Assassinat du général Soleimani : un nouveau Sarajevo ?

lundi 6 janvier 2020

Chronique stratégique du 6 janvier 2020 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Le président Trump a ordonné le 3 janvier l’assassinat du général Qasem Soleimani, le numéro deux du régime iranien. Après avoir longtemps résisté face aux faucons de sa propre administration, qui réclament une guerre contre l’Iran, il a fini par céder, créant ainsi le risque d’une guerre à l’échelle de l’Asie du Sud-Ouest et au-delà.

Le général Qasem Soleimani, commandant de la force Al-Qods des Gardiens de la Révolution iraniens, a été assassiné par les États-Unis près de l’aéroport de Bagdad, le 3 janvier 2020. Les frappes, ordonnées par Trump en personne et réalisées par drone, ont également causé la mort d’Abou Mehdi al-Mouhandis, le numéro deux des Unités de mobilisation populaire Hachd al-Chaabi, une armée d’environ 80 000 Irakiens fidèles à l’Iran.

Ces assassinats ont fait suite à l’attaque deux jours plus tôt de l’ambassade des États-Unis par des manifestants pro-Iraniens à Bagdad, qui n’ont causé aucune victime. Pour l’ancien diplomate américain Chas Freeman, « il ne s’agissait pas de représailles, comme cela a été dit, mais de l’exploitation pré-programmée d’un prétexte pour assassiner un dirigeant étranger désigné comme un ennemi, a-t-il écrit dans une tribune publiée sur le site JackMatlock. C’était un acte de guerre qui conduira inévitablement à des représailles ».

Marche vers la guerre

Dans une lettre adressée au président, le Veteran Intelligence Professionals for Sanity (VIPS), un collectif d’anciens professionnels du renseignement américain, souligne que l’assassinat du général Soleimani « rappelle à la mémoire l’assassinat de l’Archiduc autrichien Ferdinand en juin 1914 [à Sarajevo], qui mena à la 1ère Guerre mondiale ».

Ali Khamenei, le guide suprême de la révolution iranienne a immédiatement prévenu qu’une « vengeance sévère attend les criminels » qui sont derrière les frappes. « Que l’Iran riposte au moment et lieu de son choix est une quasi-certitude, écrivent les VIPS. Et l’escalade vers la 3ème Guerre mondiale n’est désormais plus une lointaine possibilité, en particulier en raison de la multitude de cibles offertes par notre présence militaire importante dans la région et dans les eaux environnantes ».

Le problème est que, contrairement à ce que croient les gens de l’administration américaine, l’Iran n’est pas un pays isolé. Les VIPS soulignent que la semaine dernière la République islamique a justement participé à ses premiers exercices navals conjoints avec la Russie et la Chine dans le Golfe d’Oman.

« Je crains que le président Trump et ses conseillers n’aient pas réfléchi aux conséquences lorsqu’ils ont décidé d’ordonner l’assassinat de Soleimani, écrit l’ancien analyste de la CIA Larry Johnson, l’un des membres des VIPS, sur le blog Sic Temper Tyrannis. Il ne suffit pas de vouloir ’donner une leçon à l’Iran’. La plupart des Iraniens et une grande partie de la population shiite irakienne voit tout simplement cette action comme l’équivalent du bombardement de Pearl Harbor par le Japon en 1941. (…) On voit mal l’Iran se contenter de quelques protestations ou opter pour la retenue ».

Motivations internes

Comme le fait remarquer Chas Freeman, cette attaque n’a aucun sens en terme de politique étrangère américaine. En effet, elle pousse davantage l’Irak dans les bras de l’Iran ; elle met en danger la vie de tous les Américains qui se trouvent là-bas, en faisant de chacun d’eux autant de cibles pour des assassinats ou des prises d’otage. De plus, l’escalade militaire est contraire aux promesses de Trump auprès de son électorat, et pourrait lui coûter sa réélection. « Il s’agit d’un mouvement sans stratégie, équivalent au début d’une partie d’échec où le joueur avance en n’ayant qu’un seul coup à l’esprit », écrit l’ancien diplomate.

Le choix de l’attaque a sans doute entièrement été dicté par les turbulences en cours dans la politique interne aux États-Unis. « Les assassinats semblent destinés à apaiser les critiques des néoconservateurs dans le camp du président Trump, qui blâment son hésitation et sa faiblesse face aux ripostes iraniennes (…), poursuit Freeman. Ils fournissent une distraction à la procédure d’impeachment et font appel aux instincts sanguinaires des supporters les plus ardents de Trump ».

Dans un entretien à l’agence de presse iranienne Tasmi, Hussein Askary, le responsable de l’Institut Schiller pour l’Asie du Sud-Ouestva dans le même sens :

 Il est très probable que Trump ait été entraîné dans cette opération folle sous la pression des cercles néoconservateurs et des va-t-en-guerre pro-sionistes. Ces forces ont été furieuses de voir les progrès accomplies en Irak et en Syrie pour libérer ces pays des groupes terroristes soutenus par les Américains et les Britanniques, et elles ne supportent pas l’idée que cela puisse ouvrir la voie à l’intégration de la région depuis l’Asie centrale, via l’Iran et l’Irak, jusqu’à la Syrie et la Méditerranée.

L’urgence d’une entente États-Unis-Chine-Russie

Il est évident que l’attaque du 3 janvier à Bagdad fait le jeu du complexe militaro-financier de Wall Street et de la City de Londres, et de tous les jusqu’aux boutistes dans la région, le but étant de saboter toute possibilité de paix.

Rappelons qu’en septembre dernier, avant que la révolte sociale ne le pousse à démissionner, le Premier ministre irakien Adel Abdel-Mahdi se trouvait à Beijing, et qu’il y a défendu l’idée de joindre la Chine dans le projet des Nouvelles Routes de la soie (l’initiative de la Ceinture et la Route, ou ICR). Il y a quelques jours, le président syrien Bashar al-Assad a affirmé que la Syrie considère l’ICR comme la clé pour la paix — Lire : Des accords avec la Chine à l’origine de la déstabilisation de l’Irak ?

Rappelons également que depuis deux semaines les États-Unis et la Chine a ont fait des avancées concrètes vers la « phase 1 » d’un accord commercial, et que Trump s’est entretenu à plusieurs reprises avec Poutine par téléphone.

C’est pourquoi Solidarité & progrès, aux côtés de la présidente de l’Institut Schiller Helga Zepp-LaRouche, appelle les dirigeants américain, chinois et russe, ainsi que toutes les forces rationnelles, à prendre les devants. « Il est urgent, face à la menace de guerre créée par l’assassinat du général Soleimani, que les grandes puissances se concertent pour sauver la paix, a écrit le 4 janvier Jacques Cheminade sur son compte Twitter. La France doit jouer le rôle de médiateur et de catalyseur pour que soit arrêtée la dérive vers la barbarie ».

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