Moyen-Orient : un plan de paix qui séduit les va-t-en guerre

dimanche 9 février 2020, par Karel Vereycken

Le 16 juin 2019, en présence de l’ambassadeur américain, Nétanyahou, pour exprimer sa gratitude devant le fait que les Etats-Unis lui offrent (sans en avoir le droit légal) les hauteurs du Golan, a baptisé un futur projet d’implantation juive du nom de « Hauteurs de Trump ».

Comme le répétait le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, accusé d’avoir trahi l’État israélien avant son assassinat, on ne fait pas la paix avec ses amis mais avec ses ennemis. C’est le premier constat que font tous les observateurs, suite à la révélation du « plan de paix », le 28 janvier, par Donald Trump en présence du Premier ministre israélien par interim Benjamin Netanyahou mais en l’absence d’un quelconque représentant palestinien. Ces derniers ont perdu toute communication avec la Maison-Blanche depuis 2017 lorsque Washington décida de déplacer son ambassade à Jérusalem.

En vérité, ce faux plan de paix de 181 pages a été concocté depuis plusieurs années par trois jeunes avocats dépourvus de la moindre expérience diplomatique : le promoteur immobilier Jared Kushner, l’avocat new-yorkais Jason Greenblat ainsi qu’Avi Berkowitz, un copain d’enfance de Jared Kushner. Ce dernier, qui invite les Palestiniens à souscrire au « deal du siècle », n’a jamais consulté leurs responsables qu’il accuse « de ne jamais rater l’occasion de rater une bonne occasion ».

Chrétiens évangéliques

Or, depuis son mariage, en 2009, avec Ivanka Trump, Kushner est devenu le gendre de Donald Trump. Convaincu de tenir en main les clés de la réélection de son beau-père, l’homme a su se rendre incontournable. Car, si le vice-président Pence et le secrétaire d’État Pompeo en sont des adeptes fervent, c’est Kushner qui constitue le « pont » entre l’administration, l’extrême droite israélienne et les « chrétiens évangéliques » américains.

Or, aux Etats-Unis, si les électeurs juifs sont peu nombreux et divisés et que la « droite religieuse » et « chrétienne évangéliste » ne représente « que » 20 millions de voix, force est de constater que Trump, un homme multi-divorcé, se démène comme un beau diable pour séduire cet électorat redoutablement efficace lorsqu’il se met à prôner la bonne parole trumpiste. Avec son plan de paix, Trump « a légalisé la Bible », se réjouit la presse évangéliste ! Un article du 4 janvier paru dans Le Point, souligne que « Trump entretient le soutien ’extra-ordinaire’ des chrétiens évangéliques ».

Sheldon Adelson

Trump à Las Vegas avec le Roi des casinos Sheldon Adelson et son épouse Myriam.

L’autre figure-clé de cette équation, le milliardaire américain Sheldon Adelson. Lui et sa femme Myriam, opérant de pair avec les évangélistes, sont des soutiens inconditionnels de la politique israélienne dans les territoires occupés.

Surnommé le « roi des casinos », le couple a fait fortune dans l’industrie du jeu, notamment grâce aux actions qu’il détient dans les casinos de Las Vegas, de Singapour et de Macao en Chine.

Transfert de l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem ; carte blanche donnée à Israël pour annexer les hauteurs du Golan syrien et libanais ; sanctions contre Téhéran, tout cela ressemble étrangement aux desiderata de Sheldon Adelson, avec 177 millions de dollars, le plus important donateur de la campagne de Trump en 2016 et qui ne cesse de lui réclamer des retours d’ascenseurs.

Il est vrai qu’aux Etats-Unis, un pays où, depuis l’arrêt de la Cour Suprême dans l’affaire Citizens United vs. Federal Election Commission de 2010, il n’y a plus de plafond aux donations politiques de la part d’individus et d’entreprises, chaque élection présidentielle se transforme désormais en tournoi de milliardaires.

