Face au tsunami du Covid-19, l’Amérique latine et l’Afrique veulent annuler les dettes !

mardi 31 mars 2020

Chronique stratégique du 31 mars 2020 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Le 12 mars dernier, Emmanuel Macron a remis en cause « le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde ». Chiche ! Disent en cœur les pays de l’hémisphère sud, qui ont subi depuis 50 ans les thérapies de chocs, dettes odieuses, attaques spéculatives, et autres calamités du féodalisme financier qu’on a faussement appelé « mondialisation ». Les dirigeants sud-américains et africains, et même plusieurs commissions des Nations unies (!), ont multiplié les appels à l’annulation des dettes et à un nouvel ordre économique mondial.

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Un G20 entre deux eaux

Tout le monde reconnaît que la crise sanitaire, économique et financière actuelle impose de changer de manière de penser. Encore faut-il que cela se traduise par des actes à la hauteur du défi. Car beaucoup espèrent déjà un retour « à la normale » — celle-là même qui a accouché l’anormal d’aujourd’hui. Cet entre-deux contradictoire, dans lequel nous nous trouvons, vis-à-vis de l’action de la plupart des gouvernements occidentaux comme de l’état d’esprit des populations, deviendra très vite insoutenable.

Lors du G20, qui s’est tenu jeudi 26 mars par visio-conférence, une volonté de coopération et un début de réalisme se sont manifestés entre les différents dirigeants, en premier lieu entre Trump, Macron, Xi et Poutine qui savent bien que personne ne pourra s’en tirer tout seul. Mais cet élan est incompatible avec le maintien des réflexes géopolitiques, incarnés par le secrétaire d’État américain Mike Pompeo, qui continue de désigner la pandémie comme « le virus de Wuhan » et colporte partout un racisme anti-chinois. Il est cependant intéressant de noter que Macron a refusé la semaine dernière d’inclure la mention « virus de Wuhan » dans un communiqué du G7, et que Trump, qui employait également cette expression, a rétro-pédalé, tweetant que le virus n’était « PAS [la] faute [de la Chine] et assurant qu’il ne l’appellerait plus le « virus chinois ».

Les dirigeants du G20 ont promis d’injecter 5000 milliards de dollars pour soutenir l’économie mondiale face à la pandémie ; mais ni la question de la fermeture des marchés n’a pas été abordée, ni celle de la folie hyperinflationniste entretenue par les plans de renflouements géants des banques centrales. Répétons-le : il sera impossible de remporter une victoire sur la pandémie de Covid-19, et sur toutes celles qui surviendront à l’avenir, si l’on ne libère pas le monde du système monétariste de Wall Street et de la City de Londres, et de la conception moyenâgeuse de l’économie qu’il a imposé depuis l’abandon de la convertibilité or-dollar le 15 août 1971.

Un « vaccin universel » contre la servitude monétaire

L’expansion fulgurante de l’épidémie de coronavirus dans le monde a suscité partout un débat, et en particulier en Amérique latine et en Afrique, sur la nécessité de bâtir un nouvel ordre économique mondial plus juste redonnant la priorité à la vie humaine.

Le 23 mars, le think tank CELAG (Latin America Strategic Center for Geopolitics), basé en Argentine et réunissant plusieurs anciens dirigeants d’Amérique latine, a publié un appel à l’intention du Fonds Monétaire International (FMI), la Banque mondiale et d’autres créanciers internationaux, intitulé : « Le temps est venu d’annuler la dette de l’Amérique latine ». Parmi les signataires, l’on trouve par exemple l’ancien président équatorien Rafael Correa, l’ancienne présidente brésilienne Dilma Rousseff, l’ancien président paraguayen Fernando Lugo, le président bolivien Evo Morales et son vice-président Alvaro Garcia Linera, entre autres.

