États-Unis : le Parti démocrate choisit le suicide

vendredi 7 février 2020

Chronique stratégique du 7 février 2020 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

L‘embrouille, le cafouillage et le parfum des manipulations internes qui émanent de la primaire démocrate de l’Iowa, montrent à merveille l’état de délabrement de ce parti. On se demande comment on pourrait bien confier aux Démocrates la plus puissante économie mondiale s’ils sont incapables de compter des votes dans un gymnase… Trump ne pourrait rêver d’une meilleure opposition pour assurer sa réélection.

Primaire de l’Iowa : un fiasco qui arrange ?

Avec vingt-quatre heures de retard, des résultats partiels du caucus démocrate de l’Iowa ont finalement été donnés mardi soir, attribuant une bien étrange victoire à Pete Buttigieg, l’ancien maire de South Bend. Les sondages de ces dernières semaines prévoyaient une victoire de Bernie Sanders, tandis que l’ancien vice-président Joe Biden, le grand espoir du clan Obama-Clinton et de la machine démocrate, se retrouvait littéralement largué. La veille du vote, la publication du sondage de Des Moines Register-CNN a été annulée. Plusieurs fuites affirment que Sanders y était en tête, suivi de Buttigieg et d’Elizabeth Warren, et enfin Biden.

Incompétence ou bourrage des urnes ? Le journaliste Max Blumenthal explique sur le site The Grayzone que l’appli à l’origine de la débâcle, sensée comptabiliser les votes, a été développée par la société bien nommée « Shadow Inc. » Non seulement cette entreprise est composée d’anciens responsables des campagnes d’Hillary Clinton et de Barack Obama, mais elle est financée par Seth Klarman, un dirigeant de hedge fund proche de la droite israélienne, qui a fait plusieurs contributions financières directes à… la campagne de Pet Buttigieg. « Dans de tels étranges scénarios, les théories de la conspiration s’écrivent d’elles-mêmes », ironise Blumenthal.

Quoi qu’il en soit, les médias ont tous adopté la même ligne : « Désastre », « catastrophe », « débâcle », « implosion du parti démocrate »… avec, en embuscade, la candidature de l’ancien maire de New-York, le milliardaire Michael Bloomberg, ami de la maire de Paris Anne Hidalgo, que l’on présente progressivement comme le grand sauveur des Démocrates. Mardi, alors qu’on attendait encore les résultats de la primaire de l’Iowa, le New York Daily News titrait par exemple « Michael Bloomberg pourrait être le grand vainqueur de la débâcle de l’Iowa ».

Le milliardaire est un grand partisan de la décarbonation de l’économie mondiale ; il est l’un des mécènes important de la European Climate Foundation. Convaincu que l’écologie sera le seul moyen de conduire la jeunesse dans l’isoloir. Bloomberg a non seulement acheté une série de mots clés liée au mot « climat » sur les réseaux sociaux, mais il a quasiment acheté toute l’espace publicitaire qui restait disponible pour les élections américaines !

Panique à bord

Le fait le plus révélateur de la primaire démocrate de l’Iowa est avant tout la faible participation. L’électorat démocrate ressort lessivé et dégoûté des trois années d’hystérie anti-Trump, alimentée en permanence par les médias et par les élites de Washington, à travers le « Russiagate » puis la procédure d’impeachment. Il semble donc que, au-delà des éventuelles intrigues ou tricheries, une lame de fond soit sur le point de balayer les élites du Parti démocrate, peut-être même plus durement qu’en 2016. Car pour l’électeur de base, s’il faut sanctionner un Président, c’est dans les urnes et pas autrement.

Depuis le début de l’année, les sondages confirment en effet une véritable dynamique en faveur de Bernie Sanders. Le sénateur du Vermont, qui se dit anti-guerre alors qu’il avait soutenu les frappes de l’OTAN au Kosovo, est supposé représenter l’aile gauche du Parti. Les sondages le donnaient gagnant dans l’Iowa, ainsi que dans le New Hampshire (la primaire aura lieu le mardi 11 février) et en Californie, avec respectivement 10 et 14 points d’avance sur Joe Biden.