Et les candidats démocrates n’échappent pas à la règle. Certes, Bernie Sanders (2,5 millions) fait pale figure face à Elizabeth Warren (12 millions), Joe Biden (9 millions) et Tom Steyer (1,6 milliard) et surtout Mike Bloomberg (53 milliards). Ce dernier prépare son grand retour et Trump, avec « seulement » 3 milliards, ne « pèse » pas lourd… d’où l’intérêt d’être en bonnes termes avec son fidèle mécène Adelson dont la fortune dépasse les 43 milliards…

Quelle paix ?

Qualifié de « solution à deux États réaliste », le plan de paix comporte deux volets, le premier économique, révélé l’année dernière, le deuxième politique rendu public en janvier.

Cependant, à l’inverse même du « Plan Oasis », imaginé par l’économiste américain Lyndon LaRouche (1922-2019) et fruit de ses échanges avec des responsables israéliens et palestiniens [1], au lieu d’offrir aux différents protagonistes (Palestine, Israël, mais aussi Liban, Syrie, Iran, Égypte et Turquie) une perspective gagnant-gagnant de développement mutuel à partir du socle d’un plan régional d’infrastructures, en particulier en vue d’augmenter les ressources en eau et en énergie, le plan actuel n’offrira que quelques maigres carottes aux Palestiniens, et encore, sous condition que ces derniers, pourrait-on dire, « se tiennent au à carreau ».

Faire de la Palestine un Bantoustan

Carte en annexe du Plan de paix proposé par Trump.

Les principaux points du plan :

  • Les Palestiniens doivent reconnaître Israël comme l’État du peuple juif, c’est-à-dire renoncer à toute revendication concernant ce qui reste, rappelons-le, leur pays d’origine ;
  • Le plan se veut « réaliste » (comprenez « cynique ») et propose de « légaliser » le rapport de force actuel, en particulier l’occupation illégale des territoires palestiniens. Les réfugiés palestiniens ne pourront plus faire valoir leur droit au retour. A part dans les villages palestiniens, Israël fera valoir sa loi sur la Cisjordanie et, sécurité hydraulique oblige, prendra le contrôle de l’ensemble de la vallée du Jourdain. Bien qu’elle ne puisse plus en créer des nouvelles, Israël pourra conserver toutes les colonies, y compris les implantations isolées en territoire palestinien qui seront reliées par un réseau routier sous haute surveillance ;
  • En échange, la surface territoriale accordée aux Palestiniens sera légèrement agrandie, mais « ailleurs ». Sous réserve d’un accord des parties concernées, dix villages peuplés d’Arabes israéliens (dans la périphérie de Tel Aviv) pourraient intégrer la Palestine. Pour la vision quasi-ethnique des extrémistes israéliens, ces populations, considérées comme des citoyens de catégorie B, n’ont rien à faire dans un État juif.
  • Des territoires dans le désert du Néguev, à la frontière égyptienne, reliés par une étroite bande de terre avec la bande de Gaza, seront éventuellement aménagés pour accueillir des zones d’habitations, des exploitations agricoles et une zone de production manufacturière « high tech ».
  • Pour sa sécurité, la Palestine ne disposera que d’une simple police. Pour le reste, elle sera démilitarisée et renoncera au contrôle de ses frontières, de son espace aérien et de ses ressources aquifères. Pour ne pas totalement étouffer, les Palestiniens auront accès à des facilités dans les ports israéliens. Deux routes relieront malgré tout la Palestine à la Jordanie. Et si un tunnel et/ou un train « à grande vitesse » pourra venir relier la Cisjordanie à la bande de Gaza, il s’agirait tout de même d’un bien étrange « Etat » ne disposant ni d’armée, ni d’aéroport, ni de port maritime ;
  • Jérusalem passant entièrement sous contrôle israélien, la nouvelle capitale de la Palestine, qu’on nommera Al-Quds (nom de la ville de Jérusalem en Arabe) se situera à l’Est de Jérusalem, dans une zone à l’Est et au Nord de la barrière de séparation israélienne existante, proche d’Abu Diss. Les deux capitales devraient être internationalement reconnues, précise le plan ;
  • Officiellement le statu quo sur les Lieux saints sera maintenu. Cependant, le plan demande que les fidèles de toutes confessions puissent prier sur l’Esplanade des mosquées-Mont du Temple, ce qui implique exactement le contraire. Il faut savoir que depuis 52 ans, les juifs peuvent, dans certaines conditions, visiter ce haut lieu de l’Islam, mais sans y prier. L’interprétation du plan de paix risque donc de ne pas apaiser mais d’enflammer la situation ;
  • Sur le plan économique, sous condition que les Palestiniens acceptent ce qu’on leur présente comme le « deal du siècle », il s’agirait d’investir sur dix ans, 50 milliards de dollars qui viendront, non pas des États-Unis ou d’Israël, mais des pays arabes. Le volet économique du plan fut présenté en 2019 à ces derniers lors d’un « workshop » organisé à Manama au Bahreïn. Cette rencontre fut boudée par les Palestiniens car exclus de l’élaboration d’un projet leur promettant la création d’un million d’emplois, le doublement de leur PIB et la réduction de moitié de leur taux de chômage. L’argent investi irait avant tout dans la construction d’hôpitaux, d’écoles et de logements, c’est-à-dire des services faisant cruellement défaut à l’heure actuelle. Le plan envisage la création d’un « fonds international » pour le financement des travaux d’infrastructure, de sécurité et de développement des territoires transférés aux Palestiniens. Ce fonds ne sera alimenté ni par l’État de Palestine ni par celui d’Israël et ne sera alimenté que lorsque le territoire sera entièrement démilitarisé et qu’une gouvernance « fiable » y sera établie. En clair, jamais, au point qu’on s’interroge si ce plan comporte une réelle intention de réussir.

