande ». Il révèle là ce qui était un secret de polichinelle. En effet, nous avions nous-mêmes montré, dans un article de 2005, que le traité de l’Union économique et monétaire (UEM), signé lors du Sommet de Strasbourg le 8 décembre 1989, avait été préparé depuis les années 1960-1970, bien avant Mitterrand, par plusieurs hauts administrateurs français, comme Robert Marjolin et Alexandre Kojève, des serviteurs de l’oligarchie financière anglo-américaine, dans la « tradition » collaborationniste française.

Le problème est que le piège s’est refermé sur tout le monde, y compris sur ceux qui l’ont dressé. L’euro n’a pas empêché l’Allemagne de rester la plus forte économiquement ; même si les Allemands ont dû payer le prix fort, par la dérégulation du marché de l’emploi et son lot de situations précaires, et par la détérioration des infrastructures de base. La réalité est que la monnaie unique et l’orthodoxie budgétaire qui l’accompagne n’ont bénéficié à aucun de ses membres.

La plupart des pays de la zone euro s’en sont mieux sortis avant l’introduction de l’euro qu’ils ne l’ont fait avec, écrit Matolcsy. Selon l’analyse du Centre for European Policy, il y a eu peu de gagnants et beaucoup de perdants au cours des deux premières décennies de l’euro. La monnaie commune n’était pas nécessaire pour les succès européens avant 1999 et la majorité des États membres de la zone euro n’en ont pas bénéficié par la suite.

Le temps est venu de se réveiller de ce rêve néfaste et infructueux, conclut le banquier central. Un bon point de départ serait de reconnaître que la monnaie unique est un piège pour pratiquement tous ses membres – pour différentes raisons – et non une mine d’or. Les États membres de l’UE, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la zone euro, devraient admettre que l’euro a été une erreur stratégique. La vision européenne des États-Unis d’Europe s’est traduite par une guerre américaine ouverte et cachée contre l’UE et la zone euro au cours des deux dernières décennies.

Nous devons trouver comment nous libérer de ce piège. Les Européens doivent renoncer à leurs fantasmes risqués de créer une puissance qui rivalise avec les États-Unis. Les membres de la zone euro devraient être autorisés à quitter la zone monétaire dans les décennies à venir et ceux qui restent devraient construire une monnaie mondiale plus durable. Célébrons le 30e anniversaire en 2022 du traité de Maastricht qui a donné naissance à l’Euro en réécrivant le pacte.

Sortons de la vallée des paumés

La tribune de Gyorgy Matolcsy, qui a le mérite de dire tout haut que le roi est nu, n’a pour l’instant reçu aucun écho dans la presse française, contrairement à celle d’outre-Rhin. Le journaliste Holger Zschäpitz du quotidien Die Ziet, par exemple, l’a qualifiée de « sensationnelle ». Rappelant que les pays européens tels que la Hongrie, la Pologne et la République tchèque ont rejoint l’UE tout en gardant leurs monnaies nationales, Zschäpitz se réjouit de voir le banquier hongrois « aller plus loin » en « s’adressant de l’intérieur aux nombreux euro-critiques » en Allemagne.

Il est temps en effet de créer un sursaut dans notre vieux continent. Les Européens vivent dans « la vallée des paumés », à l’image de ces régions de la RDA qui ne captaient pas les médias de l’Ouest, et que l’on appelait ainsi. Par soumission et par bêtise, les élites entretiennent une représentation archaïque du monde, restée figée dans des paranoïas vis-à-vis du monde extérieur, en particulier de la Chine et de la Russie, dignes de la Guerre froide. Et, sous le vernis décrépis des prétendues « valeurs occidentales » de « liberté » et de « démocratie », apparaît de plus en plus le visage brutal des changements de régime, de non respect de la souveraineté, et du transfert criminel des richesses vers une ultra-minorité au détriment des populations.

C’est ce modèle ultralibéral contre lequel se lèvent aujourd’hui les Chiliens, les Argentins, les Algériens, les Irakiens, etc. En Europe, l’apparente accalmie qui règne depuis la crise du début des années 2010, obtenue après avoir mis à genoux la Grèce, puis l’Italie, cache de plus en plus difficilement une situation devenue explosive :

  • En Grande-Bretagne, le feuilleton interminable du Brexit suit son chemin vers l’inexorable tragédie, tandis que la marmite sociale monte en température.
  • En Allemagne, comme en France, les agriculteurs se lèvent contre les conditions insoutenables de vie et de travail auxquelles ils sont soumis, autant sous l’effet des contraintes du libre-échange que de « l’écologie ».
  • Chez nous, dans le sillage des Gilets jaunes, les personnels hospitaliers, les pompiers, les agriculteurs, les cheminots, etc, se mobilisent contre la casse de l’hôpital et des retraites.
  • En Italie, malgré la tentative de remettre le dentifrice dans le tube en plaçant au pouvoir la coalition M5S-Démocrates, la situation peut très rapidement basculer, comme l’ont montré les récentes élections en Ombrie, largement remportées par la Lega et la droite, auprès d’un électorat traditionnellement de gauche.

Il nous revient d’apporter un projet politique à ce ferment social, afin de nous libérer de l’empire financier de Wall Street et de la City de Londres, dont l’UE s’est faite la courroie de transmission, et de le remplacer, au niveau européen comme au niveau mondial, par une alliance d’États-nations souverains, œuvrant au bien commun de l’humanité et au développement harmonieux de chacun.

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