Écrivant dans le quotidien de Buenos Aires Pagina 12, l’historien argentin Mario Rapaport compare la pandémie actuelle avec la peste noire du XIVe siècle, de laquelle un nouvel ordre mondial avait émergé. Aujourd’hui, en raison des ravages du néolibéralisme, le monde traverse selon lui un nouvel « âge des ténèbres », où l’État providence post-2nde Guerre mondiale a été remplacé par une économie casino, des bulles de dettes, la guerre permanente et une spéculation débridée au détriment de la vie humaine. « Des changements drastiques dans l’ordre économique et financier mondial » sont nécessaires, écrit-il ; il va falloir admettre enfin que «  la pseudo-mondialisation basée sur un néolibéralisme n’a bénéficié qu’à une minorité, et qu’elle n’a pas permis d’arrêter les guerres, a accentué les inégalités et a contribué à créer les conditions de l’apparition de nouvelles pandémies ».

Il faut « un contrôle des changes et un genre de ’vaccin universel’ contre les fonds vautours », afin de forcer une restructuration d’une grande partie des dettes créées artificiellement, estime l’historien, qui a évoqué la « Doctrine Drago », en référence au plan engagé par l’ancien ministre argentin des Affaires étrangères Maria Drago pour forcer au début du XXe siècle les créanciers de l’Argentine à passer par des tribunaux argentin, et non étrangers.

Afrique : la vie avant la dette

En Afrique, les ministres des Finances, réunis le 19 mars en visioconférence, ont appelé à une suspension du paiement des intérêts des dettes pour l’année 2020 – soit 44 milliards de dollars – afin de pouvoir combattre le coronavirus et ses conséquences économiques. Ils ont également demandé un moratoire sur les intérêts et le principal des dettes des nations africaines « fragiles », dont les pays du Sahel et la République du Centre-Afrique. Cet appel a été réitéré à la veille de la réunion du G20.

De son côté, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a publié une « proposition en trois points » allant plus loin encore. La capacité des nations africaines à faire face à la menace du Covid-19 est clairement restreinte par « le lourd fardeau de la dette », souligne-t-il. Un plan d’urgence sanitaire pour l’ensemble de l’Afrique est nécessaire, afin d’apporter aux pays tout l’aide nécessaire en termes d’équipements médicaux, de tests de dépistage ; mais par-dessus tout, il faut selon lui que tous les paiements d’intérêts des prêts gouvernementaux soient effacés (et pas seulement suspendus). « De plus, nous suggérons que les dettes restantes soient converties en prêts à long terme et à faibles taux d’intérêts, avec une période de grâce de dix ans avant le paiement. Tout remboursement de dette doit être limité à 10 % de la valeur exportée », a précisé le Premier ministre.

Même les Nations unies reconnaissent que le maintient du paiement de dettes des pays en développement sera insoutenable ! Le 30 mars, la CNUCED (Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement, en anglais UNCTAD), a lancé un appel à la mise en œuvre d’un plan de 2500 milliards de dollars (la moitié de ce que promet le G20) pour les pays en développement, pour les aider à faire face au choc du coronavirus, comprenant :

  • Une annulation de 1000 milliards de dollars de dette sur le modèle allemand de 1953
  • 1000 milliards rendus accessibles sous forme de droits de tirage spéciaux du FMI
  • 500 milliards pour un « plan Marshall » sanitaire.

La CNUCED rappelle que les deux tiers de l’humanité vit dans des pays en développement, dont la plupart n’ont pas encore subit de pleine force le tsunami du Covid-19. Les conséquences de la pandémie et des ondes de chocs économiques qu’elle provoque sont déjà dramatiques, et dépassent celles de la crise financière de 2008. C’est pourquoi seule une coopération internationale et un plan pensé à l’échelle du monde nous permettra de briser les chaînes de ce féodalisme financier et de sortir par le haut de cette crise.

La France commence à mobiliser, trop lentement hélas, ses capacités industrielles pour s’équiper en masques, en ventilateurs et en tests de dépistage. Si elle pensait au rôle qu’elle pourrait jouer pour le reste du monde, elle en produirait en milliards, et non pas en millions. Alors que notre Président se veut Européen, nos voisins italiens, en prise comme nous avec cette épidémie mortifère, ont vu venir à leur secours des équipes médicales chinoises, russes, cubaines, polonaises et même albanaises, mais personne arrivant de Bruxelles, de Paris ou Berlin. Vous avez dit Europe ?

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