Bernie Sanders dispose d’une base solide de cinq millions de donateurs en 2019, avec un soutien en particulier parmi les jeunes électeurs – 47 % des moins de 35 ans votent pour lui –, les latinos, et les salariés de revenus faibles et moyens. Le candidat pourfend les « riches » et défend la séparation bancaire, un système de santé universel et la gratuité de l’éducation. Le phénomène Sanders, à l’image de Jeremy Corbyn au Royaume-Uni, prend racine dans la crise financière et dans la trahison des Démocrates sous la présidence Obama qui, en cherchant à tout prix à sauver les banques casino, a totalement délaissé les classes ouvrières et populaires (nos chers Socialistes français en savent quelque chose).

Dans un élan d’hystérie dont on la sait coutumière, et qui reflète l’état de panique des Démocrates face à la montée de Sanders, Hillary Clinton a déclaré lors d’une interview  : « Personne ne l’aime, personne ne veut travailler avec lui, il n’a rien fait. C’est une politicien carriériste ». Une nouvelle version des « déplorables » (terme par lequel elle avait désigné les électeurs de Donald Trump en 2016), que les milliers d’électeurs de Sanders ont sans doute dû apprécier… Immédiatement, le hashtag « IlikeHim » (je l’aime) s’est créé sur Twitter, remportant un énorme succès.

Piégé dans sa propre logique et incapable de se remettre en question, l’establishment démocrate semble succomber de nouveau à la tentation de la tricherie, comme il l’avait fait en 2016 pour torpiller la candidature de Sanders et favoriser Hillary, avec le succès que l’on sait. Le site Politico rapporte en effet que des membres de la direction démocrate envisagent de changer certaines règles afin de permettre à Michael Bloomberg de participer aux débats télévisés malgré le fait qu’il ne soit pas inscrit aux premières Primaires…

Tom Perez, le président du Democratic National Council (DNC) a dû démentir. Ce qui n’a pas empêché, il y a quelques jours, l’ancien ministre du Travail de l’administration Obama de nommer des élus anti-Sanders à la tête de la commission des Primaires…

Vers une nouvelle vague Trump ?

Acquitté par le Sénat dans la procédure de destitution lancée par les Démocrates au début de l’automne, Donald Trump n’a désormais plus d’excuses pour ne pas mettre en œuvre le programme pour lequel il a été élu en 2016. Reste à savoir s’il saisira l’occasion, en particulier pour engager une détente, une entente et une coopération avec la Russie et la Chine, et pour lancer des grands projets d’infrastructures redynamisant les territoires américains laissés en friche par la mondialisation financière. Pour cela, il faudrait qu’il vire les néocons de sa propre administration – à commencer par le secrétaire d’État Mike Pompeo – et qu’il prenne le taureau de la finance par les cornes, au lieu de caresser les électeurs évangélistes dans le sens du poil en leur présentant un « plan de paix » pour le Proche-Orient qui risque de le conduire dans une nouvelle guerre.

Un ferment semble en tout cas lui être favorable. Pour son meeting le 28 janvier dans le New Jersey – un État remporté par Hillary Clinton en 2016 par 55 % contre 41 % –, près de 175 000 personnes se sont inscrites, alors qu’il n’y avait que 7500 places, et la plupart ont du suivre le discours à l’extérieur. Le Washington Examiner rapporte que, selon les formulaires d’inscription, 26,3 % avaient voté démocrate en 2016, et 10 % n’avaient pas voté du tout. De même, « près de la moitié des participants du rallye de Trump dans l’Ohio, et près de 60 % dans celui du Wisconsin, se sont décrit comme des démocrates ou des indépendants », souligne le site d’information.

Le site Politico rapporte que le public présent le 30 janvier au meeting du président américain à Des Moines, dans l’Iowa, reflète « la prise de contrôle totale du Parti républicain par Trump, dans le sens où il y avait des jeunes comme des vieux, et des cols bleus comme des cols blancs ». Le journaliste s’est même étonné de constater que, malgré les deux articles d’impeachment en cours contre Trump (c’était avant l’acquittement par le Sénat), « une joie inattendue » animait un public acquis d’avance.

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