Conclusion

Le but de ce prétendu « plan de paix » n’est donc plus d’apporter une solution aux 7 millions de réfugiés palestiniens dispersés dans le monde, mais d’offrir « la sécurité » aux Israéliens qui vivent dans la crainte permanente.

Pour le dire brutalement, on attend que les Palestiniens se mettent en état d’esclavage volontaire, avant de leur accorder le droit de survivre dans une « entité palestinienne », géographiquement formée comme une peau de léopard. Faussement qualifié « d’État », cette entité sera aussi souveraine que les Bantoustans sous le régime de l’Apartheid. Le pire, c’est qu’en humiliant les Palestiniens, on prétend les rendre plus dignes et créer les conditions de la Paix ! C’est comme si l’on frappait son chien en espérant le rendre plus gentil...

La bonne nouvelle, comme le souligne le quotidien israélien Haaretz, c’est que Netanyahou, du moins jusqu’aux élections israéliennes de mars, n’est que le Premier ministre par interim. En clair, alors que les Etats-Unis le somment de mettre en œuvre sans tarder le « plan de paix », il ne dispose pas des prérogatives requises pour le faire.

L’accusation selon laquelle les Palestiniens « ne ratent pas une occasion pour rater une occasion » pourra donc facilement être retournée contre leurs accusateurs. En confiant le dossier à son gendre Jared Kushner, Trump, qui avait notamment nommé Bolton et Pompeo pour la paix, ne rate donc pas une occasion ... pour ne pas la faire.


[1Partisan d’une paix négociée entre Israéliens et Palestiniens, LaRouche rencontra en 1979 le Président du Congrès Juif Mondial Nahum Goldmann chez lui à Paris et à New York l’ancien ministre israélien des Affaires étrangères Abba Eban. Pour compléter les accords d’Oslo qu’il soutenait de toutes ses forces, LaRouche a proposé un « plan Marshall » (surnommé « Plan Oasis ») pour accroître les ressources hydriques du Proche-Orient. A Paris, son ami était l’inlassable combattant pour la paix Maxim Ghilan de la revue Israël-Palestine. Adversaire de la politique belliqueuse de l’extrême droite israélienne, LaRouche a passé sa vie à souligner le caractère universel de chaque être humain, peu importe sa race, sa couleur, ses origines, sa religion ou son orientation sexuelle. A l’opposé de la réputation qu’on lui a faite, LaRouche a toujours tenu en horreur toute forme d’exclusion, de xénophobie, d’antisémitisme et de négationnisme. John Weber, un des anciens membres de l’organisation juive américaine Bnai Brith a déclaré un jour que LaRouche et son mouvement « ont fait plus pour élucider et garder vivant le souvenir de l’holocauste hitlérien dans le monde non-juif » que bien d’autres.