Exercices de l’Otan, Davos : les deux faces de la dictature financière

vendredi 24 janvier 2020

Chronique stratégique du 24 janvier 2020 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Pendant que les milliardaires se réunissent à Davos, l’OTAN prépare les plus importants exercices militaires sur le sol européen depuis 25 ans. Ultime provocation du bras armé de la finance transatlantique, à la veille du 75e anniversaire de la fin de la 2nde Guerre mondiale ; en opposition complète à l’esprit du serment de l’Elbe d’avril 1945, où militaires russes et américains avaient fraternisé, en disant « Plus jamais ça ».

L’OTAN va conduire, en avril et mai prochain, des exercices militaires baptisés « Defender Europe 2020 » (DEF 20). 37.000 soldats de 18 différents pays (dont la France) au total y participeront, dont 20.000 Américains, soit la plus importante présence américaine sur le sol européen depuis la Guerre froide. 20.000 pièces d’équipements vont être déployées depuis les États-Unis vers plusieurs ports européens, dont Anvers. Les soldats américains débarqueront dans huit pays, dont l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, l’Estonie, la Lituanie, la Lettonie, le Pologne et… la Géorgie, qui n’est pas membre de l’Otan. Une pure provocation à la frontière de la Russie, cette dernière étant désignée comme une menace.

Interrogé le 17 janvier sur Sputnik Deutschland, Reiner Braun, coprésident de l’International Peace Bureau, a appelé les membres du Bundestag (le Parlement allemand) à voter une résolution visant à annuler les exercices Defender Europe 2020. Dans le contexte actuel de fortes tensions internationales, aggravées par l’assassinat le 3 janvier du général iranien Qassem Soleimani, le déploiement de troupes pour des exercices militaires dans lesquels la Russie est désignée comme l’ennemi est quelque chose dont le monde n’a pas besoin, estime Braun.

Ces exercices sont une véritable provocation à la veille du 75e anniversaire de la fin de la seconde Guerre mondiale, dénonce-t-il, soulignant que pour la première fois en 75 ans, les troupes allemandes vont se déployer à la frontière occidentale de la Russie. Le mouvement de la paix ne peut et ne doit pas accepter cela, au nom des 27 millions de morts russes causées par le nazisme.

Des exercices similaires se dérouleront en mars-avril dans la région indo-Pacifique, appelés « Defender Pacific 2020 », principalement en mer de Chine méridionale. D’après le secrétaire à l’Armée des Etats-Unis, Ryan McCarthy, les États-Unis vont également envoyer deux « task forces multi-domaines » dans le Pacifique, une en 2020 et l’autre en 2021. Elles sont destinées à « neutraliser (sic) tous les investissements réalisés par la Chine et la Russie ».

Bras armé de l’oligarchie financière

L’Otan est programmée depuis sa création en 1949 pour agir selon les préceptes de la géopolitique britannique, qui définit les relations entre nations ou blocs de nations comme intrinsèquement conflictuelles, dans un monde dominé par le « jeu à somme nulle » où chacun veut rafler la mise. Une définition trompeuse puisque depuis le début des années 1970 les États ne tiennent plus la barre, et ont été réduits (du moins en Occident) à l’état de serviteurs volontaires d’un conglomérat de prédateurs financiers opérant depuis les centres financiers de Wall Street et de la City de Londres, via la toile d’araignée des paradis fiscaux.

Ainsi, l’Organisation militaire atlantique est devenue, en particulier après l’effondrement de l’URSS, le bras armé des intérêts financiers anglo-américains.

Ces intérêts financiers, qui se réunissent à Davos pour le Forum économique mondial, sont parvenus à opérer le plus vaste et le plus indécent transfert de richesses de l’histoire, et ils entendent bien le protéger. Dans son rapport publié le 20 janvier, à la veille de l’ouverture du Forum, l’ONG Oxfam, qui pourtant profite de leurs largesses via la Fondation européenne du climat, montre « que les 1 % les plus riches possèdent désormais plus du double de la richesse de 6,9 milliards de personnes, soit 92 % de la population mondiale ». En dix ans, le nombre de milliardaires a presque triplé, passant de 792 en 2009 à 2153 en 2019, tandis que le taux de réduction de l’extrême pauvreté, qui a débuté dans les années 1990, s’est réduit de moitié depuis 2013. Près de la moitié de la population mondiale vivrait aujourd’hui avec moins de 5,5 dollars par jour.

En 2019, la France compte 41 milliardaires, soit quatre fois plus qu’après la crise financière de 2008. « Si vous aviez pu économiser l’équivalent de 8000 euros par jour depuis la prise de la Bastille, le 4 juillet 1789, vous n’arriveriez aujourd’hui qu’à 1 % de la fortune de Bernard Arnault », peut-on lire dans le rapport d’Oxfam.

D’un côté, les exercices de l’Otan visent à brider toute possibilité de détente, d’entente et de coopération entre l’Est et l’Ouest  ; de même, comme nous l’avons montré, les récentes provocations dans le Moyen-Orient sont destinées à saboter les plans de coopération entre la Chine et les pays de la région dans les projets de développement économique portés par les Nouvelles Routes de la soie ; d’un autre côté, le projet de bulle verte, promu à Davos par Marc Carney, l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre et le PDG de BlackRock Larry Fink – avec Greta Thunberg dans le rôle de prêtresse millénariste –, où l’on veut explicitement couper tout investissement à l’économie « carbonée », vise à interdire tout développement industriel aux pays du Sud.

A ce propos, il est tout à fait intéressant que Donald Trump ait choisi, lors de son discours à Davos, d’aller à rebours des collapsologues et de leurs parrains milliardaires décarboneurs – les qualifiant de « prophètes de l’apocalypse », qui « avaient prédit une crise de surpopulation dans les années 1960, une famine mondiale dans les années 1970 et la fin du pétrole dans les années 1990 ». Le président américain s’est fait le défenseur enthousiaste de l’optimisme scientifique et technologique, rappelant à la mémoire les grandes créations humaines telles que le Dôme de Florence et la cathédrale Notre-Dame de Paris, chefs d’œuvres qui prouvent que « des hommes ordinaires peuvent accomplir des choses extraordinaires dès lors qu’ils ont un but commun ».

Il y a des siècles, à l’époque de la Renaissance, les artisans et les ouvriers qualifiés regardaient vers le haut et construisaient les structures qui touchent encore le cœur de l’homme, a déclaré Trump. (…) En Italie, les citoyens ont un jour commencé la construction de ce qui allait être un projet de 140 ans, le Dôme de Florence. Un endroit incroyable, incroyable. Alors que la technologie n’existait pas encore pour achever sa conception, les pères-fondateurs de la ville ont persévéré, certains de trouver un jour la solution. Ces citoyens de Florence n’ont pas accepté de limites à leurs hautes aspirations, et le Grand Dôme a finalement été construit.

Cet esprit d’optimisme culturel est exactement ce qu’il faut au monde aujourd’hui pour sortir de la crise. Toutefois, il reste à Trump de se débarrasser de ses illusions sur la « reprise » économique des États-Unis, qui ne repose que sur les sables mouvants de l’euphorie spéculative de Wall Street, et de s’attaquer vraiment à l’ennemi : l’oligarchie financière anglo-américaine.

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